Khaled Satour
Nous autres Algériens sommes payés pour savoir que le droit est utilisé comme un leurre. Les nationalistes réformistes et légalistes se sont longtemps payés d’illusions et il a fallu que les « activistes » hors-la-loi renversent les tables de la loi coloniale pour qu’ils se rendent à l’évidence : accepter les règles édictées par l’occupant, c’est resserrer autour de son cou le joug avec lequel il attelle les peuples à son char de triomphe.
Tout au long de la décennie noire, la loi du plus fort a régné sans la moindre ambition d’ouvrir à la nation un horizon autre que celui de l’une ou l’autre des dominations qui se faisaient concurrence. La légalité dévoyée brandie pour restaurer le monopole de la violence avait ses juristes patentés qui faisaient mine d’ignorer qu’elle n’était que l’infime corridor de visibilité derrière lequel une violence débridée échappait à tous les codes.
Depuis que le Hirak, miraculeusement pacifié par la volonté populaire et l’équilibre instable entre acteurs occultes, a pris fin, la quintessence des juristes patentés a participé à la prestidigitation constitutionnelle à l’ombre de laquelle les lois du pays ont régressé à la violence pure. De sorte que la guerre est revenue dans nos murs, feutrée et domestiquée puisqu’elle n’ensanglante plus les rues mais se contente de briser les vies comme du petit bois pour les consumer dans la mort lente.
Les procureurs requièrent 5, 8, 10 ans de prison ferme, aussi légèrement qu’on renchérit dans un jeu d’argent, contre une jeunesse à qui il reste pourtant si peu de liberté à perdre. Comme au temps où le colonialisme s’acharnait à briser toutes les entraides qui menaçaient son hégémonie, la solidarité avec les familles de détenus est criminalisée, dans sa forme active et passive comme si elle s’assimilait à la corruption.
Le « procès du réseau de solidarité » vient de se conclure mercredi à Alger en évitant l’absurde in extremis[1]. Il mettait en accusation la valeur fondatrice de la société. Des hommes et des femmes ont été poursuivis, maltraités et soumis pendant des mois aux pressions et aux intimidations, pour avoir voulu aider des familles déshéritées à adoucir la souffrance de leurs proches emprisonnés arbitrairement.
C’était en l’occurrence une solidarité qui opérait, fait insupportable dans l’Algérie du chacun pour soi, entre classes sociales. Et c’est peut-être ce qui a le plus insupporté ceux qui ont fait sombrer le pays dans l’égoïsme de classe en le livrant à la rapacité d’une minorité d’arrivistes. Le régime ne saurait tolérer l’existence de réseaux qu’il n’a pas créés, encore moins d’une nouvelle génération de « porteurs de valises » que leur idéal porterait à atténuer les effets de la sélection sociale qu’il pratique et de la répression généralisée qui la favorise. L’ « Algérie nouvelle » entend se construire contre le lien social.
Telle est notre expérience du droit dont nous n’avons pas commencé à tirer toutes les leçons.
Sommes-nous dès lors fondés à nous plaindre des faux-semblants de la loi internationale ? Attendions-nous sérieusement du droit qu’il soit ce substitut à la guerre qu’il est réputé être, alors que nous devrions savoir d’expérience qu’il est l’arme la plus redoutable de son arsenal ? C’en est même le joyau providentiel puisqu’il aiguise les aspérités les plus meurtrières en donnant à croire qu’il apaise.
Ce sont les puissants qui disent la loi, que ce soit dans les prétoires algériens, dans les tribunes internationales ou dans les tractations du marché néolibéral.
Au début de ce siècle, certains
intellectuels avaient cru trouver tous les remèdes dans l’indignation. Mais
bien qu’elle s’en donne ces temps-ci à cœur joie, l’indignation n’arrive pas à pallier
notre impuissance.
[1] Voir l’article publié les 31 janvier/1e février 2024 sur le site d’information inter-ligne sous le titre « Affaire du réseau solidarité » : la Cour d’Alger confirme l’acquittement des prévenus » : https://inter-lignes.com/affaire-du-reseau-solidarite-la-cour-dalger-confirme-lacquittement-des-prevenus/
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