vendredi 29 septembre 2023

AFFAIRE NEZZAR : LES FAILLES DE LA CHARTE POUR LA PAIX ET LA RÉCONCILIATION


 

Khaled Satour

Les horreurs commises pendant la décennie noire en Algérie n’ont pas fini de hanter la mémoire des Algériens. A quelques jours du 35e anniversaire du 5 octobre 1988 qui fut le point de départ de la tragédie, elles persistent également à les diviser, entre ceux qui endossent la thèse officielle des crimes islamistes combattus et réprimés par une armée gardienne de la République et ceux qui accusent le régime d’avoir mis en œuvre une répression indistincte et disproportionnée particulièrement meurtrière.

Ces débats saisissent la moindre opportunité pour rebondir et se sont reproduits ces derniers jours avec le retour des anniversaires des grands massacres de l’été 1997. Ils prouvent à coup sûr l’échec du processus de paix et de réconciliation achevé en 2006 par le régime de Bouteflika.

Les procédés de l’armée coloniale française

Les tenants de la thèse officielle s’efforcent constamment de brouiller les cartes en tournant en dérision ceux qu’ils qualifient de partisans du « qui-tu-qui ». Il convient pourtant de distinguer deux types de questionnements qu’on ne saurait confondre que de mauvaise foi :

1° - Le premier concerne l’identité des auteurs des actes de terrorisme et des massacres à grande échelle qui ont ensanglanté le pays et qui, les rares fois qu’ils ont été jugés, n’ont pas donné lieu à des procès équitables et convaincants, ne tirant leur prétendue vérité conservée dans des articles de presse partisans que des rapports faits par les forces de sécurité en attribuant la culpabilité aux islamistes. Il est révélateur à ce sujet que les deux grands massacres de Rais et Bentalha, commis en août et septembre 1997, aient donné lieu en août 2004 à un simulacre de procès[1] qui n’a duré qu’une journée, impliquant à peine une dizaine de personnes alors que les témoignages des rescapés avaient rapporté que les assaillants étaient au nombre d’une centaine au moins. Des centaines d’autres massacres n’ont jamais été soumis à la justice

2° - Le deuxième questionnement est relatif à la torture subie par des milliers de personnes dont de multiples témoignages ont été consignés par les organisations de droits de l’homme et aux disparitions forcées dont le nombre des victimes varie, selon les évaluations, entre 10.000 et 15.000. Dans les polémiques récurrentes que suscite cette question, les tenants du régime s’évertuent à faire de la diversion en ironisant sur le « kituki » alors même que la torture et les enlèvements qui sont documentés furent sans discussion possible l’œuvre des forces de sécurité. Or, c’est essentiellement sur ce point que la décennie noire jette l’ombre la plus sinistre sur la représentation que le pays se fait de lui-même. Que les appareils sécuritaires algériens aient recouru dans les années 1990 aux mêmes procédés que l’armée française pendant la guerre d’Algérie est une abomination que la mémoire algérienne est contrainte de refouler au prix de profonds troubles psychologiques qui agissent comme les répliques foudroyantes des traumatismes d’un passé condamné à ne jamais passer.

Et c’est sur cette toile de fond que la nouvelle de la confirmation des poursuites exercées par la justice helvétique contre le général Nezzar est intervenue[2]. C’est à juste titre qu’elle est sujette à controverses et les arguments tirés de l’intangibilité de la souveraineté nationale ne manquent pas de pertinence tant il est vrai que la démarche suisse, si fondée en droit qu’elle puisse être, n’est pas exempte d’arrière-pensées politiques. Mais ces arguments se heurtent à une limite que la décence devrait empêcher d’outrepasser : celle de la souffrance, du sentiment d’injustice et de déni ressentis par les quelques victimes que les pressions et les menaces n’ont pas dissuadés de se porter demandeurs.

Il n’est pas sûr que le procès de Nezzar, qu’on se plaît à décrire comme moribond, se tienne un jour. Mais d’ores et déjà, on peut affirmer que la procédure engagée n’apportera certes, quoi qu’il puisse en être, rien qui vienne clôturer une situation laissée pendante par la charte et l’ordonnance sur la paix et la réconciliation mais qu’elle causera au régime un préjudice considérable.

