Khaled Satour
Ce que l’on observe actuellement dans les sociétés occidentales, et notamment dans les universités, est un revirement de l’opinion sans précédent, très marqué aux États-Unis. Le soutien à Israël était jusqu’à présent obtenu, à coups de millions de dollars de financement des universités, par le lobbying idéologique exploitant le tabou de l’antisémitisme et le consensus assimilant la résistance palestinienne au terrorisme.
L’hypermnésie entretenue autour du génocide juif des années 1940 était constamment dédiée à une identification d’Israël aux victimes de « l’Holocauste » qui érigeait autour de cet État par les seuls moyens de la persuasion une barrière l’immunisant contre toute attaque.
Mais voilà que soudain l’argument de l’antisémitisme, auquel s’ajoute en France aussi bien qu’en Amérique celui d’apologie du terrorisme, ne fonctionne plus que par la répression policière qui s’abat notamment sur les campus américains les plus prestigieux, dont celui de Columbia qui est à la pointe du combat.
La substitution de la violence policière à une propagande pépère qui avait jusque-là suffi à décourager toute critique d’Israël est le signe indéniable que le lobby sioniste est en train de subir en terre alliée un échec historique. L’adhésion à la politique israélienne et l’unanimité qui s’était constituée autour du sionisme ont volé en éclat. Rien ne l’indique mieux que la résolution que la chambre des représentants a dû voter la semaine dernière pour condamner comme antisémite « la devise "Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre" ». Le Parlement américain en est réduit à enseigner son catéchisme, comme une vulgaire hiérarchie cléricale !
Alors que jusqu’à présent le consensus pro-israélien semblait relever de la nature des choses et même, aux États-Unis, participer pleinement d’une conception du patriotisme américain que les Républicains et les Démocrates ont en partage, il semble qu’il ne soit plus désormais possible que d’en recoller les morceaux au prix d’atteintes graves à l’État de droit et à l’exercice de la sacro-sainte liberté d’expression. Les images de professeurs d’université menottés, jetés à terre et malmenés par la police sur les campus produisent à cet égard un effet dévastateur.
Les pressions financières et politiques exercées contre les présidents des universités les plaçant dans une position intenable, contraints qu’ils sont d’arbitrer entre les franchises universitaires dont ils sont les garants et la menace d’être jetés en pâture à la calomnie, incitent aux pires escalades : la présidente de Columbia a dû requérir l’intervention musclée des forces de l’ordre et menace de faire appel à la garde nationale. Or, le souvenir du carnage provoqué par l’intervention de ces unités fédérales à l’université de Kent State en 1970 pendant les manifestations contre la guerre du Vietnam hante encore les mémoires.
Il est difficile de prévoir si cette agitation universitaire risque réellement de prendre les proportions qu’elle atteignit à la fin des années 1960, comme on l’affirme, me semble-t-il, un peu prématurément. Il y avait alors des ingrédients nombreux et divers qui favorisaient la déflagration (la guerre du Vietnam et les GI’s qui y trouvaient la mort, le combat pour les droits civiques, un puissant désir de changer la société).
Pour l’instant, les étudiants révoltés, notamment dans les universités qui forment l’élite (Columbia, Yale, Harvard, Vanderbilt, New York University, MIT, etc.) demeurent dans le giron des puissances technologiques et financières qui coopèrent aux projets « académiques » des établissements qui les accueillent. Ils ne semblent pas près de contester les privilèges que leur vaut leur insertion dans l’économie néolibérale et commencent à peine à prendre conscience de leur compromission de classe avec le complexe militaro-industriel dévoué à Israël.
Il n’est pas sûr non plus que cette révolte puisse être d’un quelconque secours sur le terrain pour les Palestiniens de Gaza, menacés par l’imminence d’une attaque contre Rafah aux conséquences encore plus meurtrières que tous les massacres déjà commis par Israël depuis le 7 octobre.
Mais une chose est sûre : Israël a fini de se comporter dans ses provinces d’outre-Atlantique comme en terrain conquis.
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