Khaled Satour
On n’entend pas la voix de l’Algérie en cet instant crucial où se joue le sort de la Palestine et des Palestiniens. Le régime algérien a tellement nivelé par le bas la classe politique qui relaie ses messages qu’il ne subsiste plus une seule personnalité ayant le charisme et la force de conviction nécessaires pour défendre auprès de l’opinion publique nationale et internationale la tradition de solidarité héritée du combat libérateur.
Silence radio. Abdelmadjid Tebboune n’est pas de taille à porter un discours à la mesure de ces circonstances historiques et les généraux décatis et ventripotents sont occupés à régler leurs comptes. Le peuple est solidaire mais il est condamné à communier en silence, les services de sécurité ayant réprimé toutes les tentatives de manifestations de soutien aux Palestiniens.
Une même intention autoritaire et castratrice
Oui, c’est l’amère vérité : j’ai cru dans un premier temps que c’était la propagande marocaine qui forçait le trait, comme à son habitude, mais j’ai ensuite lu les témoignages d’Algériens racontant comment la police avait dispersé les rassemblements, confisqué les banderoles et ordonné de dissimuler, comme des emblèmes de la honte, les drapeaux palestiniens.
Le régime considère que le soutien à la cause palestinienne est l’apanage exclusif de ses canaux de communication et que le peuple n’a pas d’autre obligation que de se taire. En cela, il méprise la société et ses sentiments de la même manière que les États normalisateurs. Ces derniers normalisent contre la volonté de leurs peuples et laissent ces derniers, en guise d'exutoire, manifester, alors que lui refuse la normalisation en interdisant au peuple algérien de s’exprimer. La symétrie s’en trouve renversée mais elle participe de la même intention autoritaire et castratrice.
Nous sommes ainsi condamnés à vivre dans l’impuissance et l’indifférence un tournant aussi crucial que celui qui avait conduit en 1948 à l’anéantissement de la Palestine. Une propagande occidentale dont le caractère moralisateur ne dissimule pas la détermination agressive est en train de faire accepter l’indicible : une double entreprise d’extermination des populations et d’incitation par la violence extrême à un exode de la bande Gaza.
Au service de cette entreprise, un déchaînement médiatique sans précédent légitimant par des catégories sémantiques dignes des pires épisodes coloniaux une solution finale de la question palestinienne.
La relecture révisionniste de l'Histoire coloniale
Dans les médias les plus modérés, ces catégories sont a minima depuis le début de l’opération « Déluge d’Al Aqsa », les suivantes :
- La désignation de la contre-violence des Palestiniens par le sempiternel qualificatif de terrorisme ;
- La définition de la confrontation actuelle comme une « guerre Hamas-Israël » alors que l’opération du 7 octobre a associé de multiples autres organisations de résistance dont des organisations de gauche comme le FPLP et le FDLP ; et alors qu’Israël est en train de faire une guerre d’extermination contre 2 millions de civils désarmés et exténués (à ce jour 2200 morts dont 750 enfants et plus de 400 femmes) ;
- Le silence fait sur les protestations de Hamas relatives aux massacres qui lui sont imputés. Des protestations qui ne sont pourtant ni plus ni moins crédibles que les allégations israéliennes. Une règle fondamentale de l’information aurait pourtant commandé que, quitte à rapporter la propagande de guerre, on a l’obligation de rapporter celle des deux belligérants.
Or, si on devait appliquer rétrospectivement ces catégories (et ces pratiques) à la conquête de l’Ouest, à la guerre d’Indochine et à la lutte de libération algérienne, pour ne citer que ces exemples, il faudrait stigmatiser la sauvagerie des Sioux et des Cheyennes, celle du Vietminh et celle du FLN. Ces catégories constituent implicitement une entreprise de relecture révisionniste de l’histoire coloniale et anticolonialiste. Et elles sont, qu’on le veuille ou non, instrumentales car elles risquent de légitimer une réédition de l’exode palestinien de 1948 doublée d’une opération d’extermination dans la plus pure tradition coloniale.
Il est sidérant que tout le monde s’accorde à considérer que le crime est palestinien et qu’Israël ne fait qu’exercer sa vengeance.
L’Europe, les États-Unis et l’Occident tout entier régressent toutes voiles dehors vers l’idéologie coloniale si tant est qu’ils s’en soient jamais distanciés.
Le travail fait pendant 60 ans par les historiens est réduit à néant. Il avait pourtant établi que la violence de l’occupant a toujours été antérieure à celle de ses victimes et qu’elle fut d’une sauvagerie que celle-ci n’aurait jamais pu égaler. Les Algériens ont été pendant 125 ans massacrés, enfumés, humiliés, bombardés (pendant un mois en mai 1945) par l’artillerie, la marine et l’aviation. Il a suffi qu’au bout de plus d’un siècle de crimes subis ils aient décidé d’user à leur tour de violence pour que les bonnes âmes s’en émeuvent. Il a suffi qu’ils posent quelques bombes dans les lieux publics en 1957 pour qu’on condamne leur terrorisme. Les Palestiniens sont aujourd’hui victimes du même raccourci.
