dimanche 13 octobre 2024

L’OBSESSION DE LA TRAHISON


 

Khaled Satour
 
On finit par se lasser de tous ces textes qui prennent à partie Kamel Daoud pour sa « trahison » ou pour le mépris qu’il manifesterait à l’endroit de « son peuple ».
 
L’écrivain a-t-il pris un quelconque engagement de loyauté qu’il aurait renié ? Et vis-à-vis de qui ? Pour que le peuple algérien soit « son » peuple, il aurait fallu qu’il lui ait un jour fait allégeance, qu’il se soit cru représenté en sa personne ou identifié à ses écrits.
 
La trahison ne pousse que sur un terreau de dignité. Ne trahit pas qui veut. Il faut avoir été élevé à un rang de considération qu’on a longtemps mérité et honoré pour gagner le droit de déchoir, en cas de manquement, et d’être publiquement dépouillé de tout le prestige qu’on avait acquis. Il n’y a pas de trahison sans préjudice grave causé à sa victime mais aussi à son auteur.
 
Ceux qui situent leurs reproches à Daoud sur ce registre doublent l’insulte qu’ils lui prêtent de leur sienne propre en supposant qu’un peuple dont l’écrasante majorité n’a jamais entendu parler de lui puisse se sentir offensé par ses élucubrations.
 
Ce sont des milieux microscopiques de la société algérienne, soudés par une susceptibilité nationaliste maladive, marque de faiblesse brandie en guise de fermeté, qui dressent à leur insu un piédestal à un écrivain médiocre, qui le hissent au rang d’un anti-héros influent capable de nuire par sa parole à toute une nation. Et, pour avoir quelque chance d’y arriver, il était fatal qu’ils versent dans une médiocrité au moins égale. 
 
Mais comment accorder du crédit à leur insatiable indignation ? Comment voir autre chose que de la paranoïa dans leur manie de diagnostiquer la trahison partout ? Certains d’entre eux n’ont-ils pas soupçonné un complot contre l’Algérie dans le cafouillage que fut la publication des résultats de la présidentielle par l’ANIE ?
 
Kamel Daoud fait partie de ces milliers de paumés qui ont de tout temps cédé aux sirènes de la France coloniale ou post-coloniale dans laquelle ils ont vu une opportunité d’assouvir des désirs indicibles et infantiles. Qu’il y ait perdu son âme, à supposer qu’il en ait eu une, c’est son affaire qui ne nuit en rien à l’Algérie ni, encore moins, à son peuple.
 
S’il y a de la duplicité dans cette affaire, c’est chez ceux qui dilapident les réserves faméliques de leur rhétorique contre lui qu’il faut la chercher. Il me suffit de constater que nombre d’entre eux remettent en circulation, pour décrire sa forfaiture, les mêmes qualifications qu’ils avaient appliquées naguère à Ihsane El Kadi. 
 
Rien que pour cette raison, leurs critères de la fidélité et de la trahison ne peuvent en aucun cas être les miens.

samedi 28 septembre 2024

CEUX QUE RÉJOUIT L’ASSASSINAT DE HASSAN NASRALLAH…


 

Khaled Satour

L’assassinat de Hassan Nasrallah, hier 27 septembre, lors d’une attaque israélienne dans la banlieue Sud de Beyrouth qui a provoqué un nouveau massacre de la population civile semble réjouir une partie de l’opinion arabe à en croire certains médias, notamment du Golfe.

Une campagne de suspicion sur les capacités combattantes du Hezbollah avait été déclenchée dès avant la mort de son leader, dans la résurgence du ressentiment cultivé contre le parti chiite depuis qu’il s’était impliqué, aux côtés du régime de Bachar Al Assad, dans la guerre civile syrienne de la précédente décennie.

Cette campagne et la désaffection alimentée par certains régimes et milieux éditoriaux arabes à l’endroit d’un mouvement de résistance qui démontre depuis des décennies la constance de son opposition à Israël sont symptomatiques de la régression de l’idéal de résistance aux menées criminelles et expansionnistes d’Israël, au profit de l’alignement dans le conflit chiite-sunnite entretenu depuis le prétendu « printemps arabe ».

