Khaled Satour
Sous le titre « Conseil des droits de l’homme de Genève : Tabi souligne l’engagement ferme de l’Algérie », le quotidien algérien El Watan a publié dans son édition du 13 novembre un article qui constitue un bon échantillon de la presse indépendante telle que l’aime le régime algérien : il s’agit du rapport que fait le journal du rapport de présentation par le ministre de la Justice, Abderrachid Tabi, du rapport soumis par l’Algérie à la session du Groupe de travail intergouvernemental du Conseil des droits de l’homme, tenue le vendredi 11 novembre à Genève.
Autant dire que le recul pris vis-à-vis de la situation des droits de l’homme en Algérie est triplement garanti par la longueur de la chaîne de transmission, de sorte que la réalité des faits a tout loisir de s’éloigner et que le lecteur d’El Watan aurait aussi bien pu être invité à ajouter foi aux propos de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours.
Cette distanciation par rapport(s) à l’objet (les droits de l'homme) rend celui-ci assez flou pour que soit crédibilisé l’éloge fait du Hirak en tant que « test extraordinaire de par le caractère pacifique de ses manifestations, la forte mobilisation de ses composantes et son inspiration qui a transcendé les querelles partisanes, les sensibilités associatives et les intérêts personnels », et en tant que « point de départ d’une prise de conscience collective, qui a permis aux citoyens algériens de se réapproprier l’espace public et le paysage politique en faisant face résolument à de nombreux dépassements qui avaient trop duré ».
Il nous est ainsi rapporté que le Hirak a porté ses fruits puisque les citoyens algériens se sont réapproprié l’espace public et qu’il n’y a plus de dépassements. Même si, à en croire nos rapporteurs, « la transformation des axes du Hirak en institutions de la République » n’a pu se faire qu’avec « l’introduction d’un changement progressif de l’intérieur et la préservation de la continuité de l’État, de son unité territoriale, de son indépendance et de sa stabilité ».
Et une fois posée, en termes elliptiques, cette dialectique du Hirak et de la stabilité de l’État, la dialectique des droits de l’homme en Algérie qui est ensuite exposée coule de source :
1°- « La démocratie ne s’accommode pas des comportements portant atteinte à la dignité des personnes, tout comme la liberté d’opinion, d’expression ou de réunion ne peut être fondée sur la logique de la subversion, des appels à l'insubordination, voire au séparatisme, ou à d’autres fins et tentatives de contourner le processus électoral afin d’accéder au pouvoir loin des voies constitutionnelles ».
2°- « En Algérie, le +crime d’opinion et de presse+ n’existe pas, ni même les peines privatives de libertés pour les journalistes dans le cadre de l’exercice de leur métier », puisque « les cas rares, délibérément surexploités sur les réseaux sociaux, concernent des individus poursuivis en justice sur la base du droit public, et n’ont rien à voir avec la liberté d’expression ».
3°- Quant au terrorisme dont la définition a été élargie par une révision du code pénal promulguée l'an dernier, il utilise «la façade des droits de l’homme comme couverture, à travers l’exploitation des cadres juridiques, politiques et médiatiques et parfois syndicaux, notamment sur les réseaux sociaux en vue (…) de nourrir la haine contre les institutions et inciter à l’insubordination civile et au séparatisme ».
En somme, il n’a fallu faire taire les militants du Hirak, les accuser de subversion et de terrorisme, les emprisonner avec ou sans procès que pour mieux intégrer leurs revendications dans les institutions de la République.
Les chances de croiser un ours en Algérie restent finalement bien plus grandes que d’y entrevoir les droits de l’homme.
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