Khaled Satour
Chaque jour qui passe nous apporte une nouvelle raison de ne jamais détourner le regard de Gaza, de refuser toute lecture de la situation à partir de données périphériques, qu’il s’agisse de la passe d’armes entre l’Iran et Israël ou des débats stériles qui se déroulent sur la scène du Conseil de sécurité.
La situation à Gaza suffit à nous restituer l’image de l’équation coloniale dont on veut nous distraire : une résistance armée aux moyens limités combattant depuis six mois l’armée cosmopolite d’Israël approvisionnée en moyens de destruction par les plus grandes puissances technologiques du monde mais impuissante à faire la décision et se vengeant jour après jour sur une population cernée à l’intérieur d’un champ de ruines, sans armes et sans abri, affamée. Si cette équation a besoin d’être complétée, il suffit d’y ajouter la résistance menée en Cisjordanie contre l’alliance armée/colons acharnée à mener à son terme l’entreprise de dépossession de la terre palestinienne.
Il n’y a aucune considération régionale, aucun équilibre impérial mondial qui puissent nous détourner de cette configuration en ce moment décisif de l’histoire où le sionisme a été poussé à réaliser par les actes les plus abjects ses prédispositions latentes au génocide et où, simultanément, l’Occident ne tente même plus de dissimuler le lien qu’il a gardé intact avec son passé colonial et notamment les penchants racistes et liberticides qu’il lui a toujours inspirés.
On peut certes prendre acte de l’inimitié israélo-iranienne et des risques de guerre dont elle est porteuse et faire le constat que Téhéran est en mesure d’assigner des limites à la domination régionale israélienne. Mais on doit garder à l’esprit que l’Iran est mû par des mobiles de politique intérieure et extérieure dans lesquels la cause palestinienne ne représente que la portion congrue. Le régime iranien joue contre les États-Unis une partie dont les enjeux excèdent de beaucoup le sort de la Palestine et qui s’élargissent à de rapports de force régionaux qui ont toujours servi à éclipser la cause palestinienne.
L’exacerbation de l’opposition israélo-iranienne et la polarisation des analyses sur les risques de déstabilisation régionale qu’elle peut entraîner ne constituent qu’une diversion ayant pour fin de renvoyer la Palestine à l’oubli dont le 7 octobre l’a sortie.
Il n’est donc pas fortuit que la brusque tension entre Israël et l’Iran dont nous avons été témoins ces derniers jours ait suffi pour que la guerre d’agression israélienne soit rejetée au second plan et pour que le réel colonialiste soit supplanté par le simulacre géopolitique régional.
Et ce que j’appelle simulacre en l’occurrence c’est la représentation que les acteurs les plus influents et leurs médias donnent de la réalité. Les États-Unis, l’Europe occidentale, Israël et les pays arabes de la région ont chacun pour son compte un intérêt à faire oublier les deux données essentielles de la situation qui prévaut en Palestine : une résistance armée anticolonialiste qui ne faiblit pas et des crimes de guerre d’une intensité sans précédent commis par Israël pour infliger à la résistance une défaite dont elle ne se relèverait pas.
Cette représentation se nourrit d’abord de la délégitimation de la résistance armée. Les groupes palestiniens qui combattent l’armée israélienne à Gaza sont quasi unanimement frappés d’ostracisme. Cette position relève chez chacun des protagonistes de calculs qui lui sont propres mais qui, si variés qu’en soient les prétextes, visent le même objectif : disqualifier le combat mené par les armes contre l’occupant afin de séparer la question palestinienne de son contexte anticolonialiste.
Il est révélateur à cet égard que les arguments du droit international et du droit humanitaire qui sont mobilisés contre Israël depuis six mois fassent l’impasse sur la règle maîtresse que la communauté internationale a instituée consécutivement au processus de décolonisation du siècle dernier : la résolution 3070 adoptée par l’Assemblée générale le 30 novembre 1973 qui réaffirme « la légitimité de la lutte des peuples pour se libérer de la domination coloniale et étrangère et de l'emprise étrangère par tous les moyens en leur pouvoir, y compris la lutte armée ».
On aurait dû y trouver un motif légitime à fournir aux Palestiniens les armes nécessaires à leur défense. Au lieu de quoi, on surarme la main qui les assassine.
Il nous revient donc, par la seule arme de la parole et en dépit d’une dissuasion qui revêt des formes de plus en plus menaçantes, d’entretenir la mémoire du droit et des sacrifices immenses qui ont permis de l’arracher.
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