mardi 26 novembre 2024

L’ARRESTATION DE SANSAL : ATTENDRE ET VOIR


 

Khaled Satour

Il n’y a pas lieu de s’indigner de l’arrestation de Boualem Sansal. Sa famille de pensée, qui se recrute quasi exclusivement en France dans les cercles les plus sinistres de l’extrême-droite pro-sioniste, se charge de le faire dans un bel ensemble auquel nous n’avons aucune raison de nous associer ni de près de loin.

Il n’y a pas davantage lieu de s’en réjouir, pas tant que les autorités algériennes n’en auront pas dit davantage sur les motifs de son incarcération.

C’est à vrai dire par pure précaution formelle qu’il faut pour l’instant s’abstenir car nous sommes malheureusement payés pour savoir que les autorités policières et judiciaires algériennes n’ont que rarement expliqué de manière convaincante les décisions qu’elles prennent de priver leurs citoyens de la liberté.

Cependant, compte tenu des positions affichées depuis de longues années par Sansal à propos de la cause palestinienne, dont il a nié la justesse et même l’authenticité, et de sa persistance à appuyer les thèses sionistes malgré quatorze mois de génocide à Gaza, on peut laisser pour une fois à la justice algérienne le temps de s’exprimer et de nous fournir d’éventuelles preuves matérielles d’une intelligence avec l’ennemi israélien qui justifierait des poursuites (puisque Sansal est accusé par certains d’être un « sayan » infiltré de longue date par le Mossad).

C’est donc dans le doute qu’il convient de renvoyer provisoirement Sansal et ses geôliers dos à dos, et de se mettre en position d’attente sur les bases exclusives que je viens d’énoncer. Car, s’il s’avérait que ce sont les déclarations qu’il a faites sur le tracé de la frontière occidentale de l’Algérie qui étaient la cause de son arrestation, je peux affirmer d’ores et déjà que je n’adhérerais pas, en ce qui me concerne, à l’incrimination qui sera retenue contre lui, quel que puisse en être le fondement

La raison en est simple : autant qu’il soit possible d’accorder du crédit aux comptes-rendus de la presse, Sansal a déclaré au media d’extrême-droite « Frontières » : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara (…). Quand la France colonise l’Algérie, elle s’installe comme protectorat au Maroc et décide comme ça, arbitrairement, de rattacher tout l’est du Maroc à l’Algérie, en traçant une frontière[1] ».

Or, ces insanités sont si évidemment inexactes historiquement que ce serait faire trop d’honneur à celui qui les a proférées que de l’accuser d’être un « négationniste », remettant « en cause l'existence, l'indépendance, l'Histoire, la souveraineté et les frontières de l'Algérie » (pour reprendre les termes du communiqué de l’APS du 22 novembre). Les propos incriminés accablent suffisamment leur auteur en révélant son inculture crasse pour dispenser l’État algérien de mobiliser contre lui ses juridictions.

Surtout quand les poursuites sont inaugurées par une embuscade indigne d’un État fort de son bon droit, dans un climat d’appel au lynchage d’un homme seul dont on veut faire à tout prix l’ennemi le plus redoutable de la nation.

mercredi 6 novembre 2024

LA RÉSISTANCE ARMÉE PALESTINIENNE GRANDE OUBLIÉE DU 70e ANNIVERSAIRE


 

Khaled Satour

Qui aurait cru que l’Algérie officielle fête le 70e anniversaire du déclenchement de la lutte armée contre le colonialisme sans rendre une parole d’hommage aux combattants palestiniens qui s’opposent les armes à la main à l’armée génocidaire d’Israël depuis plus d’un an ? Et comment ne pas voir dans ce silence fait sur la résistance palestinienne un reniement de soi ?

Il a en effet été imposé à ses dirigeants mais aussi à son peuple par une Algérie qui ne doit son existence en tant que nation souveraine depuis 60 ans qu’à la décision folle prise une nuit d’automne par un groupe de militants radicaux d’utiliser l’arsenal rudimentaire qu’ils avaient réuni contre l’une des armées les plus puissantes du monde. Comment ne pas l’interpréter comme la négation de l’identité que l’Algérie s’est constituée en tant que pionnier et soutien inconditionnel des luttes de libération nationale ?

Il s’avère de plus en plus clair désormais que les calculs d’intérêts et les stratégies d’alliance les plus illisibles et les plus pusillanimes ont pris le pas sur les valeurs constitutives de la nation algérienne qui sont pourtant les seules susceptibles de lui conserver le respect et la considération du monde.

En lieu et place des positions fortes qui s’exprimaient du haut des tribunes diplomatiques pour soutenir le combat palestinien, sans craindre de défier les grandes puissances occidentales, il ne subsiste plus comme preuve de vie de l’Algérie sur la scène internationale que le filet de voix inaudible et obséquieux d’un ou deux diplomates blanchis sous le harnais qui font semblant de se convaincre que le travail de coulisses qu’ils mènent au Conseil de sécurité pour arracher d’illusoires concessions aux Américains soit d’une quelconque utilité à la cause palestinienne.

