lundi 2 juin 2025

LA SOLIDARITÉ INTERDITE


 

Khaled Satour
 
Toutes ces foules qui défilent pour la Palestine dans tant de villes du monde, dans les rues de tant de capitales dont les gouvernants sont des alliés d’Israël !
 
Qu’est-il arrivé à l’Algérie, sœur jumelle de la Palestine, source d’inspiration des Palestiniens qui ont toujours brandi le drapeau algérien aussi haut que le leur ? Le pays serait-il passé, sans que nul ne s’en aperçoive, entre les mains d’une force hostile à son passé anticolonialiste, assez puissante pour lui faire renier son engagement central de solidarité avec le peuple palestinien ?
 
Car c’est un fait que les Algériens se voient interdire depuis le 7 octobre toute expression collective et publique en faveur de la Palestine. Il est même arrivé qu'on leur confisque le drapeau et le keffieh palestiniens. Ils sont donc exclus de cet extraordinaire élan de soutien universel.
 
Cette force brutale qui étouffe l’instinct de solidarité algérienne, représente-elle encore la Nation ou bien seulement des groupes d’intérêts privés qui se sont coalisés contre ses principes constitutifs, contre son histoire?
 
Et ceux, parmi les Algériens, qui justifient l’interdiction par le fait qu’elle prévient des désordres et des manipulations des foules, que le peuple n’a pas besoin de manifester puisque tout le monde sait que l’Algérie est aux côtés de la Palestine, défendent une position insoutenable. 
 
En particulier, s’agissant du premier argument, à supposer même qu’il ne soit pas un simple prétexte, que valent les petites préoccupations d’ordre public d’une caste autoritaire, comparées au devoir de dénoncer un génocide colonial ?

mercredi 28 mai 2025

LES "SUBTILITÉS" DU NÉGATIONNISME

Khaled Satour

Pour justifier que la majorité d’entre eux se soient jusqu’à présent tus, les 300 écrivains francophones signataires de la tribune publiée ce 27 mai par le journal « Libération », se livrent à une réévaluation négationniste de la temporalité du génocide

A lire l’appel[i], le génocide perpétré à Gaza n’a pas commencé le 8 octobre 2023 mais en mars 2025, « depuis la rupture par Israël du cessez-le-feu » quand « l’attaque sur Gaza a repris avec une brutalité redoublée ». C’est aussi à cette date que le texte situe les premières « déclarations publiques » de ministres israéliens exprimant « ouvertement des intentions génocidaires ».

C’est la raison pour laquelle, précisent les auteurs du texte, " tout comme il était urgent de qualifier les crimes commis contre des civils le 7 octobre 2023 de crimes de guerre et contre l’humanité, il faut aujourd’hui nommer le « génocide »".

Autrement dit, l'urgence s'imposait dans les deux cas. A cette différence près que, s’il était urgent dès le 7 octobre 2023 de condamner l’action menée pendant 24 heures par la résistance palestinienne, il était au contraire urgent d’attendre que le génocide dure 19 mois pour oser l’appeler par son nom.


[i] Tribune publiée sous le titre « Nous ne pouvons plus nous contenter du mot « horreur », il faut nommer le génocide à Gaza ». Libération du 27 mai 2025, p.5.


 

samedi 17 mai 2025

SILENCE, ON ASSASSINE LA PALESTINE


 

Khaled Satour

Il n’y a pas de tiers impartial en mesure d’imposer une fin de l’attaque génocidaire d’Israël sur Gaza. Et il n'y a plus de camp anticolonialiste ayant la volonté et les ressources nécessaires pour s’opposer à l’entreprise sioniste.

Tel est le double bilan qu’il convient de tirer de la mise en échec des règles et résolutions juridiques produites pendant plus de soixante ans par le combat anticolonial et de l’usure de la conscience anticolonialiste et antiimpérialiste qui avait permis aux États du Tiers-Monde de se faire une place dans le jeu international.

