samedi 25 novembre 2023

LA CHAINE LCI ET LE MENSONGE AU DEUXIÈME DEGRÉ


 

Khaled Satour

La chaîne française LCI s’éveille-t-elle à la réalité ? Et ce que l’on voit sur cette vidéo, est-ce le spectacle d’un staff, rompu à la désinformation, essayant de résister piteusement à ce qui se révèle à ses yeux ?

Certainement pas. LCI ne s’est pas convertie à la vérité. Elle pratique seulement ce que Alexandre Koyré qualifiait de « vieille technique du mensonge au deuxième degré » qui consiste à dire la vérité afin de tromper et d’endormir ses adversaires, « une technique perverse entre toutes, et dans laquelle la vérité elle-même devient un pur et simple instrument de déception[1] ».

Depuis le 7 octobre, les médias occidentaux et notamment français ont relayé sans la moindre défaillance la propagande de guerre israélienne et son message central : la diabolisation des combattants palestiniens qui ont investi le territoire palestinien de 1948 dans la région de « l’enveloppe de Gaza ».

Les seules notes discordantes sont venues, paradoxalement, de certains organes de presse israéliens, dont le journal Haaretz. Ce quotidien, qui publie en anglais et en hébreu, a sur plusieurs points contredit la thèse officielle sur les attaques du 7 octobre.

Il ne l’a certainement pas fait par engagement aux côtés de la cause palestinienne mais au nom de la conception qui est la sienne de la démocratie et de l’éthique professionnelle dans le cadre de l’État d’Israël et dans la plus entière fidélité au projet sioniste dont il est loin de constituer une dissidence. S’il s’oppose au gouvernement actuel, c’est seulement parce qu’il considère que le mouvement sioniste a atteint son principal objectif, assurer la pérennité d’Israël, et qu’il doit désormais accepter une solution politique dans l’esprit des accords d’Oslo.

Rendus pendant longtemps indolores par la puissance de la désinformation dominante, les coups de canif qu’il a donnés au pacte conclu par les médias du monde avec les services de propagande sionistes ont fini par importuner les gouvernants israéliens. Leur ministre des communications vient de proposer des sanctions financières contre le journal, accusé de « propagande mensongère et défaitiste », de « sabotage d’Israël en temps de guerre » et de faire office de « porte-parole incendiaire pour les ennemis d’Israël ».

La goutte qui a fait déborder le vase semble être l’information rapportée le 18 novembre par Haaretz sur le déroulement des faits dans la rave party du 7 octobre, selon laquelle la police aurait indiqué, après enquête « qu’un hélicoptère de combat des forces armées israéliennes qui est arrivé sur les lieux et a tiré sur des terroristes a apparemment également touché des participants au festival ».

La chaîne LCI, dont les présentateurs paraissent ici en plein émoi, semble donc avoir été appelée à la rescousse pour participer à l’opération de déminage lancée par le ministre israélien.

Opération dont le rayon d’intervention est prudemment circonscrit au dernier écart reproché à Haaretz.

Car le quotidien n’en est pas à sa première révélation gênante pour la version officielle israélienne de l’attaque du 7 octobre.

Dans un reportage publié dès le 11 octobre, Haaretz rapportait que les kibboutz de Kfar Azza et de Bee’ri avaient été le théâtre de combats entre les résistants palestiniens et l’armée israélienne au cours desquels celle-ci, appuyée par des blindés, a tué sans faire de détails des Palestiniens et des colons israéliens. Le commandant d’un bataillon de blindés « a décrit comment lui et son unité de chars "se sont battus à l’intérieur du kibboutz, de maison en maison, avec les chars. Nous n’avions pas le choix" ».

Récidivant le 20 octobre, le quotidien rapportait le témoignage d’un rescapé du kibboutz Bee’ri affirmant que l’armée avait pris des décisions difficiles : « notamment le bombardement de maisons avec tous leurs occupants à l’intérieur afin d’éliminer les terroristes ainsi que les otages (…) Le prix à payer fut terrible : au moins 112 habitants de Be’eri ont été tués[2] ».

Ce qui est remarquable, c’est que, à l’annonce des sanctions préconisées contre Haaretz, les médias occidentaux ont exprimé leur réprobation alors même qu’ils ont jusqu’à ce jour appliqué scrupuleusement les directives de la propagande israélienne et qu’ils auraient considéré toute remise en cause de sa véracité comme relevant du conspirationnisme le plus vulgaire.

Jake Tapper, un des présentateurs vedettes de CNN, a apporté son soutien à l’équipe de Haaretz, dénonçant sur X un projet « sapant la liberté de la presse». On se souvient pourtant que CNN s’était si fidèlement fait l’interprète des thèses de l’armée israélienne que des manifestants ont organisé devant ses locaux plusieurs rassemblements de protestation.

Les journaux français n’ont pas davantage apprécié les menaces brandies par le gouvernement israélien contre Haaretz. Libération parle de « la liberté de la presse menacée » et L’Humanité présente le journal comme un « quotidien de gauche reconnu, à l’échelle internationale, pour sa rigueur déontologique, sa couverture médiatique unique et sa défense des droits humains ».

Tous ces médias ont pourtant soigneusement boycotté les informations crédibles et documentées qui valent aujourd’hui à Haaretz les foudres des autorités israéliennes.

Et voilà que LCI, membre influent du cartel de la désinformation, est désigné pour les minimiser, les banaliser : en ergotant sur l’affaire des hélicoptères intervenant dans la rave party, qui se prête aux pirouettes, pour mieux occulter les précédentes révélations faites par le quotidien israélien dont il est en revanche impossible de désamorcer la charge.


[1] Alexandre Koyré, « Réflexions sur le mensonge »

[2] Voir sur ce blog, l’article publié le 27 octobre sous le titre : « Derrière la propagande israélienne, les vérités du 7 octobre ».

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