Khaled Satour
S’il est une qualité qu’on ne peut dénier à Karim Tabbou, c’est le courage. Dans le climat de répression sans garde-fou ni limites qu’entretient le pouvoir algérien, il en fallait une dose pour faire, à partir d’Alger, les déclarations qu’il a faites il y a quelques jours sur la chaîne El Magharibya.
Il n’a pas tardé à être arrêté à son domicile hier, c’est-à-dire en réalité à être rapté par des hommes en civil au mépris des procédures légales, avant d’être placé en garde à vue. Il reste à voir si cela augure pour lui un nouveau calvaire judiciaire et carcéral.
Dans le paysage politique algérien, Karim Tabbou fait figure d’exception : c’est le seul opposant non issu des écuries du régime qui porte une critique construite et cohérente du pouvoir, articulée sur une analyse circonstanciée du processus d’accaparement du pouvoir en cours depuis des décennies et sur le rappel des différentes stations de violations des institutions et d’atteintes graves aux droits et libertés, le droit à la vie compris, par lesquelles il a fait passer le pays.
Il n'est guère possible de lui en demander plus, si l’on considère l’état de déliquescence dans lequel la peur a plongé la société algérienne, privée de toute possibilité de produire une vision de l’avenir et de s’y projeter avec des objectifs qui contrecarrent l’improvisation et la gestion autoritaire du pays dont le seul dessein est de le domestiquer au jour le jour.
On peut regretter qu’il ait utilisé le canal d’El Magharibya, une chaîne ouverte au bric-à-brac des voix qui dénoncent le régime dans le chaos des mauvaises fois et l’indistinction des mobiles et des intentions les plus suspectes.
On peut plus particulièrement déplorer qu’il l’ait fait cette fois-ci dans un débat au cours duquel renchérissait sur ses analyses un ancien officier de la Sécurité militaire reconverti dans l’apologie de la monarchie marocaine et la diffamation de la cause sahraouie[1].
A quoi il faut ajouter qu’il n’a pas toujours su par le passé marquer assez strictement le territoire politique de son action pour empêcher que s’y insinuent à ses côtés les pires aventuriers de Youtube.
Mais ceux qui lui ont donné à ce propos des leçons d’éthique y ont manqué plus souvent que lui. Et puis quel autre choix est-il laissé aux opposants qui ont encore le courage et la capacité de se faire entendre ? La presse écrite et audiovisuelle algérienne leur est fermée ; le pouvoir les condamne au silence sous peine d’être livré à l’arbitraire d’une justice féroce à ses ordres ; le silence lui-même n’est d’ailleurs pas un gage protecteur de la liberté : la dissuasion par les interdictions de quitter le territoire national est là pour attester que les locaux de la pénitentiaire algérienne ne sont qu’une prison dans la vaste prison qu’est devenu le pays.
Ceux qui ont commencé déjà à justifier sur les réseaux sociaux l’arrestation de Tabbou par l’argument qu’il serait un « opposant islamiste » se donnent bonne conscience en faisant passer leur abdication pour un positionnement politique actif.
Il y a au moins chez Karim Tabbou la perpétuation d’une certaine tradition politique de la contestation.