mercredi 6 novembre 2024

LA RÉSISTANCE ARMÉE PALESTINIENNE GRANDE OUBLIÉE DU 70e ANNIVERSAIRE


 

Khaled Satour

Qui aurait cru que l’Algérie officielle fête le 70e anniversaire du déclenchement de la lutte armée contre le colonialisme sans rendre une parole d’hommage aux combattants palestiniens qui s’opposent les armes à la main à l’armée génocidaire d’Israël depuis plus d’un an ? Et comment ne pas voir dans ce silence fait sur la résistance palestinienne un reniement de soi ?

Il a en effet été imposé à ses dirigeants mais aussi à son peuple par une Algérie qui ne doit son existence en tant que nation souveraine depuis 60 ans qu’à la décision folle prise une nuit d’automne par un groupe de militants radicaux d’utiliser l’arsenal rudimentaire qu’ils avaient réuni contre l’une des armées les plus puissantes du monde. Comment ne pas l’interpréter comme la négation de l’identité que l’Algérie s’est constituée en tant que pionnier et soutien inconditionnel des luttes de libération nationale ?

Il s’avère de plus en plus clair désormais que les calculs d’intérêts et les stratégies d’alliance les plus illisibles et les plus pusillanimes ont pris le pas sur les valeurs constitutives de la nation algérienne qui sont pourtant les seules susceptibles de lui conserver le respect et la considération du monde.

En lieu et place des positions fortes qui s’exprimaient du haut des tribunes diplomatiques pour soutenir le combat palestinien, sans craindre de défier les grandes puissances occidentales, il ne subsiste plus comme preuve de vie de l’Algérie sur la scène internationale que le filet de voix inaudible et obséquieux d’un ou deux diplomates blanchis sous le harnais qui font semblant de se convaincre que le travail de coulisses qu’ils mènent au Conseil de sécurité pour arracher d’illusoires concessions aux Américains soit d’une quelconque utilité à la cause palestinienne.

En regardant la conférence de presse commune tenue par Abdelmadjid Tebboune et le président égyptien Al Sissi il y a une dizaine de jours au Caire et dominée clairement par les accents normalisateurs du discours de l’Égypte, j’ai soudain pris conscience que l’Algérie avait vieilli, tant elle était aussi rabougrie que cet homme hésitant, terne et atone qui, parlant en son nom, projetait l’avenir de la Palestine dans des termes dont je peinais à saisir le sens :

« L’Algérie, disait-il, soutient l’initiative égyptienne en faveur d’une trêve à Gaza, en attendant la solution finale qui ne peut consister qu’en la gestion de leurs terres par les Palestiniens sous l’égide d’États frères et amis comme l’Égypte » [1].

Des propos sidérants que je n’arrive à rattacher ni au programme d’une faction palestinienne ni à la généalogie des positions de principes soutenues par l’Algérie en matière de décolonisation. Je ne crois d'ailleurs pas que l’Égypte elle-même ait sérieusement revendiqué pareille tutelle sur la Palestine du futur.

Une semaine plus tard, pendant le défilé militaire du 70e anniversaire, les forces spéciales de l’ANP scandaient « Gaza ! Gaza ! » [2].

C’était spectaculaire mais indélicat. Car cela n’en soulignait que mieux que Gaza était défendue par ses propres forces, sur lesquelles le 1e novembre algérien avait décidé de jeter un voile d’indifférence et d’ignorance.

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=-T1rgs7v4Og

[2] https://www.youtube.com/watch?v=eXui9hx8MjI

jeudi 31 octobre 2024

EN TOUTE BONNE CONSCIENCE, LA DUPLICITÉ DE LA SOCIÉTÉ MAROCAINE


Khaled Satour

Il y a dans l’actuelle visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc matière à réfléchir sur les nouvelles alliances et compromissions colonialistes que la tentative de liquidation de la cause palestinienne et d’élimination physique du peuple palestinien mettent singulièrement en lumière depuis le 7 octobre.

Macron a assuré aux parlementaires marocains que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine » et que c’était là « la position par laquelle la France accompagnera le Maroc auprès des instances internationales ». Il confirmait ainsi que la France s’affranchissait sans scrupules ni remords des résolutions des Nations-Unies qui voient dans la question sahraouie un problème de décolonisation que seule la mise en œuvre du droit à l’autodétermination peut résoudre. Et, pour que son reniement de la légalité internationale soit total, il a ajouté que les entreprises françaises accompagneraient de leurs investissements « le développement de ce territoire ».

Ces engagements ont été annoncés par Macron dans un climat de ferveur auquel il avait cru bon d’associer un impressionnant aréopage de personnalités françaises soutenant inconditionnellement Israël et ses crimes de masse qu’il a tenu à convier à ce voyage et qui ont été reçues avec un déploiement d’égards rarement observé par la famille royale au grand complet et le ban et l’arrière-ban de ses vassaux.

