dimanche 2 avril 2023

LOIS SCÉLÉRATES, PROCÈS INIQUES


  Khaled Satour

La condamnation prononcée aujourd’hui contre Ihsane El Kadi[1] nous confirme que la justice algérienne n’est pas rendue dans les prétoires, si ce n’est par un simple simulacre qu’on prend la peine à chaque fois d’organiser.

La défense du journaliste avait fait preuve d’une transparence telle sur les données du procès qu’il était devenu clair que le dossier d’accusation était vide. Les articles 95 et 95 bis du code pénal n’auraient jamais trouvé à s’appliquer contre lui si les magistrats avaient dû accomplir leur tâche conformément à ce qu’on enseigne au sein de la centaine de facultés de droit qui ont poussé comme des champignons à travers les wilayates du pays. Et qui sont les autres hauts-lieux de simulacre où on fait apprendre par cœur aux étudiants les principes chimériques de l’État de droit.

Mais il y a une cohérence dans ce processus qui va de l’œuvre constituante scélérate commandée il y a trois ans à une clique de professeurs de droit aux salles d’audience dans lesquelles de soi-disant magistrats brisent les vies sans états d’âme, en passant par un parlement croupion qui a fait du code pénal un exutoire à la paranoïa du pouvoir.

Ihsane El Kadi a eu droit, à titre de prime personnalisée, à un réquisitoire préliminaire prononcé devant un peuple à l’inépuisable crédulité par le président de la République qui rendait en fait superflus tous ces faux-semblants. D’autant qu’il était amplifié par un chœur d’intellectuels organiques et de youtubeurs stipendiés qui instruisaient à charge, dans un style que n’auraient pas désavoué les spécialistes des Sections d’Action Psychologique françaises (SAS) de sinistre mémoire et leurs porte-voix de « Sawt el bilad ».

Mais cette affaire, médiatisée non sans arrière-pensées par la presse et les ONG du monde entier, ne doit pas faire oublier que des dizaines d’autres Algériens ont été condamnés aux quatre coins du pays à des peines cyniquement mesurées en années de dépérissement physique et psychologique, propres à les plonger dans le désespoir et les dissuader définitivement d’exprimer toute parole publique.

L’exemple de Rachid Nekkaz, dont l’opposition fantasque et quasi-donquichottesque a pourtant effarouché le pouvoir, est la meilleure illustration du résultat escompté. Bien qu'on ne puisse lui dénier un réel courage physique, il est si affligeant de le voir battre sa coulpe et réitérer sans fin ses remerciements à Abdelmadjid Tebboune pour lui avoir évité de mourir misérablement au fond de son cachot.

Elle ne doit pas non plus nous faire oublier que, depuis l’indépendance de l’Algérie, les tribunaux et les juges n’ont jamais été payés pour garantir une bonne administration de la justice : du procès des dirigeants de l’ORP[2] jusqu’aux cours spéciales des années 1990[3], ils ont toujours été les instruments politiques de la répression d’État.


[1]Le Tribunal de Sidi M’Hamed  a condamné, ce dimanche 2 avril, le journaliste Ihsane El Kadi à une peine de 5 ans de prison, dont 3 ans ferme et 2 avec sursis, assortie d’une amende de 700 000 dinars. Le tribunal a également prononcé la dissolution de la société Interface Médias, éditrice des deux médias, Radio M et Maghreb Emergent, la confiscation des biens saisis, assorties d’une amende de 10 millions de dinars.

[2] Au lendemain du coup d’État du 19 juin qui a permis à Houari Boumediène de renverser le président Ben Bella, certains éléments de la gauche du FLN et des communistes, hostiles au nouveau régime, s'étaient regroupés dans un mouvement clandestin, l'Organisation de la Résistance Populaire (O.R.P.)

[3] Créées à Alger, Oran et Constantine en 30 septembre 1992 en même temps qu’était promulgué un décret relatif à la « lutte contre la subversion et le terrorisme.  Elles ont jugé plus de 10.000 personnes et prononcé un millier de condamnations à mort dont très peu ont été exécutées, un moratoire ayant été adopté dès 1993.

2 commentaires:

  1. Je suis entièrement d'accord avec le brillant réquisitoire que vous avez fait contre l' infamante justice aux ordres qui sévit en Algérie. Mais je me dis quelque part que ce peuple mérite amplement un tel pouvoir et une telle justice. Lui qui ne finit pas de glorifier toutes les personnes qui par le passé ont écrasé toutes les libertés par le crime et la torture, à l'exemple du dictateur Boumediène. Lui, ce même peuple, qui a fait de l'armée algérienne et ses sinistres généraux un passage obligé à toutes ses revendications pseudo démocratiques. C'est ce même peuple, qui à travers les réseaux sociaux exalte la délation et l'usage de la répression contre ceux qui ne pensent pas comme lui. Voilà quelques raisons, parmi tant d'autres, qui me font dire que ce pouvoir(comme tous les autres qui l'on précédé) est fait sur mesure pour ces millions d'esprits qui ont besoin d'être piétinés pour se sentir protéger. Bravo pour votre éclectique et excellent blog qui intellectuellement n'est soumis à personne. Saïd d'Alger.

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  2. Dans les domaines de la répression, de la censure et de l’étouffement des libertés d’expression, d’opinion et de réunion, le régime du président Tebboune et sa junte militaire ont réussi un sans-faute en quelques années là où le clan mafieux des Bouteflika n'a pas pu le finaliser en 20 ans de règne. C'est dire l'avenir qui attend tous ceux et celles qui osent même émettre un avis à travers un simple commentaire sur Facebook par exemple. Car il faut savoir que le flicage 2.0 a pris des proportions inquiétantes et dans lequel des sommes folles ont été investies par un pouvoir définitivement paranoïaque. Bravo pour vos analyses courageuses Monsieur Khaled Satour. Mes respects. Farouk Bayoud, US.

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