Khaled Satour
Quelques mots sur la polémique suscitée par le dernier film de Jean-Pierre Lledo, « Algérie, histoires à ne pas dire ». Il n’est finalement pas nécessaire de voir le film pour cerner les desseins de son réalisateur. Si celui-ci tait généralement les positions de fond qui sous-tendent son œuvre en affirmant faire parler des témoins, voilà qu'il découvre très largement ses mobiles dans la réponse ouverte faite à Brahim Senouci (10/04/2008, publiée sur le site d’Algeria Watch).
Il nous livre une représentation de la société coloniale dans laquelle les solidarités et les rapports égalitaires entre colons et colonisés étaient possibles, le système colonial ayant, selon lui, favorisé le pluralisme. Et il reproche au FLN d’avoir recouru à la violence avant que les moyens pacifiques n’aient été épuisés : une violence délibérément tournée contre les civils européens pour provoquer leur exode. Il veut bien concéder que le nationalisme ne porte pas seul « la responsabilité de ce gâchis humain qu’ont été la colonisation puis la décolonisation » (sic) et promet vaguement qu’il « essayera de découvrir » dans un prochain film la part de responsabilité de l’OAS !
Bref, s’il n’y a pas précisément de quoi constituer une doctrine nouvelle, la révision de l’histoire coloniale étant déjà bien engagée depuis quelques années, il y a là bel et bien un regain de cette guerre des mémoires qui, à travers une réactivation des griefs du passé, vise à une reformulation des enjeux du présent. Tout est fait pour empêcher une clôture de l’histoire du colonialisme. Et l’actualité algérienne en est le prétexte tout trouvé : l’échec de l’expérience d’Etat, sa dérive sanglante ne sauraient être analysés comme les données constitutives d'une "postériorité", avec ses incontestables déterminismes historiques mais aussi ses données vivantes, contemporaines ; ils fournissent les mobiles d’une perpétuelle relecture de la lutte de libération nationale algérienne qui, inscrite pourtant dans un processus général de décolonisation, ne cessera donc pas d’être mise en procès. En même temps, le mythe d’une autre issue historique dont nous aurions raté le coche (une société "métissée", "égalitaire" et "tolérante"), condamné en fait à son principe par le système colonial, rejeté jadis dans l’action par les acteurs, au nom d’intérêts inconciliables, et naguère dans la réflexion par les historiens les plus rigoureux, nous reviendra toujours comme un fantasme indépassable. Il faut que le colonialisme continue à nous faire rêver de tant de promesses brutalement ruinées par les « putschistes » du FLN !
La guerre des mémoires ! Il y a tant de grands esprits qui se défendent d’y céder … pour mieux l’alimenter. J’ai personnellement écrit que c’était un défi qu’il fallait relever à visage découvert. Car le substitut qu’on nous en propose n’en est que le déguisement : une histoire à écrire "ensemble", c’est-à-dire des tractations entre historiens parrainés par les pouvoirs pour aboutir à une vérité de compromis ! Et le film et la correspondance de JP Lledo participent de ces surenchères destinées à préparer la négociation.
J’ajouterai cependant que la plupart des contradicteurs algériens du cinéaste ont en commun avec lui d'emprunter, pour aller questionner le mouvement national, la même passerelle de silence jetée sur la décennie 1990 . Un silence dont ne filtre que la condamnation ritualisée du "terrorisme islamiste", appréhendé sans interrogation critique, avec la charge dogmatique dont le leste désormais un consensus mondialisé.
En 1999, JP Lledo consacrait un film à Henri Alleg, de retour en Algérie, grâce auquel le spectateur avait le loisir de suivre longuement les deux hommes dans leur visite de la prison de Serkadji, où le héros du film avait été incarcéré une cinquantaine d'années plus tôt. Je suis sûr que les couloirs et les murs de la prison étaient encore imprégnés du sang de la centaine de prisonniers massacrés là par les forces de sécurité en 1995. JP Lledo n’a pas soufflé mot de la tragédie à son compagnon (qui ne s'en est du reste pas offusqué le moins du monde!). On comprend pourquoi aujourd’hui. Aux dires mêmes du cinéaste, ces islamistes n’étaient somme toute que les descendants des « égorgeurs » du FLN.
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