Je voudrais donc dire deux mots de ce malaise que je ressentais jusque-là de manière indéfinissable et que ce spectacle m'a permis d'identifier. Le sentiment de triomphe que suscitent ces engagements français chez les Marocains, toutes classes confondues et avec une unanimité qu’aucune opinion dissidente ne semble démentir, m’amène à supposer que les manifestations pro-palestiniennes que le régime monarchique autorise depuis un an ne sont rien d’autre qu’une monnaie d’échange, le prix qu’il paie avec un cynisme consommé pour garantir simultanément la pérennité de la normalisation avec Israël et celle du processus colonial engagé au Sahara occidental.

Et si c’est le cas, quel sens accorder au soutien populaire marocain à la cause palestinienne ? Est-il seulement possible que cela soit autre chose qu’un faux-semblant grâce auquel la société marocaine avalise, en se donnant la meilleure conscience du monde, le pacte colonial quasi-faustien qu’elle a conclu avec le Makhzen et à travers lui la France et Israël notamment ?

J’ai du mal à croire en effet que cette société soit atteinte d’une sorte d’hémiplégie anticolonialiste qui, tout en épargnant sa capacité de jugement sur la Palestine, l’empêcherait de se rendre compte qu’elle est engagée depuis 50 ans au Sahara occidental sur les pas du sionisme criminel et fanatique qu’elle prend si facilement à partie.

Quelque part, sur la grille de lecture de leur rapport au monde qu’elles doivent bien interroger de temps en temps, les couches politisées de la société marocaine ne peuvent manquer de voir s’inscrire les lettres capitales de leur duplicité. Chaque manifestation pour Gaza qu’elles organisent ne fait que les y enfoncer un peu plus.


 

dimanche 13 octobre 2024

L’OBSESSION DE LA TRAHISON


 

Khaled Satour
 
On finit par se lasser de tous ces textes qui prennent à partie Kamel Daoud pour sa « trahison » ou pour le mépris qu’il manifesterait à l’endroit de « son peuple ».
 
L’écrivain a-t-il pris un quelconque engagement de loyauté qu’il aurait renié ? Et vis-à-vis de qui ? Pour que le peuple algérien soit « son » peuple, il aurait fallu qu’il lui ait un jour fait allégeance, qu’il se soit cru représenté en sa personne ou identifié à ses écrits.
 
La trahison ne pousse que sur un terreau de dignité. Ne trahit pas qui veut. Il faut avoir été élevé à un rang de considération qu’on a longtemps mérité et honoré pour gagner le droit de déchoir, en cas de manquement, et d’être publiquement dépouillé de tout le prestige qu’on avait acquis. Il n’y a pas de trahison sans préjudice grave causé à sa victime mais aussi à son auteur.
 
Ceux qui situent leurs reproches à Daoud sur ce registre doublent l’insulte qu’ils lui prêtent de leur sienne propre en supposant qu’un peuple dont l’écrasante majorité n’a jamais entendu parler de lui puisse se sentir offensé par ses élucubrations.
 
Ce sont des milieux microscopiques de la société algérienne, soudés par une susceptibilité nationaliste maladive, marque de faiblesse brandie en guise de fermeté, qui dressent à leur insu un piédestal à un écrivain médiocre, qui le hissent au rang d’un anti-héros influent capable de nuire par sa parole à toute une nation. Et, pour avoir quelque chance d’y arriver, il était fatal qu’ils versent dans une médiocrité au moins égale. 
 
Mais comment accorder du crédit à leur insatiable indignation ? Comment voir autre chose que de la paranoïa dans leur manie de diagnostiquer la trahison partout ? Certains d’entre eux n’ont-ils pas soupçonné un complot contre l’Algérie dans le cafouillage que fut la publication des résultats de la présidentielle par l’ANIE ?
 
Kamel Daoud fait partie de ces milliers de paumés qui ont de tout temps cédé aux sirènes de la France coloniale ou post-coloniale dans laquelle ils ont vu une opportunité d’assouvir des désirs indicibles et infantiles. Qu’il y ait perdu son âme, à supposer qu’il en ait eu une, c’est son affaire qui ne nuit en rien à l’Algérie ni, encore moins, à son peuple.
 
S’il y a de la duplicité dans cette affaire, c’est chez ceux qui dilapident les réserves faméliques de leur rhétorique contre lui qu’il faut la chercher. Il me suffit de constater que nombre d’entre eux remettent en circulation, pour décrire sa forfaiture, les mêmes qualifications qu’ils avaient appliquées naguère à Ihsane El Kadi. 
 
