samedi 26 février 2022

UNE AFFAIRE DE DISSOLUTION, ICI ET LÀ

 

Khaled Satour

L’attaque lancée par l’armée russe sur l’Ukraine ne peut susciter que la réprobation et l’indignation pour la seule et bonne raison qui vaut pour toutes les agressions militaires dirigées contre les pays et les peuples de la terre, où qu’ils se trouvent : les drames humains qu’elle provoque déjà, dont le moindre n’est pas l’exode de dizaines de milliers d’Ukrainiens désemparés et terrorisés venus grossir le rang des réfugiés qui errent sur les routes et les mers du monde.

De ce point de vue, toutes les entreprises d’occupation militaires sont injustifiables. Et on ne peut condamner les atteintes à la souveraineté des nations et à la sécurité de leurs peuples de manière sélective. Quand on prétend se placer sur le terrain du droit international, dont le principe cardinal est la préservation de la paix et de la souveraineté des Etats, ou sur celui des droits humains, qui protègent la vie et la dignité des individus et des communautés, le seul universalisme qui vaille est celui qui transcende les appartenances civilisationnelles et les chauvinismes continentaux.

Or, l’agression perpétrée par la Russie contre l’Ukraine fournit une nouvelle occasion de vérifier à quel point l’universalisme de la France républicaine se révèle étriqué à chaque fois qu’il est mis à l’épreuve de la pratique.

D’une part, en effet, la France se mobilise, au sein de l’Union européenne et de l’OTAN, pour infliger à la Russie un train de sanctions (économiques, financières et même sportives) sans précédent et pour débattre de l’aide militaire qu’il faut à tout prix apporter à la résistance ukrainienne. Et, d’autre part, simultanément, Emmanuel Macron, loin que ces événements lui fassent perdre le Nord électoral, vient de demander à son ministre de l’intérieur de préparer la dissolution du Collectif Palestine Vaincra et du Comité Action Palestine, qui soutiennent en France la résistance palestinienne.

Le Collectif Palestine Vaincra est coupable d’avoir lancé récemment la campagne « #Palestine2022 » qui se donne pour objectif de « dénoncer la collaboration des gouvernements français avec l’apartheid israélien » et d’« inviter le sujet de la cause palestinienne dans les débats de l’élection présidentielle ». Aux yeux de Gérard Darmanin, ce genre d’initiatives s’apparente à un « appel à la haine, à la discrimination et à la violence » car ce collectif « sous couvert de défendre la cause palestinienne », « cultive le sentiment d’oppression des peuples musulmans (…) dans l’objectif de diffuser l’idée d’une islamophobie à l’échelle internationale ».

Ce qui met en relief encore une fois deux facteurs de la dérive liberticide française. D’abord, la loi séparatisme est bel et bien devenue la boussole qui guide la répression de toute protestation contre l’imaginaire raciste et discriminatoire le plus répandu, qui n’a jamais mieux prospéré que pendant l’actuelle campagne présidentielle. Ensuite, il se confirme que la nouvelle police de la pensée interdit de dénoncer l’islamophobie, forme dominante de la haine et de la discrimination en France, sous peine d’encourir l’accusation d’en appeler précisément à la haine et la violence. Elle sévit d'ailleurs à tort et à travers et, en l’occurrence, son usage révèle dans la mentalité de Gérard Darmanin les raccourcis édifiants qui l’ont conduit à amalgamer le Collectif Palestine Vaincra  avec la contestation de l’islamophobie.

Quant au Comité Action Palestine, il lui est reproché par le ministre d’affirmer « dans sa charte son soutien à toutes les organisations en lutte contre Israël, y compris quand elles font usage de la violence ou de méthodes terroristes ». Autrement dit, la légitimité de la résistance par les armes à l’agression et à l’occupation n’est qu’une affaire de géopolitique. On l'appelle de tous ses vœux  en Ukraine où elle doit bénéficier de l’assistance la plus active venue du monde entier, mais elle est criminalisée en Palestine, tous les soutiens étrangers qu’elle pourrait recevoir, si platoniques qu’ils soient, étant assimilés à du terrorisme.

Gérald Darmanin s’est-il avisé qu’il adoptait le lexique de Vladimir Poutine ? Celui-ci déclarait hier, 25 février, devant le conseil de la Fédération russe :

"Les partisans de Bandera [nationaliste ukrainien ayant collaboré avec les nazis] et les néonazis installent de lourds armements, avec les systèmes de salve directement dans les quartiers centraux de grandes villes, dont Kiev et Kharkov. (…) En fait, ils agissent tout comme les terroristes à travers le monde : utiliser les gens pour accuser la Russie de faire des victimes parmi les civils" (Je souligne).

Un lexique commun va souvent de pair avec une communauté de vues. Et si l’on considère que Poutine accable l’Ukraine encore plus que Darmanin les deux associations pro-palestiniennes, peut-on dissoudre celles-ci et reprocher à Poutine de vouloir dissoudre l’Ukraine ?