En regardant la conférence de presse commune tenue par Abdelmadjid Tebboune et le président égyptien Al Sissi il y a une dizaine de jours au Caire et dominée clairement par les accents normalisateurs du discours de l’Égypte, j’ai soudain pris conscience que l’Algérie avait vieilli, tant elle était aussi rabougrie que cet homme hésitant, terne et atone qui, parlant en son nom, projetait l’avenir de la Palestine dans des termes dont je peinais à saisir le sens :

« L’Algérie, disait-il, soutient l’initiative égyptienne en faveur d’une trêve à Gaza, en attendant la solution finale qui ne peut consister qu’en la gestion de leurs terres par les Palestiniens sous l’égide d’États frères et amis comme l’Égypte » [1].

Des propos sidérants que je n’arrive à rattacher ni au programme d’une faction palestinienne ni à la généalogie des positions de principes soutenues par l’Algérie en matière de décolonisation. Je ne crois d'ailleurs pas que l’Égypte elle-même ait sérieusement revendiqué pareille tutelle sur la Palestine du futur.

Une semaine plus tard, pendant le défilé militaire du 70e anniversaire, les forces spéciales de l’ANP scandaient « Gaza ! Gaza ! » [2].

C’était spectaculaire mais indélicat. Car cela n’en soulignait que mieux que Gaza était défendue par ses propres forces, sur lesquelles le 1e novembre algérien avait décidé de jeter un voile d’indifférence et d’ignorance.

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=-T1rgs7v4Og

[2] https://www.youtube.com/watch?v=eXui9hx8MjI

jeudi 31 octobre 2024

EN TOUTE BONNE CONSCIENCE, LA DUPLICITÉ DE LA SOCIÉTÉ MAROCAINE


Khaled Satour

Il y a dans l’actuelle visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc matière à réfléchir sur les nouvelles alliances et compromissions colonialistes que la tentative de liquidation de la cause palestinienne et d’élimination physique du peuple palestinien mettent singulièrement en lumière depuis le 7 octobre.

Macron a assuré aux parlementaires marocains que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine » et que c’était là « la position par laquelle la France accompagnera le Maroc auprès des instances internationales ». Il confirmait ainsi que la France s’affranchissait sans scrupules ni remords des résolutions des Nations-Unies qui voient dans la question sahraouie un problème de décolonisation que seule la mise en œuvre du droit à l’autodétermination peut résoudre. Et, pour que son reniement de la légalité internationale soit total, il a ajouté que les entreprises françaises accompagneraient de leurs investissements « le développement de ce territoire ».

Ces engagements ont été annoncés par Macron dans un climat de ferveur auquel il avait cru bon d’associer un impressionnant aréopage de personnalités françaises soutenant inconditionnellement Israël et ses crimes de masse qu’il a tenu à convier à ce voyage et qui ont été reçues avec un déploiement d’égards rarement observé par la famille royale au grand complet et le ban et l’arrière-ban de ses vassaux.

Je voudrais donc dire deux mots de ce malaise que je ressentais jusque-là de manière indéfinissable et que ce spectacle m'a permis d'identifier. Le sentiment de triomphe que suscitent ces engagements français chez les Marocains, toutes classes confondues et avec une unanimité qu’aucune opinion dissidente ne semble démentir, m’amène à supposer que les manifestations pro-palestiniennes que le régime monarchique autorise depuis un an ne sont rien d’autre qu’une monnaie d’échange, le prix qu’il paie avec un cynisme consommé pour garantir simultanément la pérennité de la normalisation avec Israël et celle du processus colonial engagé au Sahara occidental.

Et si c’est le cas, quel sens accorder au soutien populaire marocain à la cause palestinienne ? Est-il seulement possible que cela soit autre chose qu’un faux-semblant grâce auquel la société marocaine avalise, en se donnant la meilleure conscience du monde, le pacte colonial quasi-faustien qu’elle a conclu avec le Makhzen et à travers lui la France et Israël notamment ?

J’ai du mal à croire en effet que cette société soit atteinte d’une sorte d’hémiplégie anticolonialiste qui, tout en épargnant sa capacité de jugement sur la Palestine, l’empêcherait de se rendre compte qu’elle est engagée depuis 50 ans au Sahara occidental sur les pas du sionisme criminel et fanatique qu’elle prend si facilement à partie.

Quelque part, sur la grille de lecture de leur rapport au monde qu’elles doivent bien interroger de temps en temps, les couches politisées de la société marocaine ne peuvent manquer de voir s’inscrire les lettres capitales de leur duplicité. Chaque manifestation pour Gaza qu’elles organisent ne fait que les y enfoncer un peu plus.