dimanche 28 avril 2024

L’EXPULSION DE FARID ALILAT, UN OUTRAGE FAIT A LA NATIONALITÉ ALGÉRIENNE

Le temps où la nationalité algérienne n'existait pas: déportation d'Algériens en Nouvelle-Calédonie
 

Khaled Satour

Personne ne peut nier que l’expulsion d’Algérie du journaliste algérien Farid Alilat, retenu à l’aéroport d’Alger pendant une vingtaine d’heures avant d’être mis d’autorité dans un avion qui le ramenait vers son pays de provenance, la France, le 13 avril dernier, était illégale[1].

Outre qu’elle était contraire à l’article 49 de la constitution algérienne de 2020 qui énonce que le droit d'entrée et de sortie du territoire national est garanti au citoyen et que « toute restriction à (ce droit) ne peut être ordonnée que pour une durée déterminée par une décision motivée de l'autorité judiciaire », elle contrevient à l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et à l’article 12 du pacte international des droits civils et politiques de 1966 qui affirme avec une vigueur redoublée que « nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays ».

Mais la référence au droit a perdu toute pertinence. Nous sommes tous lassés des critiques qu’il permet de faire des atteintes aux droits et libertés que multiplie l’État algérien contre ses ressortissants. Il nous suffit donc de savoir que l’arbitraire est la règle et les accès d’impartialité et de justice de telle ou telle juridiction ou autorité de l’État si rares qu’ils provoquent à chaque fois un sentiment proche de la stupéfaction. Les débats de juristes sont devenus superflus, il faut les clore jusqu’à nouvel ordre.

Au-delà de l’illégalité, l’illégitimité

C’est d’ailleurs peu dire que cette mesure était illégale. Il faudrait l’aborder sur un tout autre plan pour lui restituer son authentique gravité, qui est de l’ordre de l’illégitimité.

Ce qui est bien sûr le plus important dans cette affaire, c’est que Alilat est algérien et que la décision prise à son encontre porte atteinte à l’une des libertés fondamentales attachées à la nationalité qui est la sienne. Et comme ce n’est pas son cas particulier qui m’intéresse ici, encore moins sa qualité de journaliste à Jeune Afrique qui a autorisé certains crânes de piaf à se féliciter de sa mésaventure, j’ajouterai que cette mesure nuit à l’intégrité de la nationalité algérienne et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle se répète pour que nous nous sentions interpellés.

Le droit fondamental qui a été piétiné par l’expulsion d’Algérie de Farid Alilat est reconnu à la fois par les déclarations et pactes internationaux et par la constitution algérienne, mais par sur le même fondement. Du point de vue international, ce droit est certes rattaché à la qualité de ressortissant algérien mais il a un caractère universel car on considère que c’est un droit naturel reconnu à tous les individus à l’égard des Etats dont ils sont les ressortissants. Il n’y a en l’espèce aucun profit à l’invoquer car, au regard du sort fait aux droits de l’homme en Algérie, brandir les conventions internationales ratifiées par le pays est devenu une pure et simple platitude.

En revanche, du point de vue de la constitution algérienne, ce droit ne doit rien à la nature et tout à l’histoire. Il est indétachable du récit national et du combat mené par l’Algérie pour arracher un Etat doté d’une constitution souveraine qui serait la matrice d’une nationalité conquise par une communauté que la France coloniale avait réduite à une foule de sujets anonymes de son empire.

Histoire, nation, nationalité

Lorsque, en tant que ressortissant algérien résidant à l’étranger, je rentre dans mon pays, je n’ai jamais à l’esprit que j’exerce un droit reconnu par les conventions internationales. J’ai seulement conscience que j’annule la distance qui me séparait sur un plan strictement spatial d’un pays dont l’éloignement n’a jamais aboli le lien d’appartenance qui me rattache à lui. Je réintègre physiquement un « chez moi » que je n’ai en fait jamais quitté.

