Khaled Satour
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Les tribunaux algériens jugent et condamnent sans discontinuer. Le rythme des comparutions donne le tournis et il est difficile de rendre compte de chacune des affaires que les juges expédient, se contentant le plus souvent de suivre les réquisitions du ministère public, inspirées d’instructions qui ne font elles-mêmes qu’avaliser les procès-verbaux malveillants des services de sécurité.
L’article paru sur le site du journal inter-lignes le 15 décembre dernier[1] est l’un des rares, parmi ceux que la presse algérienne publie, à nous fournir un compte-rendu de débats d’audience. On peut regretter qu’il ne soit pas plus synthétique, qu’il ne communique pas avec un minimum de rigueur des éléments plus complets d’information sur la personnalité des accusés et les chefs d’accusation et des précisions plus circonstanciées sur les faits et la procédure.
Mais il nous donne de l’audience de comparution le 15 décembre dernier de Kamira Nait Sid, Slimane Bouhafs, Bouaziz Ait Chebib et Ben Adjoud Yougourthen devant le tribunal criminel de Dar El Beida des aperçus édifiants.
Ces quatre personnes étaient toutes jugées pour appartenance au Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK), classé sur la « liste nationale des personnes et entités terroristes » par une décision du Haut Conseil de Sécurité prise le 19 mai 2021 alors même que la liste n’existait pas encore puisqu’elle ne fut créée par ordonnance que le 8 juin suivant. Je n’entends pas ici juger les engagements politiques des accusés et mon propos n’est d’ailleurs pas le MAK ni tout autre organisation séparatiste ou autonomiste kabyle. Je me contenterai d’énoncer les quelques éléments qui me permettent de commenter leur procès et leur condamnation.
La vaine parole des accusés
- S’agissant de Youghourthen Ben Adjoud, il ressort clairement du compte-rendu qu’il paie au prix fort le tort d’être le neveu de Ferhat M’henni, dirigeant du MAK, et de n’avoir pas rompu tous les ponts avec son oncle. Sa condamnation à 3 ans de prison ferme prend donc l’allure d’une vengeance exercée contre M’henni et venant alourdir la peine de réclusion à perpétuité prononcée contre lui par contumace.
- Le cas de Kamira Nait Sid est déjà plus complexe. Elle est présidente du Congrès Mondial Amazigh et a nié farouchement tout lien avec le MAK et toute adhésion à ses thèses. « La seule organisation à laquelle j’appartiens, a-t-elle soutenu devant ses juges, est le Congrès Mondial Amazigh, une ONG qui défend les droits des Amazighs dans le monde. Cette organisation n’a pas été classée par les autorités comme organisation terroriste. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’ONU, sur la base des conventions ratifiées par l’Algérie ». Elle avait été enlevée par les services de sécurité à son domicile le 24 août 2021 et portée disparue pendant plusieurs jours avant qu’on n’apprenne qu’elle était en garde à vue à Alger. Au regard du principe de non-rétroactivité des lois et si on considère que le MAK n’était porté sur la liste des entités terroristes que depuis le 19 mai 2021, il aurait fallu prouver pour la déclarer coupable qu’elle avait été en lien avec cette organisation pendant les 3 mois précédant son enlèvement. Le tribunal ne s’est pas embarrassé de ces peccadilles et l’a condamnée à 5 ans de prison ferme.
- Bouaziz Ait Chebib dirige une autre organisation que le MAK, dénommée AKAL (Alliance pour une Kabylie Libre), qui n’est pas sur la liste des organisations terroristes. Mais les autorités judiciaires semblent lui avoir nié cette spécificité et l’ont assaisonné tout au long du procès à la sauce du MAK. Il a tenté de nier cette assimilation : « C’est à partir de 2013 que Ferhat Mhenni commençait à pencher vers l’autodétermination de la Kabylie, s’est-il défendu. Ces faits ont conduit à une crise interne dans le MAK et il y avait deux courants. Celui de Ferhat qui voulait l’indépendance et l’autre courant que je représentais qui s’est opposé à cette idée ». Mais le tribunal l’a condamné à 3 ans de prison ferme, au mépris de l’autorité de la chose jugée car, comme l’a rappelé en vain sa défense, « il avait bénéficié par arrêt de la chambre d’accusation rendu en décembre dernier de l’acquittement des mêmes accusations et le code pénal interdit de poursuivre deux fois la même personne pour les mêmes faits ».
- Et il y a enfin le cas tout à fait atypique de Slimane Bouhafs. Cet ancien policier converti au christianisme fait figure de franc-tireur de la « cause » kabyle dont les prêches enflammés, aux accents affectifs paroxystiques, sont toujours disponibles sur sa page Facebook. Réfugié en Tunisie où il avait obtenu l’asile politique, les autorités algériennes affirment l’avoir arrêté dans la région de Tébessa alors qu’il avait été porté disparu à Tunis le 25 août 2021.