Un récit à la gloire du vainqueur

En particulier, elle bat en brèche la crédibilité du processus édicté par ces textes et attaque la pertinence juridique et politique que ses auteurs se sont efforcés de lui conférer.

Ces textes n’ont en effet instauré ni la paix ni la réconciliation. Ils ont seulement mis fin aux hostilités sur un plan strictement militaire. Ils ont organisé un désarmement des protagonistes de la guerre mais sans apaiser les ressentiments qui fracturent la société.

En dépit du référendum qui a ratifié la charte, celle-ci n’a nullement exprimé l’adhésion de la nation au processus. La seule voix qui s’exprime à travers les textes adoptés est celle de l’un des belligérants qui ne concède rien, proclame bien au contraire sa victoire ficelée dans un récit tout entier à sa gloire et promet des représailles à quiconque le contredirait.

Si la charte avait réellement eu pour objet l’avènement de la réconciliation, elle aurait fait retour au droit, c'est-à-dire à une loi égale pour tous, dans ses incriminations et ses mesures d’amnistie, seule susceptible de rassembler dans l’apaisement. Dès lors qu’elle proclame un ordre dissymétrique, avec un vainqueur et un vaincu, un camp vertueux et un camp maudit, elle entérine et perpétue la logique de l’affrontement. Cela confirme que le droit n’a en fait jamais été en cause : il n’a pas préexisté à l’affrontement, qui l’aurait fait succomber. Il n’a, dans la société, aucun point d’ancrage originaire vers lequel il pourrait revenir pour établir, selon ses critères, la vérité du conflit. Cette vérité va de ce fait être prononcée par un discours politique unilatéral et partial qui entérine en le prolongeant un rapport de forces explosif.

Quelle amnistie ?

On ne peut pas comprendre la déclaration du ministère des affaires étrangères faite en réaction au renvoi du général Nezzar devant la justice suisse[3] si on n’a pas analysé la charte.

Il est en effet remarquable que cette réaction officielle ne comporte aucune argumentation juridique alors même que la procédure en cours contre Nezzar est tout entière sous-tendue par une approche judiciaire complexe. La seule allusion que la déclaration algérienne fait à ce point précis est celle qui lui fait dire « que l’indépendance de la justice ne justifie pas l’irresponsabilité et qu’un système judiciaire quel qu’il soit s’arroge le droit absolu pour juger des politiques d’un État souverain et indépendant ».

La déclaration laisse donc entendre que la démarche de la justice helvétique ne vise pas des actes criminels mais une « politique ». Cette position s’explique par le fait que le régime algérien a conscience que l'ordonnance du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation n’est pas tout à fait une loi d’amnistie comme il a voulu le faire croire et qu’elle ne peut dès lors pas être invoquée pour opposer à la Suisse une initiative d’apaisement souverainement décidée par la loi algérienne.

Elle traite en effet de façon séparée les actes terroristes et les actes de répression entrepris par les autorités et notamment les services de sécurité.

1° - L’amnistie proprement dite ne s’applique, en vertu de son article 2 et à quelques exclusions près, qu’aux auteurs d’actes terroristes. Cet article dispose que « l’action publique est éteinte à l’égard de toute personne qui a commis un des faits prévus » par les articles 87 bis à 87 bis 10 du code pénal. Or, sous ces articles, se déguisent les articles 1 à 10 du décret 92/02 relatifs à la lutte antiterroriste, intégrés au code pénal par une ordonnance du 25 février 1995. Les mesures d’amnistie (mais aussi de grâce) prises par l’ordonnance 06/01 ne concernent donc que les actes de terrorisme.

2° - S’agissant des actes commis dans "la lutte antiterroriste", il n’était absolument pas question que la loi de 2006 évoque à propos de leurs auteurs une amnistie ou par euphémisme une extinction de poursuites (qui n’ont d’ailleurs jamais été engagées). Ils font l’objet d’un chapitre distinct intitulé « Mesures de mise en œuvre de la reconnaissance du peuple algérien envers les artisans de la sauvegarde de la République Algérienne Démocratique et populaire ».

Sous cet intitulé, on peut lire notamment l’article 45 libellé comme suit :

« Aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l'encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la Nation et de la préservation des institutions de la République algérienne démocratique et populaire ».

