Khaled Satour
Les pays occidentaux semblent se repentir d’avoir mobilisé leurs lobbies afin que le Qatar organise le Mondial. Personne ne doute désormais que l’émir de Doha a servi des millions de dollars de dessous de table pour obtenir le feu vert de la FIFA, l’ancien président Sarkozy ayant notamment enrôlé l’icône française du football Michel Platini pour convaincre les pays membres de l’UEFA de voter pour sa candidature.
Cela s’est passé il y a plus de 10 ans mais ce n’est qu’à l’approche de la compétition que les sponsors de l’émirat ont décidé de lui faire payer le service éminent qu’ils lui ont rendu. Les pétitions favorables au boycott, pour différents motifs, font florès. Mais le repentir est assez tardif pour que la fête du foot et de la finance ne soit pas compromise.
On reproche à juste titre au Qatar le traitement réservé aux ouvriers qui ont construit les stades, esclaves modernes dont plus de 6000 sont morts sur les chantiers. On s’en est avisé là aussi assez tard pour laisser le temps aux architectes de renommée mondiale et aux grosses entreprises étrangères d’empocher leurs bénéfices.
Mais, plus récemment, on a décidé de le prendre à partie sur le plan des « valeurs » de l’Occident pour mieux l’inférioriser dans sa condition de pays arabe et musulman attardé. On s’indigne des propos que son ambassadeur a tenu le 8 novembre sur une chaîne allemande à propos de l’homosexualité dont il a dit que c’était un péché parce que c’était un « dommage mental ». Il a bien été poussé à assurer que les homosexuels seraient autorisés à assister à la coupe du monde mais en précisant qu’ils « devront respecter nos règles ».
Particulièrement indignés par ses propos, les Allemands semblent oublier qu’ils n’ont dépénalisé l’homosexualité qu’en 1994, c’est-à-dire à une étape particulièrement tardive de la dénazification dans un pays où plus de 50.000 homosexuels ont été déportés dans des camps de concentration par le régime hitlérien. Les Français qui se solidarisent de l’indignation allemande ont (jusqu’en 1982) puni l’homosexualité, considérée comme une « maladie » dont il fallait éviter la « contamination », sur la base de l’article 330 du code pénal. En 1960, elle fut même classée dans la liste des « fléaux sociaux ». En comparaison, le « dommage mental » théorisé par l’ambassadeur qatari fait figure de doux euphémisme !
Ailleurs dans le monde, il a fallu attendre 1987 pour que l’homosexualité soit officiellement retirée de la classification américaine des maladies mentales et 1992 pour qu’elle ne figure plus dans la classification internationale des maladies (CIM) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Il y a donc une mauvaise foi manifeste à vouloir chicaner le Qatar sur cette question et à vouloir faire de la coupe du monde 2022 une manifestation ostentatoire de la lutte contre l’homophobie, avec la collaboration de l'UEFA qui va faire porter aux capitaines des équipes nationales un brassard marqué « One love » : on peut considérer qu’au moins 12 coupes du monde ont été à ce jour organisées par des États ouvertement homophobes, sans que cela ne provoque de scandale, notamment celle de 1974 qui s’est déroulée en Allemagne fédérale et auparavant celle de 1966 en Angleterre.
On serait plus fondé à rappeler au Qatar les crimes massifs auxquels il a participé au cours de la dernière décennie à l’occasion du « printemps arabe ». Il a joué un rôle primordial dans la déstabilisation de la Libye avant de prendre une part active à la guerre menée par l’Otan dans ce pays, conclue par le lynchage de Kadhafi.
Son ancien premier ministre, Hamad bin al-Jassem al Thani, a reconnu publiquement en 2017 que son gouvernement avait armé et entraîné les factions djihadistes qui ont mis la Syrie à feu et à sang à partir de 2011, avec la complicité des forces américaines et d’autres pays de la région, notamment l’Arabie saoudite, la Jordanie, les Émirats Arabes Unis et la Turquie.
Mais ce n’est pas d’avoir (autant qu’eux-mêmes) du sang libyen et syrien sur les mains que les Occidentaux reprochent au Qatar. C'est de prolonger quelque peu dans ses lois une homophobie institutionnelle dont eux-mêmes émergent à peine.
Alors que la modernité capitaliste et la culture qu’elle charrie conduisent la Planète au désastre, l’évolutionnisme social n’a toujours pas désarmé.
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