On exhume la rengaine sur les « massacres du Hezbollah »[1] en Syrie en oubliant de préciser que ce parti n’est entré dans le conflit qu’en 2013 alors que les mercenaires djihadistes armés et financés par les Etats du Golfe sous le patronage américain avaient commencé leur travail de dévastation depuis la fin de l’année 2011. La prétendue « révolution syrienne » n’a jamais été en effet qu’une immense entreprise de subversion téléguidée de l’étranger comme devait le reconnaître l’ancien premier ministre qatari Hamad Ben Jassim lors de son grand déballage de 2017, au plus fort du différend entre Doha et Ryad. Confirmant que les deux pays avaient soutenu militairement la branche syrienne d’El Qaeda, il avait précisé que « le soutien militaire aux insurgés syriens transitait par la Turquie et se faisait en coordination avec les forces américaines, turques, qatariennes et saoudiennes ».  Selon son propre aveu, le seul trésor qatari a déboursé pour financer l'opération la somme de 137 milliards de dollars[2].

Le Hezbollah avait d’autant plus motif à s’impliquer que les hordes djihadistes à la solde des monarchies et de l’Occident recevaient ouvertement l’appui logistique et aérien d’Israël[3].

Ceux qui exploitent pernicieusement les actuelles déconvenues du Hezbollah tentent de redonner vie à l’alliance sunnite contre l’Iran dont le seul objectif était de préparer la normalisation avec Israël.

On peut à bon droit faire au Hezbollah le reproche d’avoir secouru un régime syrien coupable de crimes de masse contre ses ressortissants, mais dans le déchaînement d’atrocités perpétrées par toutes les parties au conflit (les allégations d’exactions attribués au parti chiite étant celles qui ont été le moins attestées), il faut au moins lui reconnaître une fidélité jamais démentie à son engagement contre Israël.

Quoi qu’il en soit, alors qu'il ne s’est impliqué dans la présente confrontation qui lui coûte si cher que par solidarité avec Gaza, abandonnée à son sort par tous et d’abord par ceux qui le dénigrent, on commence à déceler dans les propos de certains commentateurs qui disent soutenir la cause palestinienne des réserves sur la stratégie du Hezbollah qui ne peuvent que ravir les criminels israéliens. 

Or, il est clair que dissocier le combat de la résistance palestinienne de celui de la résistance libanaise, dans des circonstances telles que celles d’aujourd’hui, équivaut à renier les deux.


[1] Voir notamment l’article intitulé  Pourquoi les peuples arabes détestent les milices du Hezbollah  (ويسألونك لماذا تكره الشعوب مليشيات حزب الله) publié le 25 septembre par alarabya.net : https://www.alarabiya.net/politics/2024/09/25/%D8%A7%D9%84%D8%B4%D8%B9%D9%88%D8%A8-%D9%85%D9%84%D9%8A%D8%B4%D9%8A%D8%A7%D8%AA-%D8%AD%D8%B2%D8%A8-%D8%A7%D9%84%D9%84%D9%87

[2] Syrie, le Qatar crache le morceau, L’Humanité du 30 octobre 2017 : https://www.humanite.fr/monde/-/syrie-le-qatar-crache-le-morceau

[3] Syrie. Sur le Golan, Israël aide et finance les rebelles, L’Humanité du 28 juin 2017 : https://www.humanite.fr/monde/syrie/syrie-sur-le-golan-israel-aide-et-finance-les-rebelles

 

 

mardi 24 septembre 2024

« HOURIS » : LA DOUBLE PEINE


Khaled Satour

J’ai acheté le livre de Kamel Daoud, j’en ai lu les 46 premières pages et j'ai été incapable de pousser plus loin. J'ai interrompu ma lecture car je n’en pouvais plus de forcer les barrages que l’auteur dressait devant moi à chaque page comme pour dissuader ma bonne volonté, qui se muait de page en page en un véritable consentement au sacrifice.

