jeudi 26 octobre 2023

« CACHEZ CE CRIME DE MASSE QUE JE NE SAURAIS VOIR »


 

Khaled Satour

L’armée israélienne affirme disposer des images de l’attaque des combattants palestiniens du 7 octobre. Elle soutient que ces images donnent à voir la « barbarie » assumée de ces combattants. Mais elle a décidé de ne pas les rendre publiques « pour en épargner la violence aux familles israéliennes ».

Cependant, pour qu’on ne soit pas obligé de la croire sur parole, elle a pensé à en faire un montage de 45 minutes qu'elle a projeté devant un public restreint de « journalistes étrangers » triés sur le volet, ceux là-mêmes qui, depuis une quinzaine de jours, ne se lassaient pas de décrire ces scènes par divination[1].

Des secrétaires de l’armée israélienne

De sorte que le rapport qu’ils font de leur visionnage reprend presque terme à terme ce qu’ils n’avaient pas cessé de répéter auparavant. Ils disent que les images sont atroces, qu’on y voit des femmes, des enfants, des bébés brûlés vifs, des enfants exécutés ou assistant en hurlant à l’assassinat de leurs pères. Ils décrivent des assaillants palestiniens exaltés, fiers de leurs crimes.

Mais ils disent aussi que « le contrat passé avec Tsahal » stipulait qu’ils ne filment pas les images projetées (on les a dépouillés de leurs caméras à l’entrée) et qu’ils ne rendent publique aucune indication sur les lieux des crimes ni aucune précision circonstanciée sur les actes filmés.

En revanche, comme une tribune avait été dressée dans la salle de projection, à laquelle se tenaient des officiers israéliens très bavards, ils ne leur pas été fait défense de rapporter leurs commentaires et compléments d’information. On apprend ainsi que le général Edelstein a interrogé « l’un des terroristes arrêtés » qui a déclaré qu’"il avait l’ordre de faire des otages et de tuer des familles de la façon la plus cruelle possible », afin « qu’Israël comprenne à quel point ils sont diaboliques, ce sont ses propres mots"[2].

Les journalistes ont donc eu droit à la projection d’un montage accompagnée d’une voix off en direct mais aussi d’un « making off » du film. Certains d’entre eux ont sangloté pendant la projection et, d’ailleurs, la mine de ceux qui en ont rendu compte par la suite sur leur antenne était encore marquée par l’affliction.

Convaincus d’avance de l’authenticité des documents, dépourvus de l’expertise requise pour réviser éventuellement leur jugement, otages de leur engagement de taire la part la plus probante des faits allégués et assaillis par l’émotion tout au long de la projection, les spectateurs de cette mise en scène prétendent annoncer au monde la vérité des événements du 7 octobre.

C’est une curieuse conception de l’information que celle qui fait des journalistes les émissaires d’une armée d’occupation en guerre, liés par l’engagement pris de faire le tri, dans ce qu’ils reçoivent dans l’intimité et l’émotion, entre ce qu’ils divulgueront et ce qu’ils tiendront secret ; une conception qui fait d’eux, au sens littéral du terme, les secrétaires de cette armée.

Une propagande par l’omission

Nous avons affaire à une propagande qui se diffuse par l’omission, par le secret ! L’ancienne journaliste Anne Sinclair nous en fournit dans une tribune toute une élaboration théorique. Reprenant la thèse de l’armée israélienne selon laquelle les combattants du Hamas ont adressé aux familles de leurs victimes les images de leurs exactions, elle affirme qu’ils « voulaient allumer un tel sentiment de vengeance dans l’opinion israélienne, que Tsahal ne puisse faire autrement qu’entrer dans Gaza et déclencher tellement de morts, en combattant, que le monde se soulèverait non pas contre leur barbarie à eux, mais contre ces "criminels" d’Israéliens coupables de tuer sans pitié, femmes et enfants ».

En revanche, poursuit-elle, en passant à un « nous » qui implique en même temps qu’elle-même dans la décision d’Israël un collectif non-identifié, « ces images, nous ne les avons pas montrées. Le faire nous aurait mis au niveau de ceux que nous combattons, qu’ils soient les assassins de Samuel Paty, de Dominique Bernard, des journalistes de "Charlie", des jeunes gens du Bataclan, ou des familles juives d’Israël ».

Des bombardements humanitaires

Et, en dépit de son mépris pour cet ennemi qui exhibe ses morts si honteusement, marquant une bonne fois pour toutes la supériorité morale d’Israël et de ses soutiens, elle exprime la compassion que lui inspirent les victimes du massacre que « Tsahal » est poussée à perpétrer à Gaza, au nom d’une obligation éthique à laquelle elle ne pouvait se soustraire :

« En revanche nous voyons tous les jours les images de Gaza, de ces malheureux sous les bombardements, certes ciblés mais qui touchent évidemment des civils innocents. La vision du désastre humanitaire de ces familles réfugiées au sud, victimes et otages elles-mêmes du Hamas – oui, otages, répétons-le pour ceux qui ont du mal à l’entendre – nous étreignent, même si l’anti-israélisme ambiant les empêche de reconnaître qu’aucune autre armée au monde ne préviendrait à l’avance de ses attaques[3] ».