LE DROIT MIS HORS-JEU

Beaucoup d’espoirs ont été mis dans la saisine par l’Afrique du Sud de la Cour Internationale de Justice. Mais cette cour a pour l’instant failli à ses obligations puisqu’elle a fait en sorte que sa décision préliminaire du 26 janvier 2024 soit dépourvue de la rigueur qu’imposaient les circonstances et qu’elle ne cède nullement, un an et demi plus tard, au sentiment d’urgence qu’aurait dû lui inspirer la vocation préventive de la convention de 1948. Le recentrage du débat sur une trêve humanitaire ayant pour seule but la libération de quelques dizaines d’otages, alors que des centaines de Palestiniens étaient massacrés chaque jour, a contribué à mettre le droit hors-jeu et permis à des tractations diplomatiques sans fin d’entretenir l’illusion d’une trêve dite « de longue durée ».

Le droit a été chassé des débats au profit du rapport de forces et ce résultat a été obtenu pour conforter la position défendue depuis toujours par les États-Unis, soucieux d’imposer la logique des relations internationales qu'ils soumettent à leur hégémonie.
Pourtant, c’est le droit qui était le mieux habilité à donner la juste mesure de la tragédie de Gaza dont les ressorts sont tout entiers ceux d’une entreprise d’extermination à caractère colonial dont les ingrédients de haine et de fanatisme se manifestent dans les méthodes de guerre utilisées par Israël.

Ces méthodes ont été constamment là, qu’il s'agisse du massacre de masse, de la politique de terre brûlée mise en œuvre sur toutes les parties du territoire qu’il a investis, de l’exode massif imposé aux populations, dans de véritables marches de la mort qui ne le cèdent pas en horreur à celles imposées au autochtones amérindiens au 19e siècle, dans la perspective d’exiler définitivement le plus grand nombre de Palestiniens possibles et de réimplanter sur la tabula rasa qu’Israël aura faite de Gaza des colonies paramilitaires habités par les plus illuminés de ses ressortissants, à moins que Donald Trump n’impose à « la solution finale » l’hallucinante version touristique qu’il a concoctée.

Il y avait toutes les raisons d’opposer à ces méthodes pratiquement l’ensemble des principes que le droit international a mis une soixantaine d’années à inscrire à son répertoire de la décolonisation : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le principe de l’autodétermination, le droit de résister à l’occupation, l’obligation mise à la charge de l’occupant d’assurer la protection de la population sous son autorité, sans parler de la prohibition des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, de la destruction des infrastructures civiles et du patrimoine culturel.

LA CADUCITÉ DU PATRIMOINE ANTICOLONIALISTE

Au lieu de quoi, Israël a imposé sa vision d’une guerre qui l’opposerait au Hamas, organisation qualifiée de terroriste, et qu’elle aurait le droit de mener à son terme quelles qu’en soient les conséquences subies par deux millions et demi de civils.

Cette régression à l’ère où prédominaient sans conditions les desseins ainsi que les moyens de la conquête et de la barbarie impériales n’a pu se faire que parce les États issus de la décolonisation ont renié leur histoire et les liens de solidarité qu’ils y avaient forgés, de sorte que l’œuvre qu’ils ont imposée au jurislateur international, quand ils avaient investi les enceintes internationales dans les années 60 du siècle dernier, est désormais en déshérence. Elle est atteinte de la caducité dont les peuples avaient eu l’illusion de frapper le colonialisme de façon irrévocable.

Pour échapper à une trêve qui serait synonyme d’une reddition, la résistance armée palestinienne devra affronter seule les pressions de ses ennemis relayées par le harcèlement de faux amis qui, sous l'alibi de la médiation, n’ont jamais fait que la sale besogne des rabatteurs.

A cet égard, et puisqu’on a commencé à dénombrer les complicités et les compromissions avec et dans ce premier génocide du 21e siècle, je suis étonné de voir que les accusations se concentrent presque exclusivement sur les États occidentaux et les régimes arabes normalisateurs.

LES RENIEMENTS ALGÉRIENS

Les réseaux sociaux algériens, notamment, ne se contentent pas de disculper les autorités nationales de leur totale inaction sur l’arène internationale. Ils donnent à penser que l’Algérie est le seul pays à garder le cap d’un soutien authentique à la cause palestinienne. En cela, les commentateurs algériens font mine de tomber innocemment dans le piège tendu par le discours diplomatique déroutant de l’Algérie officielle, et l’illusion qu’il entretient sur la constance des options anticolonialistes et antiimpérialistes du pays, alors même que la caste sécuritaire dominante a renié l’héritage de résistance dont elle prétend tirer sa légitimité.

