Khaled Satour
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J’ai lu ici et là que la tribune publiée dans Le Figaro[1] par Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, avait provoqué un véritable état d’alerte dans les palais d’Alger, à l’heure où se prépare le voyage officiel d’Abdelmadjid Tebboune en France. C’est probablement faux, à moins que les dirigeants algériens n’aient perdu tout sens des proportions. J’ai relevé en revanche l’émoi qu’elle a suscitée chez les soutiens traditionnels du régime et la stupide approbation qu’elle a recueillie auprès de l’opposition algérienne, formelle et informelle.
On a pu lire chez les premiers, dirigées contre l’ambassadeur, les habituelles attaques ad-hominem et « révélations » faites pour discréditer la personne dans sa vie extra-officielle, sans la moindre analyse politique de ses propos, et chez la seconde la satisfaction pleine de fatuité que le diplomate vienne conforter la lecture que font ces opposants de la situation politique algérienne. Dans les deux camps, je pense qu’on n’a rien compris.
Les affirmations, révélations et prévisions (pour ne pas dire les prophéties) dont est faite la tribune sont en réalité de la plus médiocre des factures, si l’on considère que leur auteur se légitime par l'expertise qu’il aurait acquise dans l’appréhension des questions algériennes.
Abandonnons le diplomate à sa solitude!
Que nous apprend-il en effet de l’Algérie actuelle ? Rien que nous ne sachions déjà, qu’il s’agisse de la mainmise de l’armée, de l’accaparement de la rente, de la corruption ou de la répression des libertés. Le couplet sur la presse indépendante, « résistante pendant la guerre civile (…) ironique, critique et sardonique sous Bouteflika, souvent audacieuse dans son jugement » et aujourd’hui « muselée » prêterait plutôt à rire, venant sous la plume de quelqu’un qui prétend nous dépeindre une Algérie autre que « celle qu’on nous décrit » et sur laquelle « nous fermons les yeux », entre autres formules qu’il utilise pour flatter sa perspicacité. La presse « indépendante » a toujours été tenue en laisse par le pouvoir quant aux questions que celui-ci jugeait existentielles ou par l’un ou l’autre de ses courants à l’heure des règlements de comptes.
La seule trouvaille de Xavier Driencourt réside dans son diagnostic d’une Algérie « en train de s’effondrer sous nos yeux », entraînant « la France dans sa chute, sans doute plus fortement et subtilement que le drame algérien n’avait fait chuter, en 1958, la IVe République », qu’il dramatise en questionnement dans sa conclusion : « La IVe République est morte à Alger, la Ve succombera-t-elle à cause d’Alger ? ».
J’ai observé que certains Algériens ont tenté sur les réseaux sociaux de creuser avec application cette comparaison historique, comme si elle comportait une profondeur à explorer. Pour ma part, je n’y vois que pure rhétorique et je pense qu’il faut abandonner le diplomate à sa solitude.
Si cette tribune ne nous apprend rien sur l’Algérie, elle nous dit quelque chose de la France d’aujourd’hui et tout sur son auteur. Elle n’est que le prétexte pris par le diplomate à la retraite pour révéler, sans oser le désigner explicitement, le camp dans lequel il se range, au sein du paysage idéologique français : l’identitarisme le plus réactionnaire qui ne voit pas de pire danger pour la France qu’« immigration massive, sans rapport avec ce qu’elle est aujourd’hui, islamisme conquérant, ghettoïsation de nos banlieues », puisque c’est en ces termes qu’il évalue le prix que la France payera pour « notre aveuglement » ou « nos compromissions » avec le régime algérien.
45 millions d’Algériens en France
Le texte signé par M. Driencourt ne lui est donc pas tant inspiré par les « années algériennes » d’où il tire ses titres d’expert du régime et de la société dont il fut l'hôte, que par son immersion plus récente dans le marigot de la politique française d’où se diffusent, en direction de l’opinion publique, les fantasmes de la droite la plus radicale. La rédaction du Figaro a pris sur elle de verbaliser crûment cette espèce de coming out de l’« ami des Algériens » en insérant dans sa tribune un seul intertitre : « 45 millions d’Algériens n’ont qu’une obsession, partir et fuir. Partir où, si ce n’est en France où chaque Algérien a de la famille ? ». En cela, elle ne trahissait pas la pensée de l’auteur car c’est bien en ces termes que sa tribune prophétise l’effondrement de la France. Et 45 millions d’Algériens en France, pardi, c’est le grand remplacement assuré !
Les mobiles de sa contribution étant ce qu’ils sont, on comprend que M. Driencourt ne nous dise rien sur l’Algérie actuelle qu'il faille prendre pour argent comptant. Il est trop occupé à surjouer sa partition de droite radicale jusqu’à la caricature, nous servant le cliché le plus éculé d’une idéologie révolue : la candeur et la bonne foi des Français roulés dans la farine par des Algériens, fourbes (autrement dit « rapaces, versatiles et déloyaux[2] » dans la langue du 19e siècle), qui ne voient dans le « discours rationnel » et les « arguments cartésiens » qu’« inconsistance, naïveté, méconnaissance du système et pour tout dire angélisme ».
Dès lors, le programme que croit pouvoir dicter M. Driencourt à son président de la République coule de source. Après un hommage rendu au Macron d’octobre 2021 qui « avait tenu des propos percutants rapportés par le journal Le Monde », au risque de provoquer une crise diplomatique, il déplore qu’il « se soit précipité quelques semaines plus tard à Alger » pour y « tenir aux Algériens les phrases qu’ils attendaient sur immigration et mémoire ».
Il est pour sa part partisan d’« une ligne de fermeté, la seule que l’Algérie comprenne, le rapport de force plutôt que l’angélisme ». Et on est à peine étonné de retrouver dans ce mot d’ordre, abâtardis par une formulation roturière, les accents du Tocqueville le plus détestable soutenant, à propos de la conquête de l’Algérie, qu’« on ne peut étudier les peuples barbares que les armes à la main ».
Entre réminiscences de la conquête coloniale et nostalgie de la IVe République, évoquées à partir de son noviciat dans l’idéologie identitaire, l’ancien diplomate a décidément adopté des humeurs de chef de guerre.
[1] Xavier Driencourt: «L’Algérie s’effondre, entraînera-t-elle la France dans sa chute?», Le Figaro du 8 janvier 2023.
[2] H. Guys : Étude sur les mœurs des Arabes et sur les moyens d’amener ceux d’Algérie à la civilisation (1866). Cité par Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser Exterminer, Sur la guerre et l’Etat colonial, Fayard, 2005.
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