samedi 9 décembre 2023

MASSACRES DE GAZA : LE MIRAGE DU DROIT INTERNATIONAL

Le ministre israélien du Patrimoine qui a appelé au génocide à Gaza

Khaled Satour

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterrez vient d’échouer dans la tentative désespérée qu’il a faite pour obtenir un « cessez-le-feu humanitaire immédiat » sur la base de l’article 99 de la charte des Nations-Unies. Cet article, qu’il a actionné en dernier recours et à titre exceptionnel, est le seul de la charte qui lui permet d’enclencher sur sa seule initiative une procédure de saisine du Conseil de sécurité de « toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». C’est une procédure qui équivaut selon l’expression de certains journalistes à « sonner le tocsin ». En la mettant en œuvre, Gutterez a jeté tout son poids dans la balance, engagé tout son crédit. Elle a été contrecarrée hier sans autre forme de procès par le veto américain[1].

Cet événement nous alerte sur le déséquilibre des moyens de persuasion et de réaction auquel nous assistons depuis que la guerre d’Israël dévaste la Palestine. Il a suffi qu’Israël allègue sans la moindre preuve recevable dans la forme et dans le fond que la résistance palestinienne avait commis une action terroriste à divers égards criminelle contre ses civils pendant une seule journée pour que le monde lui accorde un permis de massacrer pendant plus de deux mois des dizaines de milliers de personnes et dévaster les lieux de vie et les infrastructures de base d’un territoire habité par deux millions et demi de personnes.

L’impasse organisée par la convention sur le génocide

Il nous interpelle simultanément sur la pertinence du débat en cours sur le génocide et plus généralement sur l’invocation du droit international comme argument pour obtenir sur le terrain concret une condamnation d’Israël et l’arrêt du carnage auquel il se livre.

Il n’est certes pas question de désarmer la vaste protestation populaire suscitée par l’agression israélienne en lui contestant la légitimité de la dénonciation qu’elle fait du génocide menaçant Gaza et qui représente un argument de mobilisation efficace en faveur de la cause palestinienne.  Mais au plan de l’analyse, il est plus rentable d’opposer au déni d’Israël et de ses alliés une qualification matérielle de l’attaque multiforme subie par Gaza qui n’offre aucune prise aux polémiques juridiques sans issue et à leur formalisme, par exemple celle de massacre de masse combiné à une entreprise d’extermination. Une telle qualification, faisant résonner en écho des précédents puisés dans la longue histoire de l’abjection colonialiste, est mieux faite pour contrer l’alibi israélien de la légitime défense.

En comparaison, la cristallisation du débat sur le génocide tend à donner l'impression qu’Israël ne sera comptable des actions meurtrières qu’il mène depuis deux mois contre une population civile désarmée que si la preuve est apportée qu’elles constituent une entreprise génocidaire. Autrement dit, on voit prospérer l’idée que le seuil minimal à partir duquel ces actions mériteront d’être condamnées est celui du génocide. Et en conséquence que, tant qu’il ne sera pas démontré que ce seuil est atteint, la moitié du monde, États et opinions confondus, qui a toujours soutenu l’occupation et les exactions qui l’accompagnent, pourra continuer, en bonne conscience, à lui apporter son appui « moral » et militaire.

Le problème vient de ce que le génocide n’a pas d’autre existence qu'en tant que notion strictement juridique que le droit international, dans l’état d’élaboration où il se trouve actuellement, rend d’une application impossible. Il est privé de tout usage en dehors de ce cadre, par exemple sur le plan de la morale. Et, à cet égard, on serait presque tenté de considérer que la convention internationale sur la prévention et la répression du génocide, dans les termes qui sont les siens, fait plus de mal que de bien. 

Elle aboutit à transformer en impasse la dénonciation de ce crime du fait de la définition qu’elle en donne dans son article II et des modalités d’en assurer la prévention qu’elle énonce notamment dans son article VIII. D’une part en effet, les actions visées par l’article II ne sont constitutives d’un génocide que si l’élément intentionnel qui les sous-tend est prouvé et, d’autre part, la prévention et la répression du crime ne peut s’effectuer qu’à travers le recours au Conseil de sécurité. Or, si majoritaire que soit l’avis des experts qui s’accordent actuellement à qualifier de génocidaires les massacres de Gaza, il n’aura force de loi qu’une fois qu’un juge compétent l’aura validé, alors que, en attendant, les rapports de force existant au sein du Conseil de sécurité paralyseront à coup sûr toute démarche faite auprès des Nations-Unies en vue d’une action d’urgence. L'armée israélienne en profite pour effectuer sous une impunité plus assurée que jamais une escalade dans les exactions commises contre les civils à Gaza.