Pendant de longues décennies, l’Algérie a presque exclusivement eu recours au registre militant pour dénoncer la domination impérialiste qui a prolongé la menace sur la souveraineté des peuples. Et, au moment où cette fermeté des principes de lutte s’est soudain avérée vitale pour dénoncer le retour en Palestine de la violence colonialiste la plus extrême, l’Algérie s’est tue et s’est renfermée dans sa coquille mondialiste la plus égoïste et la plus opportuniste.

Elle aura chanté la solidarité indéfectible avec la Palestine aussi longtemps que cela ne coûtait rien, et puis voilà que soudain, à l’heure où Israël met en œuvre avec l’appui de Washington, la solution finale à Gaza mais aussi en Cisjordanie, elle entonne le refrain de la coopération « stratégique » avec les États-Unis, réprimant sans état d’âme l’élan sincère qui pousse ses concitoyens à manifester leur soutien aux Palestiniens.

Silence, on assassine la Palestine comme on a voulu jadis assassiner l’Algérie. Mais, de même que les régimes du Golfe ne se préoccupent que de leurs intérêts dynastiques, le régime algérien ne défend plus que les intérêts de la caste qui l’a accaparé.

lundi 17 mars 2025

L’AFFAIRE J.M. APATHIE ENTRE LE PATRIOTISME DES UNS ET DES AUTRES

 

Khaled Satour

Pour sa dénonciation des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par la France en Algérie, Jean-Michel Apathie a été suspendu d'antenne par RTL et poursuivi par la vindicte des milieux politiques et médiatiques dominants.

Le ressort de cette prise à partie est le patriotisme prétendu d’une droite et d’une extrême-droite de plus en plus décomplexées qui n’est en réalité qu’un nationalisme intolérant combinant la haine atavique de l’étranger à l’idéologie coloniale revenue en force avec le soutien manifesté au génocide israélien à Gaza.

Si les pseudo-patriotes français ont orchestré la mise à l’index du journaliste dans un climat de lynchage public somme toute récurrent dans l’histoire de France, les patriotes algériens n’ont au contraire pas raté l’occasion de louer son courage et ont vu dans cet homme de droite qui a toujours professé des idées libérales foncièrement réactionnaires un champion de la cause anticolonialiste.

Mais toute la question est de savoir s’ils étaient tous fondés à le faire de bonne foi.

Pour en juger, il faut examiner les arguments qu’a opposés Aphatie à la cabale déchaînée contre lui. Il a répliqué au patriotisme culpabilisant invoqué pour le confondre par le sien propre et affirmé haut et fort dans une tribune publiée par Libération : « J’aime la France, mais pas celle-là (celle des crimes d’État), qui m'a profondément et durablement choqué[1] ». Il aussi précisé dans une interview accordée à une télévision : « J’aime mon pays. Il y a mille manières d’aimer son pays. Mais tous ces pseudo-nationalistes l’aiment plus mal que moi ». Il ajoutait : L’AFFAIRE J.M. APATHIE ENTRE LE PATRIOTISME DES UNS ET DES AUTRES Il y a des plaies en Algérie pour le mal que nous avons fait … et la transmission de la mémoire n’est pas faite en France. On oublie, on met le couvercle[2] ».

Tel est donc le patriotisme d’Aphatie : l’amour du pays mais le refus de jeter un voile pudique sur les crimes commis par les appareils de la violence étatique, un patriotisme qui fait bon ménage avec le souci primordial d’affirmer la vérité et d’en transmettre la mémoire.

J’en conclus par la simple déduction que seuls parmi les patriotes algériens ceux qui sont prêts à accepter que leur pays et ses dirigeants soient soumis à une telle épreuve de vérité ont le droit de faire l’éloge d’Apathie sans que cela repose sur un malentendu.

Je veux parler de ceux qui ne font pas le jeu de l’occultation institutionnalisée des crimes d’État (au minimum la torture généralisée, les disparitions forcés de 15.000 personnes et l’exposition des populations sans défense à des centaines d’"Oradour-sur-Glane") commis en Algérie pendant la décennie 1990.

Quant aux autres, et toujours par déduction, ne seraient-ils pas idéologiquement plus en phase dans cette affaire avec l’extrême droite néo-coloniale française qui a vilipendé le journaliste sacrilège ?