Le refus renouvelé de condamner le colonialisme au présent
C’est incroyable, nous sommes en 2023 et pourtant un exode palestinien encore plus massif que celui de 1948 se prépare sous les yeux du monde entier avec l’appui logistique d’un porte-avions américains et de la flotte britannique venus dissuader la résistance libanaise d’ouvrir un nouveau front contre Israël. Et pendant ce temps, il n’est permis de dénoncer que les massacres que l’armée israélienne attribue sans aucune preuve sérieuse au Hamas.
C’est sans doute comme cela qu’on avait procédé en 1948. Les catégories (terrorisme, crimes et barbarie de Hamas, vengeance d’Israël) par lesquelles cette confrontation est qualifiée ne tombent pas du ciel. Ce n’est pas dans l’improvisation qu’elles sont érigées en dogme sacré et infalsifiable et qu’on a décidé que quiconque y substituerait d’autres serait puni et lynché publiquement (voir la campagne déclenchée contre la France Insoumise et c’est une des raisons pour lesquelles les médias les plus lucides s’y soumettent sans rechigner : ils ont compris qu’ils ne survivraient pas à la moindre transgression sémantique).
Je l’ai déjà écrit : la condamnation historique du colonialisme et la reconnaissance de la légitimité de la contre-violence que lui opposent les peuples n’ont pu être acquises que rétrospectivement. Maintenant que le rebondissement de l’affaire palestinienne a réactualisé ces problématiques, qu’elles constituent le présent le plus brûlant, l’idéologie coloniale revient au galop, extraite de la naphtaline intacte et plus agressive que jamais. L’Occident n’a jamais condamné, encore moins combattu, un colonialisme à l’œuvre dans le présent.
Que les tenants les plus opiniâtres de la domination coloniale se réjouissent : ils ont bon espoir que l’Histoire leur redonne le spectacle de ce qu’il s’est passé en 1948 pour le plus grand plaisir des absents à la première représentation. Et si avertis des conséquences que nous soyons par notre connaissance du précédent historique, nous sommes pour notre part condamnés à ne rien faire car la propagande a pourvu les braves gens de tous les prétextes, de tous les alibis qui permettent de justifier l’horreur en toute bonne conscience.
Quant à l’Algérie officielle, après avoir grignoté au long des décennies le patrimoine combattant qui lui a permis de venir au monde, elle est partie pour sacrifier définitivement ce qu’il en reste sur l’autel des calculs géopolitiques. Le pire est qu’elle prétende entraîner dans cette disgrâce ses souffre-douleurs de prédilection : la société et le peuple algériens.
Le peuple palestinien, et c’est une autre vérité de l’Histoire qui se confirme, ne devra compter une nouvelle fois que sur ses propres forces.
Les condamnations et les manifestations hystériques ne servent à rien. Depuis 1948, les peuples arabes n'ont pas cessé de descendre dans la rue pour dénoncer le criminel régime d'apartheid sioniste. Seul le combat armée est capable de faire les bouger les choses. Malheureusement , l'Egypte, la Syrie et la Jordanie ont rendu les armes comme des lâches. L'autorité palestinienne avec à sa tête son vieillard président ne s'occupent plus que de gérer leurs juteuses affaires commerciales en Palestine et dans le moyen-orient. Quant à Hamas, malgré son coup d'éclat du 7 octobre, elle n'a pas les moyens d'une armée structurée pour faire face à la puissance de feu et de technologie d'Israël. Pour le Hezbollah, s'il décide d'aller au combat c'est tout le Liban qui risque de subir les pires représailles de l'armée israélienne aidée en collaboration avec la sixième flotte américaine. Reste le peuple Palestinien, obligé de quitter les lieux pour aller vers l'inconnu, car il ne faut surtout pas croire les généraux israéliens qui viennent de déclarer qu' une fois le "nettoyage" fait, les déplacés pourront retourner chez eux...dans les ruines fumantes d'un Gaza rasé. Quelle tristesse devant cette injustice et cette impuissance. نسأل الله تعالى أن يكون مع هذا الشعب الذي تخلى عنه الجميع
RépondreSupprimerBachir Maaloum.
Malgré les chèques conséquents qu'elle signe régulièrement pour Hamas et le gouvernement de Mahmoud Abbas, l'Algérie n'a plus aucun poids diplomatique et personne ne retourne vers elle pour lui demander d'être partie prenante dans ce génocide qui s'annonce, ou à minima , son avis sur le sujet.. Le temps où Boumediène et son charisme inégalable tapaient sur la table pour faire entendre la voix de l'Algérie est à jamais révolu. Nous sommes gouvernés par des poltrons qui ont une seule obsession mater leur peuple tout en faisant semblant d'être solidaires avec les populations de Gaza en particulier et de la Palestine en général. Hocine.
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