L’insistance sur les descriptions des séquelles anatomiques gravées dans le corps de l’héroïne, à demi égorgée au cours d’un massacre perpétré en 1999 dans un hameau de la région de Relizane, Had Chekala, les détails réitérés à foison des handicaps sensitifs que ce crime lui a causés m’ont épuisé et conduit à déclarer forfait.

A quoi il faut ajouter la laborieuse trouvaille de son dédoublement linguistique (« sa langue intérieure et sa langue extérieure ») qui revient lourdement à chaque page, occasion que l’auteur ne manque pas de saisir pour accabler la langue arabe, la caricature faite de la condition de la femme algérienne, l’abus de la symbolique du sacrifice d’Abraham, entre autres clichés conventionnels et attendus dans lesquels KD déguise en éléments romanesques les discours de dénigrement qu’il délivre aux médias français depuis des années.

J’ai quand même lu en diagonale plusieurs autres chapitres du livre et la récurrence des thèmes de l’égorgement, des corps décapités, du sang qui coule à flots, de la métaphore du mouton du sacrifice m’a convaincu que j’avais eu ma dose. L'imagerie coloniale ne se bonifie certainement pas lorsque c'est l'indigénat qui la relaie.

Pour faire de l’audace de l’ouvrage un argument de vente, l’éditeur mentionne en quatrième page de couverture que « l’Algérie a voté des lois pour punir quiconque évoque la guerre civile » et l’auteur renchérit en exergue en reproduisant le texte de l’article 46 de l’ordonnance de 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. En réalité, ce texte complète celui de l’article 45 pour criminaliser toute tentative de mettre en cause le comportement des services de sécurité et des institutions de l’État en général[1].

Or, le roman ne sort à aucun moment des clous de la version officielle des événements de la décennie noire. Les massacres sont tous attribués aux islamistes et même lorsqu’il cède à ses penchants de chroniqueur et affadit la fiction par le rappel de faits datés, l’auteur ne se hasarde à aucun moment à évoquer la torture de masse et les disparitions, alors même que les milices et autres groupes de patriotes avaient fait l’objet à ce sujet d’accusations précises formulées en leur temps par des victimes directes dans la région de Relizane qui est le théâtre du roman (le massacre de Had Chekala a en réalité eu lieu en janvier 1998) [2].

Ferai-je une nouvelle tentative de lecture de ce roman, ne serait-ce que pour amortir les 23 euros que j’ai déboursés pour l’acquérir ? Ce n’est pas sûr, je risque trop d’ajouter la souffrance à la dépense, la double peine, quoi.


[1] Texte de l’article 46 : Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250.000 DA à 500.000 DA, quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.

Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public.

En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double.

[2] Ihsane El Kadi, Chronique du procès des «charniers», Le quotidien d'Oran du 12 février 2002.


mercredi 18 septembre 2024

GÉNOCIDE + TERRORISME : L’EXTENSION DU CHAMP DE LA BARBARIE ISRAÉLIENNE

 

Khaled Satour

Il importe peu que les 5000 bipers piégés acquis par le Hezbollah aient été livrés par le titulaire de la marque, le taïwanais Gold Apollo, ou par son partenaire hongrois BAC qu’il désigne pour se disculper. Quoi qu’il en soit, la faille sécuritaire est là, grave, inquiétante. Qu’un matériel soit importé en si grand nombre et distribué aux militants sans aucune expertise préalable, dans un contexte de guerre ouverte avec Israël, est inexplicable. On verra si Hassan Nasrallah trouvera, dans la déclaration qu’il doit faire demain, quelque biais pour s’en dédouaner.

Mais cette tragédie qui a entraîné la mort de 9 personnes et causé des blessures graves à près de 3000 autres devrait surtout attirer l’attention sur ce qui n’est rien de moins qu’un acte terroriste de masse commis en toute impunité par Israël et qu’on ne songe pas apparemment à dénoncer comme tel.

Les appareils ont explosé hier un peu partout sur le territoire libanais loin du champ de bataille mais dans les divers espaces de la vie civile et notamment familiale de leurs détenteurs et c’était bien là l’intention des auteurs de cette opération : tuer et blesser indistinctement les militants du Hezbollah et des enfants et des adultes faisant partie de leur entourage habituel ou occasionnel.

