Khaled Satour
Dans son intervention faite à la
49e cérémonie des Césars, l’actrice Judith Godrèche s’est projetée,
à partir de ses déboires personnels, dans l’analyse et a affirmé que le cinéma
était utilisé comme « une couverture pour un trafic illicite de jeunes
filles[1] ».
Le monde du cinéma en France a
toujours été une vitrine des traditions « galantes » tant
vantées de la civilisation occidentale dans laquelle brillent les
femmes les plus séduisantes de la société. C’est une sorte de master class,
dispensée en séance publique et permanente, grâce à laquelle se modélise et s’idéalise
la mixité en tant que « valeur » dont cette civilisation s’arroge
l’exclusivité pour stigmatiser les « communautarismes » qui
tentent de s’y soustraire.
A chaque fois qu’il s’est avéré impossible
de distordre la laïcité pour mettre le hidjab hors-la-loi, dans tel espace ou
dans tel autre, il s’est trouvé un idéologue du mode de vie à la française et
notamment de la présence féminine dans l’espace public pour proposer d’en
appeler aux traditions afin d’empêcher que la norme islamique, en voilant les
femmes, ne « mutile la nation ».
Or, voilà que le champ de la
création et de l’industrie cinématographiques révèle, comme l’ont fait avant
lui ceux de la politique, de l’entreprise et des médias, la fonction jusque-là
insoupçonnée de la mixité : celle d’aménager un terrain de chasse aux
prédateurs masculins. Voilà que la litanie des scandales provoqués par les
viols et les agressions sexuelles vient nous rappeler que ce sont la
marchandisation des êtres humains et la domination patriarcale qui sont au
fondement des rapports sociaux et que les mœurs si délicates de la civilisation
européennes, dont le glamour cinématographique représente la forme achevée, ne
sont que leurs déguisements de prestige.
La petite phrase de Judith Godrèche
est ravageuse, même si l'actrice n’a pas cessé de grimacer un sourire très
professionnel tout au long de son intervention. Mais les organisateurs ont su l’enfermer
dans une parenthèse préliminaire vite refermée afin que les réjouissances
puissent ensuite suivre leur cours. Ils ont ainsi pu en désamorcer la charge de
telle sorte que l’évocation du droit de cuissage dans le cinéma français ne profane
pas excessivement la grand-messe de l’exception culturelle française.
Le 7e art doit
continuer à faire rêver. Et pour que sa magie puisse opérer dans les salles
obscures, il fallait que ses arrière-cuisines ne soient pas elles-mêmes
exposées à une lumière trop crue.
Et puis il existe une telle
porosité entre le monde du spectacle et la société tout entière qu’il était
primordial de jeter un voile pudique sur ce symptôme de la barbarie lové dans
les replis d’une civilisation qui fait la leçon au monde entier.
Pour ne rien dire de la porosité
entre les sujets d’actualité qui autoriserait des rapprochements avec les
informations que rapportent des expertes mandatées par l’ONU sur les viols, les
traitements inhumains et dégradants et les exécutions que la succursale israélienne
de la civilisation occidentale fait subir aux femmes et aux filles
palestiniennes à Gaza et en Cisjordanie[2].