Mais si on venait à cet instant précis de la retrouvaille me dire que je ne fais en somme qu’exercer un droit naturel de rentrer chez moi, si donc on m’incitait ainsi à réfléchir sur ce retour, je répondrais que ce droit ne doit rien à la nature mais tout à l’histoire. C’est l’histoire de l’Algérie, notamment celle de la formation de la nation dont tous les Algériens (du passé, du présent et de l’avenir) sont réputés avoir été les acteurs, qui permet aujourd’hui que je réintègre mes pénates à chaque fois que je l’ai décidé. Et je n’ai pas à craindre d’en être empêché par une autorité qui aurait fait de moi un étranger sur ma terre et qui aurait toute latitude de m’éloigner en me bannissant ou m’exilant vers l’une de ses provinces lointaines, comme elle l’a fait pendant des décennies à mes ancêtres.

La seule constitution qui compte

J’ai acquis par la constitution de mon pays et la nationalité qu’elle me confère un droit inaliénable d’être en Algérie dont la source se trouve dans mon appartenance ininterrompue à une communauté nationale, et ce par-delà le cycle de mes absences et de mes présences physiques dont la fréquence est laissée à ma seule appréciation.

Et je précise que la constitution que j’invoque ici n’est certes pas celle du 30 décembre 2020 ni aucune des constitutions formelles qui l’avaient précédée depuis celle de 1963, dont aucune n’a su se hisser à la hauteur de l’histoire, mais l’acte primordial qui a fait accéder l’Algérie au concert des nations : la proclamation de l’indépendance par le gouvernement provisoire de la République algérienne du 5 juillet 1962. Elle est l’acte fondateur, l’expression originelle du pouvoir constituant du peuple qui a donné naissance à l’Algérie en tant qu’État souverain et conféré la nationalité algérienne à tous ses ressortissants présents et à venir. Elle est aussi l’acte par lequel ils ont obtenu « le droit d’avoir des droits ». Un droit qui transcende la volonté des gouvernants actuels qui n’ont pas, et la chaîne nombreuse de leurs exécutants pas davantage, la taille assez haute pour se hisser à son niveau.

En tant qu’acquis de l’histoire collective de la nation, c’est un droit qui ne doit rien à la loi internationale et à son universalité, il est au contraire relatif et circonscrit par définition. Et si on voulait à tout prix le rattacher à l’universel, ce serait strictement à celui qui exige que ce droit soit garanti à tous les ressortissants algériens, abstraction faite de la particularité des cas et des circonstances. Il s’agit en effet d’une matière si sensible qu’aucune exception ne saurait être tolérée sans que la règle tout entière ne s’écroule.

C’est dire que l’expulsion de Farid Alilat, si indolore qu’elle puisse paraître en comparaison de l’actuelle répression généralisée des libertés civiques, n’aurait pas dû nous laisser indifférents. Nous aurions dû nous sentir collectivement menacés dans notre commune nationalité.

Pourquoi est-ce que ce ne fut pas le cas ? Et que nous dit cette indifférence de notre niveau de conscience politique ? Ce sont des questions que je laisserai en suspens.


[1] Voir l’article publié par Le Monde le 15 avril 2024 sous le titre Le journaliste Farid Alilat affirme avoir été expulsé d’Algérie. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/04/15/le-journaliste-farid-alilat-affirme-avoir-ete-expulse-d-algerie_6227999_3212.html

 

 

samedi 27 avril 2024

LOBBY SIONISTE : DE LA PROPAGANDE PÉPÈRE À LA VIOLENCE POLICIÈRE


 


Khaled Satour

Ce que l’on observe actuellement dans les sociétés occidentales, et notamment dans les universités, est un revirement de l’opinion sans précédent, très marqué aux États-Unis. Le soutien à Israël était jusqu’à présent obtenu, à coups de millions de dollars de financement des universités, par le lobbying idéologique exploitant le tabou de l’antisémitisme et le consensus assimilant la résistance palestinienne au terrorisme.

L’hypermnésie entretenue autour du génocide juif des années 1940 était constamment dédiée à une identification d’Israël aux victimes de « l’Holocauste » qui érigeait autour de cet État par les seuls moyens de la persuasion une barrière l’immunisant contre toute attaque.

Mais voilà que soudain l’argument de l’antisémitisme, auquel s’ajoute en France aussi bien qu’en Amérique celui d’apologie du terrorisme, ne fonctionne plus que par la répression policière qui s’abat notamment sur les campus américains les plus prestigieux, dont celui de Columbia qui est à la pointe du combat.