Cet acte terroriste, totalement dissocié de la guerre et des justifications que celle-ci peut fournir à ses auteurs, s’apparente aux attaques du 11 septembre et excède de beaucoup l’arbitraire, la barbarie et l’envergure des attentats attribués aux organisations islamistes ces dernières années sur le territoire de nombreux États européens. Contemporain du génocide en cours à Gaza, il confirme qu’Israël est détentrice d’un permis de tuer sans limite et sans avoir de comptes à rendre à la si mal nommée communauté internationale.

La preuve en est qu’il ne semble devoir susciter chez les dirigeants occidentaux et arabes qui cautionnent la folie criminelle israélienne et dont certains ont probablement trempé dans sa réalisation, aucun sursaut tardif de la conscience.

Cet épisode est propice à une extrapolation sur le traitement moral et juridique d’un conflit qui menace la région de dérives de plus en plus imprévisibles. Il confirme que les relations internationales, ainsi que le droit international qui est censé les régir, sont devenus depuis le 7 octobre 2023 un champ de permissivité illimité de la barbarie sioniste.

Est-il seulement encore possible que la Cour pénale internationale ou la Cour internationale de justice s’enhardissent à mettre fin à cet état de fait ? La première, otage des pressions mafieuses de l’Occident, et la seconde, contrôlée par les juges qui le représentent, se paient le luxe de tergiverser alors que l’incendie ne cesse de s’étendre. Elles ne semblent pas près de venir remettre en cause le rapport de forces qui a présidé à leur création.

On peut toujours rêver que la CIJ notamment, saisie depuis 9 mois par l’Afrique du Sud, reconnaisse enfin qu’un génocide se perpètre à Gaza. Mais il y a fort à parier qu’elle se refusera à provoquer un tel séisme qui ébranlerait à sa racine la représentation humanitaire du monde établie une bonne fois pour toutes depuis le procès de Nuremberg.

On ne permettra pas à la juridiction internationale de boucler la boucle amorcée à partir du génocide des juifs par un génocide attribué à l’État juif.

 

dimanche 15 septembre 2024

LES VOTANTS ÉTAIENT DE TROP


 

Khaled Satour

C'est comme s'il ne s’était rien passé et que nous avions rêvé le cafouillage de la proclamation des résultats.

La cour constitutionnelle a procédé à un simple nettoyage des chiffres que l’ANIE avait donnés pour des résultats provisoires, comme un maître d’école bienveillant corrige au tableau les étourderies d’un de ses élèves.

Tout le monde s’en tire à bon compte. L’inexplicable taux de participation annoncé à 48% est tout juste ramené à 46%, rectifié d’à peine 500.000 voix, en somme une simple retenue comptée par erreur dans l’addition.

L’énigme suscitée par l’absence d’évaluation des suffrages annulés est résolue : les 6.130.000 votes nuls qui se déduisaient en creux des résultats provisoires sont réduits à la proportion plus vraisemblable de 1.760.000, ce qui permet largement de puiser dans le nouveau réservoir des suffrages exprimés de quoi donner satisfaction aux trois candidats : celui du MSP fait un bond de 179.000 à 904.000 voix et gagne 6 points et celui du FFS progresse de 120.000 à 580.000 voix, soit un gain de 4 points.

Le président sortant quant à lui perd certes dix points à 84% mais les voies impénétrables de la comptabilité électorale lui font engranger près de 2.500.000 voix supplémentaires.

Préparée dans la connivence du cercle très fermé des candidats sélectionnés qui se sont scrupuleusement ménagés tout au long de la campagne, l’élection s’achève dans une parfaite concorde au sein de l’aréopage qui fait communier vainqueur et vaincus dans un enthousiasme proportionnel aux ambitions conçues par l’un et les autres.

On oubliera bien vite qu’entre les procès-verbaux des bureaux de vote et la salle de délibérations de la cour constitutionnelle un itinéraire tortueux a peu à peu chamboulé les résultats : un simple décompte de multiples petits gestes concrets effectués sur le terrain s'est mué en un casse-tête arithmétique résolu à huis-clos.

C’est à croire que les votants étaient de trop.