lundi 17 février 2025

LA CONDAMNATION DE ABLA KEMARI : LA VOIX DU SUD RÉDUITE AU SILENCE


 

 Khaled Satour

Elle me rappelle Dalila Touat[1], cette autre figure du Hirak dont elles représentent toutes deux la tendance sociale qui fut malheureusement minoritaire au sein d’un mouvement à prédominance petite-bourgeoise qui avait limité ses revendications à une démocratie formelle illusoire.

Je veux parler de Abla Kemari, de Touggourt, harcelée par la police depuis de longs mois au seul motif que ses publications sur les réseaux sociaux font connaître la situation réelle des populations du Sud. La situation que dépeignent ces publications, faite d’exclusion et de privation, dément l’optimisme inlassablement exprimé par Abdelmadjid Tebboune, aux yeux de qui les habitants de cette région sont invisibilisés au profit des lubies de l’économie capitaliste et productiviste qui ne jure que par les ressources d’eau souterraines à exploiter et les fermes laitières géantes à créer dans le Sud. Elle infirme en même temps, en rendant compte directement du monde vécu des populations sahariennes, les illusions des soutiens du régime qui nous répètent tous les matins que tout va pour le mieux.

Condamnée une première fois par le tribunal de Ouargla à 3 ans de prison ferme, Abla Kemari vient de voir cette peine confirmée en partie en appel le 15 février dernier (3 ans dont deux ferme).

Les principaux chefs d’accusation retenus contre elle sont « l’insulte au président de la République et la création d’un compte électronique destiné à promouvoir des idées ou des informations susceptibles d’inciter à la discrimination et à la haine au sein de la société ».

Rien ne permet de se faire une plus juste opinion sur la scélératesse de cette décision de justice que l’extrait que je reproduis ci-dessous d’un des posts publiés par cette femme et qui est au diapason de toutes ses publications. Que cet authentique manifeste en faveur de la solidarité sociale et citoyenne, que ce plaidoyer pour le service public en général, pour l’égalité et pour la justice sous toutes ses formes (judiciaire et sociale), que cette profession de foi civique, en un mot, soit condamnée en Algérie comme un acte criminel, nous en dit long sur la dérive du régime sur le plan politique, moral et judiciaire.

VIDÉO PUBLIÉE LE 9 JUIN 2022 PAR A. KEMARI SUR FB :

« SI NOUS SOMMES SORTIS EN 2019, C’EST POUR QUE LE SORT DES CITOYENS CONNAISSE UNE AMÉLIORATION ; C’EST POUR LA JUSTICE QUI EST LE FONDEMENT DU GOUVERNEMENT. QUAND IL N’Y A PAS DE JUSTICE, CE SONT LES ÉQUILIBRES SU SYSTÈME QUI DISPARAISSENT  

» JE SUIS LA FILLE DE MES IDÉES. C’EST MOI QUI VIS DANS CE PAYS, C’EST DONC MOI QUE LE MONDE DOIT ENTENDRE. C’EST MOI QUI VIS AU CŒUR DU PÉTROLE, DU GAZ, DE L’OR, ALORS QUE TOUS LES JOURS ON NOUS COUPE L’ÉLECTRICITÉ.

» NOUS SOMMES CEUX DONT LES FILLES DOIVENT SE TAPER 1000 km A L’ALLER ET AU RETOUR POUR SE RENDRE A L’UNIVERSITÉ. C’EST NOUS QUI N’AVONS PAS D’HÔPITAUX, NOUS DONT LES ENFANTS SONT DES CHÔMEURS, AU POINT QUE LES ENFANTS DU SAHARA SONT DEVENUS DES HARRAGAS.

» CE N’EST PAS PARCE QUE JE TRAVAILLE A LA BANQUE ET QUE J’AI UN BON SALAIRE QUE JE DOIS ME TAIRE. 

JE SUIS CHACUN DES CHÔMEURS; 

JE SUIS CHACUN DES AFFAMÉS; 

CHACUN DES OPPRIMÉS C'EST MOI; 

MOI AUSSI CHACUN DES MALADES PRIVÉS DE SOINS, CHACUNE DES VEUVES, CHACUN DES ILLETTRÉS, DANS LE PAYS TOUT ENTIER ET A FORTIORI DANS CETTE RÉGION BRÛLÉE PAR LE SOLEIL.

» C’EST MOI QUE LE MONDE DOIT ENTENDRE ET C’EST MOI QUI M’EXPOSE AUX RISQUES. JE SUIS LA FILLE DU SAHARA, DE L’ALGÉRIE, LA FILLE DES SOUFFRANCES, DU SOLEIL BRÛLANT, DU CHÔMAGE, DE LA HOGRA, DE TOUS LES MAUX DE CE PAYS. C’EST A MOI QU’IL APPARTIENT D’EN PARLER ».



[1] Voir sur ce blog l’article intitulé « Un hirak dans le hirak, l’insurrection solitaire de Dalila Touat » (Le 11 février 2023). https://contredit.blogspot.com/2023/02/un-hirak-dans-le-hirak-linsurrection.html

 

 

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