lundi 9 septembre 2024

PRÉSIDENTIELLE : QUAND LE VAINQUEUR CONTESTE LES RÉSULTATS !

 

Khaled Satour

C’est un fait sans précédent, en Algérie et sans doute dans le monde. Le vainqueur écrasant d’une élection présidentielle s’associe dans un communiqué commun aux deux candidats qu’il a littéralement étrillés pour dénoncer publiquement « des imprécisions, des contradictions, des ambiguïtés et des incohérences (…) relevées dans les chiffres (annoncés) dans les résultats provisoires de l'élection ».

Les directeurs de campagne des candidats Tebboune, Hassani (MSP) et Aouchiche (FFS), puisque c’est d’eux et de la présidentielle du 7 septembre qu’il s’agit, relèvent d’une seule voix dans le texte rendu public le 8 septembre "l'ambiguïté du communiqué d’annonce des résultats provisoires de l’élection présidentielle, qui ne comportait pas la plupart des données essentielles des communiqués d’annonce des résultats, comme il est d'usage dans toutes les échéances nationales importantes", et font état d' « une incohérence dans les taux annoncés pour chaque candidat [1]».

Le malaise

Cette dernière constatation indique clairement que le camp Tebboune conteste le trop-plein de suffrages qu’on lui attribue (94,65%) alors que ses deux adversaires réprouvent le taux humiliant qu’on leur concède (respectivement 3,17% et 2,16%) !

Le plus explicite dans sa protestation fut d’abord le candidat du MSP dont la direction de campagne fait état des procès-verbaux de dépouillement en sa possession pour seulement 41 wilayates (sur 58) et qui lui attribueraient déjà 328.000 voix[2] (les résultats proclamés ne lui en donnent au total que 178.797). On n’est pas obligé de le croire sur parole mais pas davantage de prêter crédit au bricolage de l’Autorité nationale indépendante des élections (l’ANIE).

Plus généralement, le malaise provient du fait que l’ANIE s’est montrée incapable de décompter, à partir des 24 millions cinq cent mille électeurs inscrits, le nombre de participants, se contentant d’annoncer dès le 7 septembre vers minuit un « taux moyen de participation » de 48,03%, soit un indice que la loi ignore et qui est de ce fait tout à fait irrecevable, avant d’y ajouter le lendemain le seul chiffre relatif aux suffrages exprimés qu’elle évalue à 5.630.000[3].

Or, et c’est l’incohérence la plus remarquable qui en ressort, ces chiffres de la participation et des suffrages exprimés, s’ils devaient se confirmer, induiraient que le nombre total des votes nuls serait de plus de 6 millions, supérieur au nombre de suffrages exprimés alors qu’il ne fut que de 1.244.925 (contre 8.510.415 suffrages exprimés, soit un rapport de 1 à 8) à la présidentielle de 2019 qui avait suscité une participation annoncée à 39,88%. Des millions d’électeurs algériens auraient-ils soudain décidé samedi dernier d’agrémenter la supercherie électorale d’une bouffonnerie de masse à laquelle ils ne nous avaient pas habitués ?

Une tournure qui promet d’être spectaculaire

Réagissant au communiqué commun des candidats, l’Autorité « indépendante » fait valoir qu’elle n’a pas fini de recevoir les procès-verbaux à l’échelle des communes et des wilayates, nécessaires à une centralisation des résultats, alors même qu’elle a déjà publié les résultats de la consultation par wilaya qui sont aussi tronqués que la synthèse nationale qu’elle a rendue publique. L’argument légal qu’elle semble invoquer pour justifier l’accumulation de résultats « provisoires » incohérents est le délai légal de 72 heures dont elle dispose pour proclamer les résultats définitifs.

Jusqu’à hier 8 septembre, si l’on excepte l’allégation faite par le MSP d’une « déperdition » de voix de son candidat constatée sur procès-verbaux et le scepticisme affiché par le FFS quant au nombre de suffrages qui sont allés au sien, personne ne parlait de fraude électorale au sens strict. Cependant, le communiqué commun des candidats mettait en cause l’authenticité des résultats proclamés, l’ambiguïté et l’incohérence relevées pouvant jeter sur l’ANIE la suspicion d’une manipulation.

Et puis, aujourd’hui, les deux candidats battus se sont enhardis. Alors que Aouchiche annonçait qu’il allait demander l’ouverture d’une enquête, Hassani informait de son intention de déposer un recours devant la cour constitutionnelle.

La situation est donc inédite pour ne pas dire rocambolesque. Il sera difficile de ne pas considérer que les requêtes que présenteront les deux hommes auront en effet reçu, du fait de la position commune rendue publique à trois, la bénédiction implicite d’Abdelmadjid Tebboune. Ce qui donne brusquement à une élection sans relief une tournure qui promet d’être spectaculaire.

Humilier ou ménager les vaincus ?

S’il est une autre question politique qui se pose, c’est celle de savoir auprès de qui le président de l’ANIE a reçu le feu vert pour venir indisposer à la fois le vainqueur et les vaincus de l’élection. On peut comprendre que Hassani et Aouchiche vivent leur déconvenue comme une tentative de les liquider politiquement de façon définitive et que leurs partis estiment en même temps que l’affront subi équivaut à leur éviction du champ de la politique. Ils méditent sans doute amèrement le fait que la machinerie électorale avait été d’une extrême clémence avec les quatre adversaires de Tebboune à l’élection de 2019, leur attribuant entre 17,37 et 6,67% des votes exprimés.

Mais ce qui est bien moins conventionnel, c’est que Abdelmadjid Tebboune n’apprécie pas le score de près de 95% qui lui est généreusement octroyé. Cela indique qu’une telle démesure n’était pas prévue dans l’accord qui avait été passé avec les forces qui l’ont coopté et qui sont sans doute les mêmes qui ont incité le président de l’ANIE à s’empêtrer dans une arithmétique aussi douteuse.  

Bien au contraire, si l’on en juge d’après la lutte à fleuret moucheté que se sont livrée les candidats tout au long de la campagne (avec ce leitmotiv qu’ils ont répété en chœur : « renforcer le front intérieur ») et par le communiqué commun inattendu qu’ils viennent de publier, on peut imaginer que Tebboune avait passé un tout autre marché avec ses rivaux : un résultat qui soit nettement à son avantage mais qui ménage Hassani et Aouchiche, peut-être dans le dessein de faire accéder leurs partis à la périphérie du Palais.

Tant pis si, dans les coulisses de l’État, la transparence électorale se voile du brouillard de calculs antagonistes. Qui s’en préoccupe ? Certainement pas ceux qui, dans la célébration, mettent le même enthousiasme angélique à fêter la victoire de Tebboune qu’à acclamer les succès olympiques. Et pourtant, si l’objectif de la consultation, comme s’en sont convaincus les votants, était de renforcer les institutions, le naufrage de l’ANIE augure plutôt du contraire.

J’entends et je lis certains dire « Ce n’est rien, tout cela n’est qu’anecdote, Charfi, le président de l’Autorité, devra rendre des comptes ». Comme si ce bureaucrate blanchi sous le harnais avait jamais eu la moindre marge d’initiative.

Je ne connais pas de pire démission devant le réel que celle de l’intelligence qui, à chaque fois qu’elle veut faire profil bas, mime la stupidité.  


 

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