La version qu’il a donné de son enlèvement est criante de vérité : « Des gens sont venus m’arrêter chez moi en Tunisie alors que j’étais en train de prendre une douche, et ils m’ont embarqué avec des méthodes de Daech (…) Quand ils m’ont enlevé, ils m’ont battu avec des coups de pieds à la tête (…) Ils m’ont jeté dans la forêt et m’ont couvert avec un carton. Ils m’ont dit des choses que je ne peux pas répéter ici par respect pour les femmes et ils ont pissé sur moi. Ils m’ont dit qu’ils allaient m’emmener en Libye, ils m’ont mentionné les noms de toutes mes filles et m’ont fait écouter l’enregistrement de ma femme qui pleurait ». Le juge, qui avait l’oreille dure, l’a condamné à 3 ans de prison ferme.
Abus d’autorité, disions-nous ?
Voilà ce que je retiendrai de ce procès : l’arbitraire des juridictions algériennes. Il n’y a pas de justice pénale digne de ce nom sans respect de la procédure. Le procès de Dar El Beida a foulé aux pieds la non-rétroactivité des lois, les règles régissant l’arrestation, la détention préventive et la prohibition de la torture, sans parler des garanties que confère le droit d’asile. Mais, depuis des décennies, il est devenu dérisoire, même (et surtout) lorsqu’on a quelques rudiments de droit, de pointer la persistance des abus que la loi fait normalement obligation aux magistrats de relever et de sanctionner.
Plusieurs articles du code de procédure pénale répriment ce que l’on dénomme de façon générique l’abus d’autorité. Celui-ci se définit comme une dénaturation de l’exercice d’une fonction, au détriment des garanties reconnues au justiciable.
Mais comment tirer argument de ce qui n’est normalement que la pathologie rare affectant un organisme sain, lorsque l’abus est devenu la règle ? La loi qualifie d’atteinte à la liberté l’enlèvement, l’arrestation, la détention et la séquestration illégale commises par toute personne quelle qu’elle soit, le port de l’uniforme ou de l’insigne étant une circonstance aggravante. Des Algériens subissent ces atteintes tous les jours, accompagnées d’humiliations sinon d’actes de torture.
Abus d’autorité des services de sécurité ? Atteintes à la liberté ? Oui, mais à quoi bon en faire état si l’ensemble des magistrats en charge des affaires, convertis en commissaires politiques, les entérinent sans états d’âme ? En réalité, c’est le système institutionnel tout entier, fondé sur l’hégémonie des services de police et la soumission de la magistrature, qui est en cause et qui réduirait la plus brillante équipe de défense à l’impuissance.
Abus d’autorité, disions-nous ? Quel usage faire de ce vocabulaire quand c’est l’improbable velléité d’un juge de sanctionner pareil manquement, tel que la loi le définit pour la pure forme, qui constituerait un abus intolérable. C’est que nous avons là des pratiques à ce point généralisées que les critères par lesquels s’apprécie l’abus sont réduits à l’état d’artifices scripturaires.
Il faut changer de boussole : le « droit » algérien est ailleurs. Toutes les fonctions étant perverties, le regard doit s’adapter à une réalité qui marche sur la tête et a substitué à tous les abus d’autorité une présomption générale d’abus de liberté d’opinion qui trahit l’infirmité de l’ensemble des libertés publiques.
Bravo pour vos articles. J'ai l'habitude de vous suivre sur Algeria Watch et vous êtes l'un des rares analystes qui êtes sans concession avec le pouvoir algérien et toutes les pseudo démocraties qui se comportent comme les redoutables dictatures. Cela doit déplaire à la bien-pensance d'Algérie et de Navarre, mais ce n'est en rien une référence de qualité et de partialité, loin de là. Bonne continuation. Hamid
RépondreSupprimerVous avez aimé la justice expéditive de l'ère mortifère de Bouteflika, alors vous allez adorer celle des puissants donneurs d'ordre de l'insignifiant Tebboune, qui a méticuleusement emmuré tous ceux et celles (même les plus insignifiants) qui ont le malheur de donner un avis différent de la doxa dominante. C'est dire la toute puissance de cette criminelle junte militaire qui est en train de soumettre à sa seule volonté tout peuple, avec malheureusement la bénédiction de celui-ci , tellement aveuglé par son puérile fanatisme et démagogie nationalistes. Merci Monsieur Sator pour cette analyse éclairante. Latifa. N
RépondreSupprimerIl faut rappeler que cette justice inique, d'une brutalité sans nom, survient après plus de deux années de Hirak où des millions de personnes sont descendues dans la rue pour dénoncer, entre autres, la "hogra" des juges, commandée expressément par le bon vouloir des puissants parrains du pays. C'est dire tout le mépris que porte ce pouvoir dictatorial à ce mouvement grandiose dans ses aspirations premières et qui en fin de compte s'est complètement fourvoyé quant à la manière de se faire entendre. J'ai bien peur, j'en suis même certain, qu'une chape de plomb de la répression, la plus féroce, a été installée sur le pays pour très longtemps.
RépondreSupprimerDjillali d'Alger