La substitution de la violence policière à une propagande pépère qui avait jusque-là suffi à décourager toute critique d’Israël est le signe indéniable que le lobby sioniste est en train de subir en terre alliée un échec historique. L’adhésion à la politique israélienne et l’unanimité qui s’était constituée autour du sionisme ont volé en éclat. Rien ne l’indique mieux que la résolution que la chambre des représentants a dû voter la semaine dernière pour condamner comme antisémite « la devise "Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre" ». Le Parlement américain en est réduit à enseigner son catéchisme, comme une vulgaire hiérarchie cléricale !

Alors que jusqu’à présent le consensus pro-israélien semblait relever de la nature des choses et même, aux États-Unis, participer pleinement d’une conception du patriotisme américain que les Républicains et les Démocrates ont en partage, il semble qu’il ne soit plus désormais possible que d’en recoller les morceaux au prix d’atteintes graves à l’État de droit et à l’exercice de la sacro-sainte liberté d’expression. Les images de professeurs d’université menottés, jetés à terre et malmenés par la police sur les campus produisent à cet égard un effet dévastateur.

Les pressions financières et politiques exercées contre les présidents des universités les plaçant dans une position intenable, contraints qu’ils sont d’arbitrer entre les franchises universitaires dont ils sont les garants et la menace d’être jetés en pâture à la calomnie, incitent aux pires escalades : la présidente de Columbia a dû requérir l’intervention musclée des forces de l’ordre et menace de faire appel à la garde nationale. Or, le souvenir du carnage provoqué par l’intervention de ces unités fédérales à l’université de Kent State en 1970 pendant les manifestations contre la guerre du Vietnam hante encore les mémoires.

Il est difficile de prévoir si cette agitation universitaire risque réellement de prendre les proportions qu’elle atteignit à la fin des années 1960, comme on l’affirme, me semble-t-il, un peu prématurément. Il y avait alors des ingrédients nombreux et divers qui favorisaient la déflagration (la guerre du Vietnam et les GI’s qui y trouvaient la mort, le combat pour les droits civiques, un puissant désir de changer la société).

Pour l’instant, les étudiants révoltés, notamment dans les universités qui forment l’élite (Columbia, Yale, Harvard, Vanderbilt, New York University, MIT, etc.) demeurent dans le giron des puissances technologiques et financières qui coopèrent aux projets « académiques » des établissements qui les accueillent. Ils ne semblent pas près de contester les privilèges que leur vaut leur insertion dans l’économie néolibérale et commencent à peine à prendre conscience de leur compromission de classe avec le complexe militaro-industriel dévoué à Israël.

Il n’est pas sûr non plus que cette révolte puisse être d’un quelconque secours sur le terrain pour les Palestiniens de Gaza, menacés par l’imminence d’une attaque contre Rafah aux conséquences encore plus meurtrières que tous les massacres déjà commis par Israël depuis le 7 octobre.

Mais une chose est sûre : Israël a fini de se comporter dans ses provinces d’outre-Atlantique comme en terrain conquis.

jeudi 25 avril 2024

RAFAH : GROS MASSACRES ENTRE VOISINS

Une vue des campements de Rafah où s'entassent un million et demi de déplacés

 

Khaled Satour

Israël prépare activement son attaque contre Rafah. Une attaque, présentée comme « imminente », « inévitable », qui tournera forcément au massacre parce qu’Israël ne sait pas faire autrement et parce que toutes ses guerres ne sont qu’un prétexte au massacre.

Mais il veut donner l’illusion qu’il va épargner les civils. Et c’est la raison pour laquelle il s’accorde deux semaines pour évacuer un million et demi de personnes vers des enclaves dites « humanitaires » et notamment vers Khan Younès où il serait prévu d’installer « des équipements médicaux tels que des hôpitaux de campagne ».

Le monde est supposé croire qu’Israël, qui vient de réduire en ruines fumantes l’hôpital de Khan Younès faisant de son site une gigantesque fosse commune d’où ont été retirés plus de 300 civils massacrés, décapités, écorchés, vidés de leurs organes, après avoir été sauvagement torturés, se préoccupe d’assurer en ce lieu aux réfugiés les conditions de sécurité et de santé requises[1].

