Khaled Satour
On a pu observer au cours des dernières années que, lors des catastrophes naturelles, la solidarité des populations était plus efficace dans l’organisation des secours que l’(in)organisation étatique. Mais si forte que puisse être cette solidarité, elle ne saurait se passer de l’appui logistique des autorités instituées.
L’exemple du Maroc, frappé par le séisme, nous donne à voir le spectacle des calculs auxquels se livrent les gouvernants pour accepter ou refuser les offres d’aide internationale.
Les amitiés et les inimitiés interétatiques sont pour beaucoup dans le choix d’accepter les missions de secours britanniques, espagnoles, qataries et émiraties (ainsi que la libre initiative d’intervention laissée à des équipes israéliennes) au détriment de celles (algériennes ou françaises) mises en attente pendant plusieurs jours.
On a aussi invoqué des considérations d’efficacité confortant les mobiles politiques. C’est ainsi qu’un courant dit de « la localisation » préconise de privilégier l’aide la plus locale possible en se fondant sur la constatation que « les secours les plus efficaces dans les heures suivant une catastrophe sont locaux ». Ce courant se conjugue à une tendance à vouloir affirmer « une décolonisation de l’aide » qui n’est peut-être qu’une justification de mauvaise foi.
Mais quelles que soient les options mises sur la table, c’est un État qui en est l’arbitre en dernier ressort. Un État qui affecte les moyens dont il dispose selon la rationalité qui est la sienne et qui n’est pas exempte de considérations de classe. On a pu ainsi dire que les tergiversations du régime marocain n’étaient pas étrangères au fait que le séisme a frappé des régions du « Maroc inutile » déjà sinistré de longue date du fait de la pauvreté et la vétusté des infrastructures et des carences de l’action sociale.
Cependant, quoi qu’on puisse en tirer comme déduction, la simultanéité du séisme marocain et des inondations qui frappent la côte orientale libyenne à la suite du passage de la tempête « Daniel » est l’occasion de constater que les peuples ne sont pas égaux dans le malheur.
Pour les Libyens, la catastrophe suprême était antérieure à cette tempête meurtrière. La destruction de leur État par une coalition arabo-occidentale en 2011, accompagnée des déchirements provoqués dans le tissu social, les a collectivement réduits à l’état de « nudité de celui qui n’est rien qu’un homme », c’est-à-dire à une « condition de complète privation de droits » selon les expressions d’Hannah Arendt. Celle-ci, qui appliquait sa réflexion aux droits de l’homme, considérait que l’appartenance à une communauté politique avec le bénéfice de la citoyenneté constituait le premier des droits fondamentaux constitutif du « droit d’avoir des droits ».
Les inondations libyennes qui s’annoncent d’ores et déjà plus meurtrières encore que le séisme marocain (on recense une dizaine de milliers de disparus en plus des 2000 morts comptabilisés à ce jour) sont à peine évoquées par la presse internationale comme si le sort des populations qu’elles frappent était déjà scellé par le péché dont elles sont coupables d’appartenir à un État failli, qu’un naufrage orchestré par la « communauté internationale » a préalablement et entièrement englouti.
Les sinistrés libyens sont donc à la merci de la volonté de ceux qui les ont dénudés de leurs droits : que les États les abandonnent à leur sort ou se disputent la primeur de voler à leur secours, ils ne le feront que dans l’esprit qui les anime depuis plus de dix ans : celui de la rivalité et de la concurrence auxquelles ils se livrent pour resserrer leur étreinte mortifère sur le pays.
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