Khaled Satour
On aurait aimé que, à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse célébrée le 3 avril au Club des Pins, le président Tebboune invite un journaliste algérien porteur d’une pétition citoyenne demandant la libération d’Ihsane El Kadi. Mais le président algérien n’aurait pu accepter un tel affront. Il n’a pas à se soumettre à un diktat citoyen communiqué par un journaliste et néanmoins citoyen algérien. Il n’a pas de comptes à rendre aux citoyens.
On a donc assisté mercredi dernier à une manifestation spectaculaire de déterritorialisation de la relation entre l’État algérien et l’un de ses citoyens, c’est-à-dire à une mise en scène dans laquelle le président Tebboune a dû rompre le lien de territorialité qui le rattache à Khaled Drareni afin d’accueillir en sa personne une espèce de plénipotentiaire étranger venu le rappeler à ses devoirs internationaux. Aussi bien, pendant la parenthèse surréaliste que fut leur rencontre, les deux hommes ont-ils symboliquement abandonné le terrain de la relation concitoyenne pour vivre un moment d’échange bref et intense sur la seule scène que l’État algérien semble accréditer comme lieu de négociation sur les libertés publiques : la scène virtuelle et traitresse de la « société civile internationale ».
Il a fallu pour que cette fiction soit crédible que s’applique à Khaled Drareni une doctrine tout aussi chimérique que les juristes britanniques de l’époque élisabéthaine avait inventée pour justifier l’assassinat des rois sans nier la sacralité de l’institution monarchique. Je veux parler de la doctrine de la dualité corporelle du roi qui posséderait un corps naturel, mortel et soumis aux infirmités, et un corps surnaturel, immortel et invulnérable.
Appliquée à Drareni (alors qu'on devrait plutôt la tester sur Tebboune), c’est cette doctrine qui semble avoir permis qu’il soit, en sa qualité de citoyen, traité de khabarji par le président de la République et jeté en conséquence en prison par les tribunaux algériens, et qu’il soit par ailleurs, en sa qualité de représentant de Reporters Sans Frontières, invité par ce même président en tant qu’hôte de qualité admis à lui remettre « en mains propres » « un plaidoyer public » exigeant la libération d’un autre journaliste qu’il avait également qualifié de khabarji.
On peut constater, en suivant la vidéo ci-dessus, avec quelle ardeur Drareni lui-même défend sa prétendue dualité corporelle : « je me suis rendu à cette invitation en tant que représentant de RSF en Afrique du Nord et rien d’autre » ; « j’aurais aussi volontiers déféré en cette qualité à l’invitation des autorités marocaines, tunisiennes ou soudanaises ».
Il campe obstinément sur cette position tout au long de l’interview et résiste aux questions qui l’interpellent dans son corps et sa conscience de citoyen. Il est décidé à ne pas quitter son enveloppe d’ambassadeur de la « société civile internationale », à ne pas arracher le masque derrière lequel s’abrite sa chair citoyenne et qui lui assure l’immunité ! Dans le corps de citoyen et de journaliste algérien qui le réduirait à la redoutable fragilité de tous ses semblables, il n’a pas d’opinion à exprimer, en cette journée solennelle de la liberté de la presse.
Bien sûr, cette dualité corporelle n’est que duplicité pure et simple à laquelle Drareni accepte de se prêter. Une duplicité qui s’exprime sans fard chez Abdelmadjid Tebboune qui, en dépit de sa position régalienne, se dépouille de ces menus artifices monarchiques. C’est en tant que président, incarné dans le corps immortel de la République, qu’il a à la fois traité le citoyen Drareni de khabarji et reçu l’ambassadeur Drareni avec les honneurs, en ayant entretemps, en cette même qualité, vitupéré en des termes virulents l’organisation qui l’a accrédité auprès de lui ainsi que toutes celles qui, au sein de l’autoproclamée « société civile internationale », ont pétitionné contre la répression des libertés publiques en Algérie.
Mais si l’État fait chèrement payer cette duplicité à ses citoyens, c’est lui-même qui en acquitte le coût le plus dommageable et avec lui, solidairement, tous ceux qui, faisant mine de louer chez lui une intransigeance sourcilleuse, ferment complaisamment les yeux sur l’arrangement qu’il conclut avec l’un des lobbies internationaux les plus influents.
La comédie jouée ce 3 avril au Palais des Congrès démontre que l’État n’est pas près de reterritorialiser le lien qu’il entretient avec les Algériens.
Désolée de vous le dire Mr Satour, les khorotos et opportunistes journalistes (il faut le dire vite) algériens du genre Drareni,(ils son légion, voire majoritaires) sont incapables de saisir une analyse aussi fouillée et tellement juste. Seul leurs ego comptent, surtout lorsque les réseaux sociaux les fêtent à coups de tombereaux de like et de commentaires laudateurs qui frisent l'indécence et l' abêtissement réunis. Amel d'Alger.
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