Khaled Satour
Quel est donc cet espoir
magnifique que le refus marocain de l’aide algérienne aurait déçu ? Beaucoup
d’Algériens ont écrit sur les réseaux sociaux qu’une acceptation de l’aide
aurait constitué un premier pas vers la réconciliation, que cela aurait favorisé
les retrouvailles des frères ennemis, etc. Et les mêmes se sont lamentés
aussitôt sur l’occasion perdue.
A croire que c’est une bouderie,
un vulgaire froissement d’amour-propre attribué selon les versions à l’un ou l’autre des
protagonistes qui est la cause de la tension existant entre les deux pays.
Cette banalisation de la crise
des relations algéro-marocaines est le fait de secteurs de l’opinion faisant
entendre leur voix dans chacun des deux pays. Elle traduit un consensus en
constante progression s’accordant à minimiser la cause sahraouie que d’aucuns,
du côté marocain, s’obstinent à regarder comme un problème artificiel créé de
toutes pièces par l’Algérie et dans laquelle les Algériens sont de plus en plus
nombreux à ne voir qu’une vague démangeaison héritée de l’ère Boumediène, le
sort de quelques centaines de milliers de personnes n’étant pas digne de
compromettre l’avenir des relations entre deux grands pays frères, piliers
incontournables de l’unité maghrébine.
Du côté marocain, ce mépris des
Sahraouis a été profondément enraciné dans les mentalités par une cinquantaine
d’années de propagande qui a fini par faire de la prétendue reconquête de
l’unité du territoire national une cause sacrée à défendre contre l’Algérie
dont le Polisario ne serait que la marionnette.
Du côté algérien, c’est
l’opposition légitime à un régime autoritaire et incompétent qui, discréditant
sans distinction ses positionnements sur le plan intérieur et extérieur,
conduit certains à nier la justesse de la revendication sahraouie et à faire comme
s’il suffisait aux dirigeants algériens de rayer le Polisario d’un trait de
plume pour que la fraternité maghrébine renaisse.
Ceux-là ne sont pas loin
d’estimer sur leur lancée que le réalisme de ce vingt-et-unième siècle
imposerait même de célébrer la réconciliation sous les auspices d’Israël, de
plus en plus influent dans les allées du pouvoir marocain, tant il serait vrai
que la normalisation avec cet État est irrésistiblement en route dans le monde
arabe « de l’Océan au Golfe » et que les derniers ne sont pas assurés d’être
les premiers.
La manipulation de l’identité
amazigh par certains milieux et le reniement des États arabes cumulent leurs
effets et travaillent à faire prospérer dans les esprits la tentation d’un
double renoncement au soutien des causes palestinienne et sahraouie et à
ficeler dans le même emballage les projets de "réconciliation" de
l’Algérie avec le Maroc et de normalisation avec Israël.
L’alibi sahraoui a permis à la
monarchie de légitimer la toute-puissance qu’elle exerce sur la société au
point de lui faire admettre avec une facilité déconcertante une si improbable
fraternisation avec Israël, au prix d’une refondation révisionniste de
l’histoire du pays pour y intégrer une prétendue dimension juive rivalisant
sans complexe et sans honte avec les dimensions arabe et islamique qui ont
toujours été les assises de la dynastie alaouite.
L’hostilité à l’égard de
l’Algérie, corollaire indispensable de l’intransigeance marocaine sur le
Sahara, est donc un atout dont le régime monarchique n’est pas près de se
défaire car il en a fait le ciment de l’unité nationale et le gage de sa propre
pérennité.
L’affaire de l’aide algérienne
aux sinistrés du séisme n’était par conséquent pas susceptible de faire évoluer
la crise de façon significative. Elle ne pouvait fournir que l’occasion
fortuite d'un bras de fer entre deux États engagés dans une lutte d’influence
soumise à l’arbitrage contingent des opinions publiques. Mais dès lors qu’on a
atteint un seuil critique où le moindre point marqué peut compter, il était
pratiquement acquis d’emblée que la monarchie n’accepterait pas l’aide offerte
par l’Algérie.
Et comme le gouvernement algérien
lui-même n’avait proposé son assistance que pour se donner le beau rôle, assuré
qu'il était selon toute probabilité qu’elle serait rejetée, le suspense qui nous
a été servi par les deux États, l’un mettant la pression et l’autre faisant
froidement monter la tension, n’était qu’une mascarade, un duel mis en scène
par deux protagonistes cyniques dans lequel les considérations humanitaires
n’étaient que les otages de calculs relevant de part et d’autre de la
démonstration de force.
Si l’on considère que dans ce
bras de fer la monarchie alaouite était par le fait des événements qui l’ont
déclenché en position de faiblesse, on en conclura qu’elle s’en tire en ne
concédant qu’un demi-échec. Elle ne permet de ce fait à l’Algérie d’engranger
que le succès mitigé qui lui était promis d’avance.