Rien que pour cette raison, leurs critères de la fidélité et de la trahison ne peuvent en aucun cas être les miens.

samedi 28 septembre 2024

CEUX QUE RÉJOUIT L’ASSASSINAT DE HASSAN NASRALLAH…


 

Khaled Satour

L’assassinat de Hassan Nasrallah, hier 27 septembre, lors d’une attaque israélienne dans la banlieue Sud de Beyrouth qui a provoqué un nouveau massacre de la population civile semble réjouir une partie de l’opinion arabe à en croire certains médias, notamment du Golfe.

Une campagne de suspicion sur les capacités combattantes du Hezbollah avait été déclenchée dès avant la mort de son leader, dans la résurgence du ressentiment cultivé contre le parti chiite depuis qu’il s’était impliqué, aux côtés du régime de Bachar Al Assad, dans la guerre civile syrienne de la précédente décennie.

Cette campagne et la désaffection alimentée par certains régimes et milieux éditoriaux arabes à l’endroit d’un mouvement de résistance qui démontre depuis des décennies la constance de son opposition à Israël sont symptomatiques de la régression de l’idéal de résistance aux menées criminelles et expansionnistes d’Israël, au profit de l’alignement dans le conflit chiite-sunnite entretenu depuis le prétendu « printemps arabe ».

On exhume la rengaine sur les « massacres du Hezbollah »[1] en Syrie en oubliant de préciser que ce parti n’est entré dans le conflit qu’en 2013 alors que les mercenaires djihadistes armés et financés par les Etats du Golfe sous le patronage américain avaient commencé leur travail de dévastation depuis la fin de l’année 2011. La prétendue « révolution syrienne » n’a jamais été en effet qu’une immense entreprise de subversion téléguidée de l’étranger comme devait le reconnaître l’ancien premier ministre qatari Hamad Ben Jassim lors de son grand déballage de 2017, au plus fort du différend entre Doha et Ryad. Confirmant que les deux pays avaient soutenu militairement la branche syrienne d’El Qaeda, il avait précisé que « le soutien militaire aux insurgés syriens transitait par la Turquie et se faisait en coordination avec les forces américaines, turques, qatariennes et saoudiennes ».  Selon son propre aveu, le seul trésor qatari a déboursé pour financer l'opération la somme de 137 milliards de dollars[2].

Le Hezbollah avait d’autant plus motif à s’impliquer que les hordes djihadistes à la solde des monarchies et de l’Occident recevaient ouvertement l’appui logistique et aérien d’Israël[3].

Ceux qui exploitent pernicieusement les actuelles déconvenues du Hezbollah tentent de redonner vie à l’alliance sunnite contre l’Iran dont le seul objectif était de préparer la normalisation avec Israël.

On peut à bon droit faire au Hezbollah le reproche d’avoir secouru un régime syrien coupable de crimes de masse contre ses ressortissants, mais dans le déchaînement d’atrocités perpétrées par toutes les parties au conflit (les allégations d’exactions attribués au parti chiite étant celles qui ont été le moins attestées), il faut au moins lui reconnaître une fidélité jamais démentie à son engagement contre Israël.

Quoi qu’il en soit, alors qu'il ne s’est impliqué dans la présente confrontation qui lui coûte si cher que par solidarité avec Gaza, abandonnée à son sort par tous et d’abord par ceux qui le dénigrent, on commence à déceler dans les propos de certains commentateurs qui disent soutenir la cause palestinienne des réserves sur la stratégie du Hezbollah qui ne peuvent que ravir les criminels israéliens. 

Or, il est clair que dissocier le combat de la résistance palestinienne de celui de la résistance libanaise, dans des circonstances telles que celles d’aujourd’hui, équivaut à renier les deux.


[1] Voir notamment l’article intitulé  Pourquoi les peuples arabes détestent les milices du Hezbollah  (ويسألونك لماذا تكره الشعوب مليشيات حزب الله) publié le 25 septembre par alarabya.net : https://www.alarabiya.net/politics/2024/09/25/%D8%A7%D9%84%D8%B4%D8%B9%D9%88%D8%A8-%D9%85%D9%84%D9%8A%D8%B4%D9%8A%D8%A7%D8%AA-%D8%AD%D8%B2%D8%A8-%D8%A7%D9%84%D9%84%D9%87

[2] Syrie, le Qatar crache le morceau, L’Humanité du 30 octobre 2017 : https://www.humanite.fr/monde/-/syrie-le-qatar-crache-le-morceau

[3] Syrie. Sur le Golan, Israël aide et finance les rebelles, L’Humanité du 28 juin 2017 : https://www.humanite.fr/monde/syrie/syrie-sur-le-golan-israel-aide-et-finance-les-rebelles