Il est ainsi signifié clairement que, pour les membres des « forces de défense et de sécurité », l’amnistie est hors de propos puisqu’aucun crime ne peut leur être imputé. Bien au contraire, ils ont contribué, selon l’article 44, « à sauver l'Algérie et à préserver les acquis de la Nation », ils « ont fait acte de patriotisme ». L’article 45, il convient d’insister sur ce point, considère que les membres des forces de sécurité, et a fortiori Khaled Nezzar qui les a commandés pendant une période, étaient des patriotes insoupçonnables. Ce n’est pas tant un article de loi qui est ainsi édicté qu’un article de foi qui confère aux appareils sécuritaires algériens la sacralité que le dogme de l’immaculée Conception inventé par l’Église catholique applique à la conception de la Vierge Marie réputée « sans tache » et donc exempte du péché originel qui afflige l’humanité tout entière.

On comprend dès lors que le communiqué du ministère des affaires étrangères n’ait pas invoqué contre la décision de la justice helvétique l’argument de l’amnistie : la loi de 2006 n’amnistie pas les services de sécurité puisqu’elle ne reconnaît pas d’autres crimes que ceux des terroristes. Le régime se prive ainsi d’un argument qui a permis à de nombreux États de déroger au principe selon lequel les crimes internationaux (et notamment les crimes contre l’humanité) ne sont pas susceptibles d’amnistie. A titre d’exemple, l’Afrique du Sud de Mandela a pu faire admettre par les Nations-Unis les mesures d’amnistie qui avaient conclu les travaux de sa commission Vérité et Réconciliation. Il est vrai que les crimes concernés, bien qu’imputables à des personnes, sont généralement considérés comme des « crimes de système » que seule la pleine coopération de toute la logistique d’État rend possibles. Or, le système d’apartheid avait été préalablement abattu sans espoir de retour et l’amnistie de ses crimes, précédée de leur identification, n’était pas un acte de faiblesse susceptible de favoriser sa résurrection. Au contraire, la charte algérienne sur la paix et la réconciliation couronnait le triomphe du « système » algérien dans la négation de tout crime qu’il aurait commis.

L'aveu qui affleure sous le déni

Mais cette négation des crimes d’État est exprimée d’une bien curieuse manière qui vaut implicitement une incrimination, c’est là une des curiosités de l’ordonnance algérienne de 2006. Son article 45 qui rejette toute incrimination possible de ces services est rédigé dans des termes qui, loin d’en servir le dessein, jette implicitement la suspicion sur leurs actes. Comme si la vérité que les rédacteurs voulaient enfouir avait affleuré malgré eux sous leur plume.  L’article, dont j’ai rappelé le libellé plus haut, dit en effet écarter toute poursuite contre des membres des services de sécurité pour « les actions menées en vue » de fins particulièrement légitimes. Ce qui conduit à se poser la question suivante : pourquoi envisager, même pour l’exclure, que les membres des services de sécurité puissent faire l’objet de poursuites pour les actions les plus nobles qui soient qui sont énumérées (protection des personnes et des biens, sauvegarde de la Nation, préservation des institutions) ? Cet article ne figure-t-il pas dans un chapitre consacré à « la mise en œuvre de la reconnaissance du peuple » envers eux ? N’y a-t-il pas plus généreuse reconnaissance due aux « artisans de la sauvegarde de la république » que de renoncer à les poursuivre, c'est-à-dire de faire tacitement peser une suspicion sur la légalité de leurs actes ? Le texte est pour le moins vicié par l’antiphrase sur laquelle il se construit (sans la moindre intention d'ironiser!).

Les poursuites légales ne sauraient être, en bonne langue juridique, associées qu’à des délits et des crimes. Lorsque des actions menées en vue de buts légitimes sont évoquées, on présume que ces actions sont légalement conformes à leurs buts et que nul ne saurait songer à poursuivre leurs auteurs. Pour rendre le propos juridique conséquent, il aurait fallu parler de crimes et non d’actions. Mais le droit est ici captif du discours et il n’était pas question que le pointillisme sémantique vienne ruiner une œuvre de dissimulation et de déni de quinze ans. D’autant que l’hymne à l’abnégation des agents de l’État est en réalité dédié aux plus hautes autorités : c’est à elles que doit aller la reconnaissance que la charte incite le peuple à manifester.

