mardi 24 septembre 2024

« HOURIS » : LA DOUBLE PEINE


Khaled Satour

J’ai acheté le livre de Kamel Daoud, j’en ai lu les 46 premières pages et j'ai été incapable de pousser plus loin. J'ai interrompu ma lecture car je n’en pouvais plus de forcer les barrages que l’auteur dressait devant moi à chaque page comme pour dissuader ma bonne volonté, qui se muait de page en page en un véritable consentement au sacrifice.

L’insistance sur les descriptions des séquelles anatomiques gravées dans le corps de l’héroïne, à demi égorgée au cours d’un massacre perpétré en 1999 dans un hameau de la région de Relizane, Had Chekala, les détails réitérés à foison des handicaps sensitifs que ce crime lui a causés m’ont épuisé et conduit à déclarer forfait.

A quoi il faut ajouter la laborieuse trouvaille de son dédoublement linguistique (« sa langue intérieure et sa langue extérieure ») qui revient lourdement à chaque page, occasion que l’auteur ne manque pas de saisir pour accabler la langue arabe, la caricature faite de la condition de la femme algérienne, l’abus de la symbolique du sacrifice d’Abraham, entre autres clichés conventionnels et attendus dans lesquels KD déguise en éléments romanesques les discours de dénigrement qu’il délivre aux médias français depuis des années.

J’ai quand même lu en diagonale plusieurs autres chapitres du livre et la récurrence des thèmes de l’égorgement, des corps décapités, du sang qui coule à flots, de la métaphore du mouton du sacrifice m’a convaincu que j’avais eu ma dose. L'imagerie coloniale ne se bonifie certainement pas lorsque c'est l'indigénat qui la relaie.

Pour faire de l’audace de l’ouvrage un argument de vente, l’éditeur mentionne en quatrième page de couverture que « l’Algérie a voté des lois pour punir quiconque évoque la guerre civile » et l’auteur renchérit en exergue en reproduisant le texte de l’article 46 de l’ordonnance de 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. En réalité, ce texte complète celui de l’article 45 pour criminaliser toute tentative de mettre en cause le comportement des services de sécurité et des institutions de l’État en général[1].

Or, le roman ne sort à aucun moment des clous de la version officielle des événements de la décennie noire. Les massacres sont tous attribués aux islamistes et même lorsqu’il cède à ses penchants de chroniqueur et affadit la fiction par le rappel de faits datés, l’auteur ne se hasarde à aucun moment à évoquer la torture de masse et les disparitions, alors même que les milices et autres groupes de patriotes avaient fait l’objet à ce sujet d’accusations précises formulées en leur temps par des victimes directes dans la région de Relizane qui est le théâtre du roman (le massacre de Had Chekala a en réalité eu lieu en janvier 1998) [2].

Ferai-je une nouvelle tentative de lecture de ce roman, ne serait-ce que pour amortir les 23 euros que j’ai déboursés pour l’acquérir ? Ce n’est pas sûr, je risque trop d’ajouter la souffrance à la dépense, la double peine, quoi.


[1] Texte de l’article 46 : Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250.000 DA à 500.000 DA, quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.

Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public.

En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double.

[2] Ihsane El Kadi, Chronique du procès des «charniers», Le quotidien d'Oran du 12 février 2002.


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