La fosse commune de Khan Younès aux abords de l'hôpital Al Nasser dévasté par l'armée israélienne

En tout cas la presse occidentale se fait un devoir de nous en convaincre alors qu’en réalité le transfert massif qui s’annonce est un élément à charge contre Israël qui étaie la thèse du génocide. Les familles palestiniennes ont en effet déjà été chassées plusieurs fois sous les bombardements vers des lieux successivement décrétés comme sûrs avant de se regrouper à Rafah où elles continuent à être massacrées sans relâche. La sinistre chasse à courre dont elles n’ont pas cessé d’être la proie constitue une chaîne ininterrompue de crimes de guerre. Ceux d’entre les survivants qui ont tenté de rejoindre leurs demeures du Nord ont été fauchés par la mitraille au cours de ce mois d’avril. 

Qu’elles soient en mouvement à la recherche d’un hypothétique lieu sûr ou qu’elles se résignent à s’établir quelque part pour reprendre leur souffle, elles n’échappent pas à la mort programmée par la soldatesque sioniste. On peut donc affirmer avec certitude que, sur la route de Khan Younès où on veut les lancer en masse ou lorsqu’elles seront arrivées à destination dans « les enclaves humanitaires » qu’on leur prépare, elles seront exposées à toutes les formes de mort violente dont Israël a désormais raffiné les procédés.

Tout le monde le sait et pourtant Israël parle de ses préparatifs d’attaque contre Rafah comme s’il annonçait un banal nettoyage de printemps auquel on procède avec l’aide de toutes les bonnes volontés du voisinage qui aident en toute convivialité à dégager les espaces où les tapisseries, les meubles et les encombrants de toutes sortes vont être entreposés afin de libérer les lieux qui seront nettoyés à grande eau.

Nul ne semble s’aviser que le mobilier gênant est constitué par des centaines de milliers de civils Palestiniens exténués qui repartent pour un tour qui sera sans doute le dernier pour nombre d’entre eux. Cela se passe dans la concertation la plus routinière avec l’Égypte comme si Israël ne constituait avec son voisin égyptien qu’une paisible communauté villageoise unie par des liens de solidarité anciens et une tradition de coopération pacifique.  Ce nettoyage de printemps fait en effet l’objet de consultations entre l’état-major israélien et les services de renseignements d’Al Sissi réunis depuis mercredi en conclave au Caire.

Selon des responsables égyptiens cités par le Wall Street Journal, l’évacuation des civils de Rafah vers Khan Younès bénéficiera aussi de l’active participation des Etats-Unis, des Emirats et d’autres pays arabes[2].

Ainsi donc, trois mois après l’ordonnance rendue par la Cour internationale de justice accordant à Israël un délai d’un mois pour justifier de mesures destinées à écarter le risque de génocide et une trentaine de jours après la résolution du Conseil de sécurité exigeant un « cessez-le-feu immédiat », l’armée d’occupation s’apprête à mettre la dernière touche à Gaza à la solution finale qu’elle ne cesse d’annoncer depuis plusieurs semaines.

Et tout le monde y adhère de bon cœur : les régimes arabes qui partagent sa volonté d’éradiquer la résistance armée, l’Autorité palestinienne qui, soucieuse de préserver les miettes de pouvoir et de ressources tirées des accords d’Oslo, se confine dans un silence complice et les États-Unis dont le Parlement vient de voter au profit de l’armée criminelle un crédit de 13 milliards de dollars.

Le monde entier est prêt à aider Israël à se débarrasser des organisations de la résistance armée palestinienne. Une seule voix manque à l’unanimité : celle de ladite résistance. Qui aura son mot à dire.


[1] Voir l’article repris de l’AFP et publié par Times of Israël le 24 avril sous le titre :  Israël prévoit de déplacer les civils de Rafah vers Khan Younès – responsables égyptiens. https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/israel-prevoit-de-deplacer-les-civils-de-rafah-vers-khan-younes-responsables-egyptiens/

[2] Voir l’article publié le 23 avril par l’Orient Le Jour sous le titre : Les EAU et l’Égypte se prépareraient à « coordonner » avec Israël l’évacuation de Rafah.

https://www.lorientlejour.com/article/1411402/les-eau-et-legypte-se-prepareraient-a-coordonner-avec-israel-levacuation-de-rafah.html