Mais outre qu’elle s’exprime dans des termes qui s’apparentent à un aveu de culpabilité, l’occultation par la loi de 2006 des crimes commis par les services de sécurité de l’État pendant la décennie noire prive aujourd’hui le gouvernement algérien de tout argument de droit tiré de sa législation. Devant le fait indéniable qu’une poignée de victimes a saisi les juridictions suisses d’actes de torture subis dans leur chair sous la responsabilité de Khaled Nezzar, l’Algérie ne peut même pas tenter de faire valoir la souveraineté de sa loi et la légitimité de mesures d’amnistie qu’elle aurait édictées. Car, pour amnistier les crimes commis par ses appareils et ses agents, il aurait fallu que le régime en reconnaisse la réalité. Et il se trouve qu’un semblant de reconnaissance (d’ailleurs simultanément minimisée !) de cet ordre ne peut être lu dans la charte qu’une seule et unique fois lorsqu’elle prétend à propos des disparitions que « les actes répréhensibles d’agents de l’État ont été sanctionnés par la justice chaque fois qu’ils ont été établis[4] ».

Comme elle a nié purement et simplement ces crimes, la charte ne peut opposer à la fois aux victimes et aux autorités suisses qui ont décidé de les entendre qu’un récit politique creux et incohérent. Le régime s’en trouve acculé à se payer de mots et à reprocher à la justice helvétique, dans les termes utilisés par le ministère des affaires étrangères, de procéder « à une lecture révisionniste de l’histoire de notre pays durant les années 90 ».

Un reproche décoché bien imprudemment et que la réalité historique de cette période renvoie comme un boomerang à son expéditeur.


[1] Dans son édition du 3 août 2004, Le Soir d’Algérie, qui a pourtant toujours surenchéri sur les thèses du pouvoir, écrit à ce propos : « Les débats qui auraient dû permettre d’en savoir plus sur le carnage qui avait fait au moins 240 morts, n’auront finalement pas tenu leurs promesses. Après l’audition des neufs accusés et de quelques témoins, plusieurs questions sont restées sans réponse » (Article intitulé Bentalha : Dossier clos ?).

[2] Le ministère public suisse a annoncé, le 28 août, la mise en accusation de Khaled Nezzar et son renvoi devant le tribunal pénal fédéral. https://trialinternational.org/fr/latest-post/algerie-le-general-khaled-nezzar-sera-enfin-juge-en-suisse-pour-crimes-de-guerre-et-crimes-contre-lhumanite-2/

[3] Rendue publique par l’APS le 31 août 2023 sous le titre Affaire de Khaled Nezzar: l'Algérie déplore la lecture révisionniste de la justice suisse.

[4] Ce qui est faux car, comme l’avait souligné lors de la publication de la charte l’Association des familles de disparus (ANFD) dans une déclaration rendue publique le 20 août 2005, « pas une seule plainte contre des agents de l’Etat n’a abouti et cela est connu de tous. Toutes les demandes auprès des tribunaux ont abouti à des non-lieu ».

 

 

dimanche 24 septembre 2023

QUAND UNE OLIGARQUE DE PACOTILLE ADRESSE DES MESSAGES AU PEUPLE ALGÉRIEN


 

Khaled Satour

Les plus âgés d’entre nous ont vécu le temps où les gouvernants algériens disaient que l’État algérien était celui des travailleurs. Ils ont plus ou moins cru à la véracité de cette assertion. Pour ma part, j’ai toujours su que ce n’était qu’un slogan destiné à faire croire que les intérêts des travailleurs étaient suffisamment représentés par les appareils de l’État, dévoués à leur bien-être, pour que les intéressés soient dissuadés de les défendre eux-mêmes.

A l’apogée du socialisme algérien, dans les années 1970, les travailleurs avaient donc dû se contenter d’assemblées consultatives créées dans les entreprises publiques pour leur permettre de donner de vagues avis et recommandations préalablement à la prise de décision monopolisée par les technocrates d’État. Hors de l’entreprise, les salariés étaient parallèlement dépossédés de tout droit de contestation et leur syndicat, inféodé au pouvoir, n’avait d’autre mission que de les réduire au silence et de tuer dans l’œuf toute velléité de protestation qui pouvait les tenter.