Voilà à quoi conclut la pudique « propagande par le secret » imaginée par Israël : la guerre qui se déroule actuellement dans les territoires palestiniens est une guerre terroriste menée par le Hamas contre les Israéliens et les Palestiniens, puisqu’il massacre et prend en otages dans les deux camps. Si Israël y a engagé son aviation et tout l’arsenal de destruction mis à sa disposition par les États-Unis, c’est uniquement parce que, n’écoutant que son légendaire sens moral, il a décidé d’infliger aux terroristes le châtiment qu’ils méritent, en protégeant autant que possible les civils des deux camps.

Belle construction de l’esprit, d’esprits supérieurs. Mais nous autres, esprits simples, préférons les explications simples : Israël ne dispose d’aucun élément de preuve dont la divulgation puisse attester que les actions menées le 7 octobre par les résistants palestiniens seraient si peu que ce soit comparables en horreur et en inhumanité avec l’entreprise d’extermination qui ne fait que commencer à Gaza.

Et Anne Sinclair aurait donné cher pour que les images de Gaza, qui ruinent l’image qu’elle tente de donner d’Israël, soient frappées du même embargo que celles du 7 octobre. Si elle réprouve avec une telle véhémence le spectacle public de la tragédie palestinienne, c’est parce qu’il suscite en elle un cri qu’elle doit réprimer à tout prix : « Cachez ce crime de masse que je ne saurais voir ».


[1] Massacres du 7 octobre : Tsahal dévoile des vidéos insoutenables tournées par les djihadistes du Hamas, Le Figaro, 23 octobre 2023 : https://www.lefigaro.fr/international/massacres-du-7-octobre-tsahal-devoile-des-videos-insoutenables-tournees-par-les-djihadistes-du-hamas-20231023

[2] Israël-Hamas : des images diffusées par Tsahal montrent les massacres commis par les terroristes, Europe 1, 24 octobre : https://www.europe1.fr/international/israel-hamas-des-images-diffusees-par-tsahal-montrent-les-massacres-commis-par-les-terroristes-4210647

[3] « Les massacres et les images de massacre. Celles qu’on masque, celles qu’on diffuse », par Anne Sinclair, L’Obs du 24 octobre : https://www.nouvelobs.com/opinions/20231024.OBS79912/les-massacres-et-les-images-de-massacre-celles-qu-on-masque-celles-qu-on-diffuse-par-anne-sinclair.html

 

 

4 commentaires:

  1. Grand merci à vous Monsieur Sator de dénoncer inlassablement et avec une rigueur intellectuelle rare les crimes de l'état sioniste et de sa nauséabonde propagande médiatique reprise à grande échelle par tous les médias occidentaux et leurs relais sionistes en France et en Europe, madame Anne SinClair en est le porte-drapeau. Pour ma part j'ai entendu un journaliste nous racontait , et toujours selon les déclarations des officiers de renseignement de Tsahal, que les "terroristes" sont venus "massacrer" les israéliens civils tout en ayant sur eux les plans , les recommandations pour tuer et même les promesses écrites noir sur blanc de 10 000 dollars et d'un appartement offert pour tout israélien tué ou enlevé. Ils prennent vraiment les gens pour des c... en affirmant de tels énormités. Comment peut-on imaginer que les combattants palestiniens sont aussi bêtes pour se rendre au combat avec leurs armes et leurs papiers personnels, y compris leurs contrats. Les bidonnages médiatiques sont légion durant les guerres , mais cette fois-ci on est une situation sans pareille. Bonne continuation Monsieur et encore mille bravos pour cet excellent blog. Fatiha El Ksouri, Alger.

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  2. Monsieur, si un jour on vous donne à voir les images des massacres perpétrés par les hommes du Hamas, encore faut-il que ces images existent, est-ce que vous serez capable de faire votre mea culpa? Vos certitudes granitiques qui ne sont que de pures supputations et que vous ne cessez de rabâcher dans vos articules me laissent penser que vous en êtes incapable car votre parti pris vous aveugle et que même mis devant l'évidence vous trouveriez des échappatoires pour ne pas perdre la face. Alain

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    1. Monsieur, je ne suis pas un idéologue. J’exprime des doutes raisonnables sur un récit de propagande de guerre unilatéral, appuyé par la désinformation, qui est délivré sans vérifications par les médias dominants. J’ajoute que des informations commencent à apparaître rapportées par des médias sérieux, y compris israéliens, qui démentent la version des faits du 7 octobre diffusée par l’armée israélienne. Je ne vais pas tarder à les communiquer.

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  3. Un seul mot : merci pour l'excellent travail que vous faites, à travers vos pertinentes analyses tout à la fois très bien argumentées et documentées qui sont aucunement des conjectures farfelues comme semble vouloir vous le reprochez un certain nombres de lecteurs. Tous mes plus respectueux respects. Younes

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