De l’État des travailleurs à l’État du patronat

L’Algérie est aujourd’hui entrée de plain-pied dans l’ère du libéralisme et l’État est désormais celui du PIB et des « investisseurs » privés. Et il s’avère que les patrons ont plus de ressources pour résister à leur État que les travailleurs n’en avaient pour s’imposer au leur. La raison en est simple : l’État des travailleurs avait déjà une fibre bourgeoise « rentrée » qui le rendait allergique à toute rébellion ouvrière. Mais depuis qu’il assume ouvertement son caractère capitaliste, il est beaucoup plus conciliant avec les intérêts qu’il représente, ce qui ouvre au patronat un champ d'action et d'expression autrement plus large.

Cela ne met pas pour autant fin à toutes les confusions. S’il surplombait par le passé les classes populaires dont il se prétendait le représentant, puisqu’il leur était extérieur et qu’il était étranger à leurs intérêts, l’État est aujourd’hui fortement impliqué dans les luttes sourdes qui agitent les couches arrivistes avides de consommer la rente. Ces luttes s’articulent sur les lignes de clivage qui déterminent les rapports de force entre les clans du pouvoir lui-même, de sorte que le combat acharné auquel se livrent les différentes fractions du patronat répercute les conflits qui se déroulent au sommet du pouvoir.

On a pu s’en apercevoir récemment à l’occasion de l’irruption tonitruante et tout à fait inattendue de Saïda Neghza sur la scène politico-médiatique. La présidente de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA) a adressé au président Tebboune le 5 septembre dernier une lettre dans laquelle elle protestait avec véhémence contre les amendes infligées par un « comité ministériel » chargé de contrôler et de sanctionner les pratiques de fraude fiscale des entreprises.

Or, quoi qu’on puisse objecter à la constitution de ce comité, la mission qui lui était dévolue se justifiait par le fait que le manque à gagner imputable à l’évasion fiscale avait atteint selon le rapport de la cour des comptes publié en 2021 un montant annuel en dinars équivalent à 50 milliards de dollars auquel il faut ajouter l’équivalent de 7 milliards de dollars d’avantages fiscaux accordés aux entreprises[1].

Mme Neghza n’en a pas moins osé demander au président de la République d’effacer les amendes infligées et de tolérer l’évasion fiscale parce que, selon elle, il faut « prendre en compte les particularités du pays ». Elle considère en outre qu’il faut éviter de mettre « en faillite les opérateurs concernés, en vendant ou en fermant leurs usines et en mettant des milliers de travailleurs au chômage »[2].

« Des hommes portant des casquettes »

Violemment critiquée pour cette initiative par l’APS le 10 septembre[3], la présidente de la CGEA a répliqué en interpellant le directeur de l’agence dans les termes virils qui convenaient pour bien marquer sa pleine appartenance au sérail, le menaçant, dans un message enregistré que ce dernier a rendu public, de lui « baisser le pantalon sur la place des Martyrs » et précisant qu’elle n’avait rien à craindre de personne tant qu’il existerait en Algérie « des hommes portant des casquettes ».

Elle dévoilait ce faisant le dessein qui était le sien : battre le rappel des soutiens dont elle bénéficie au sein de la hiérarchie militaire et qui sont hostiles au comité ministériel de contrôle institué par Abdelmadjid Tebboune. Celui-ci a bien reçu le message et, sans daigner (ou oser ?) répondre à celle qui l’avait interpellé, a choisi d’exaucer ses veux en annonçant le 18 septembre qu’il « gelait » le processus d’évaluation fiscal des entreprises, même si, pour sauver la face, il a préféré le signifier aux dirigeants d’une organisation patronale rivale de celle de Mme Neghza, le CREA[4].

Tels sont les termes dans lesquels sont verbalisés puis traités certains des conflits qui secouent les deux sphères du pouvoir et du business que l’État du PIB et du patronat réunit dans le pillage des ressources du pays. L’oligarchie militaire en demeure l’arbitre en dernier ressort mais elle autorise à l’occasion des oligarques de pacotille comme Saïda Neghza à concevoir quelques illusions sur leur toute-puissance.

Et la présidente de la CGEA se laisse si bien prendre au jeu qu’elle a cru avoir la stature qu’il faut pour s’adresser directement via Facebook « au peuple algérien » et lui demander de l’excuser pour ses excès de langage tout en maintenant sa position et en sacrifiant à l’usage hautement politique consistant à rendre hommage aux moudjahidine et aux chouhada!

Exit l’État des travailleurs. Bienvenue au patronat du peuple.