Des civils palestiniens humiliés par l'armée israélienne le 8 décembre 2023 à Gaza

Le terrain commode de la lutte antiterroriste

L’invocation du génocide à Gaza est de ce fait, dans le court terme utile qui permettrait de mettre fin à la tragédie de Gaza, tout à fait improductive, alors même que, simultanément, la défense d’Israël et la justification de ses crimes sont menées sur le terrain efficace et commode de la légitime défense contre le terrorisme, c’est-à-dire sur un terrain qui n’est pas aplani par la rigueur du droit et se prête à toutes les allégations de la propagande.

Le terrorisme parle directement et dans une langue claire aux opinions occidentales sans qu’il faille s’embarrasser de subtilités juridiques dont il ne relève en aucune manière. C’est un concept qui n’a jamais été directement défini par le droit international. Celui-ci ne l’a cerné qu’indirectement à travers la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, adoptée en 1999, qui y range  tout acte « destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Cette formulation dénote déjà tout le parti pris de la définition qui se prononce subrepticement sur le point litigieux qui a toujours empêché l’élaboration directe de la notion et qui était celle de savoir si un terrorisme d’État était concevable. On voit bien qu’il est ici sous-entendu qu’ « un gouvernement » ne peut être que victime d’actes terroristes et ne saurait en être le commanditaire ou l’auteur à travers ses appareils de la violence.

Ce sont les États occidentaux qui se sont toujours efforcés de faire barrage à la notion de terrorisme d’État, « excluant du champ de la définition les actions menées par les forces armées étatiques, non seulement en situation de conflit armé mais également en temps de paix », alors que de leur côté les États du Tiers-Monde ont tout fait pour « exempter de toute qualification "terroriste" les modes de lutte des mouvements de libération nationale[2] ».

En définitive, cette opposition, qui date de la guerre froide, a empêché qu’un consensus se dégage sur une définition juridique du terme. Mais la polarisation qui s’est affirmée depuis deux décennies (et notamment le 11 septembre) sur le terrorisme islamiste aboutit aujourd’hui à considérer que les États ne sont jamais que victimes du terrorisme avec pour conséquence que les actions de terreur menées par leurs forces armées en différents points de la planète (en Afghanistan, en Irak, de manière ininterrompue en Palestine mais aussi ailleurs), entraînant la mort de centaines de milliers de civils et la destruction massive de villes et de villages ont toujours pu se justifier par la légitime défense.

MARS 2003 : PREMIERS BOMBARDEMENTS?CRIMINELS US SUR BAGDAD
L'incendie de Bagdad par l'armée américaine en mars 2003

Le marché monopolistique du droit international

Le terrorisme présente pour les États qui en invoquent le prétexte cet avantage majeur qu’il n’a pas à être prouvé par un tiers impartial au moyen de procédures de vérité codifiées, il suffit qu’il soit allégué par les États au moyen d’une propagande de guerre répercutée par une presse aux ordres.

Cette prégnance de l’idéologie impérialiste par laquelle se légitime une action « antiterroriste » dont l’étendue et la durée sont laissées à l’appréciation de l’État « victime » est la marque de la défaite du droit. Ceux qui ont préconisé de substituer à l’approche de la tragédie actuelle fondée sur les catégories du terrorisme et de la lutte antiterroriste une approche articulée autour des catégories du droit (en recourant aux notions de crimes internationaux : génocide, crimes de guerre et contre l’humanité) ont une position théoriquement pertinente.

Mais c’est une position qui conduit à une impasse pratique dans la mesure où le droit international est le droit des États agissant dans le champ hiérarchisé de la communauté internationale.

Le veto américain au CS de l'ONU le 8 décembre contre la résolution pour un "cessez-le-feu humanitaire"

La froide réalité des rapports de force internationaux réduit l’appel aux notions du droit humanitaire à un bavardage impuissant. La prévention et la répression des crimes internationaux, et notamment du génocide, n’ont aucune valeur d’usage qui puisse leur permettre d’avoir cours dans la réalité. Elles sont captives de l’espace juridique où elles se désincarnent en valeurs marchandes dans la mesure où le droit évolue précisément dans un marché monopolistique et inégalitaire qui méprise le vécu, c’est-à-dire l’acuité des souffrances et des injustices auxquelles il est censé remédier.

Pour qu’il reprenne pied dans la réalité, il faudrait qu’interviennent sur ce marché des acteurs qui rééquilibrent le rapport de forces. Mais les candidats naturels à cette mission ont décidé de se tourner vers des marchés plus lucratifs. Au sein même de la nation palestinienne, des forces ont fait défection. Gageons que le sacrifice de ceux qui s’obstinent à résister les rappelle à leur devoir.


[1] Voir par exemple l’Humanité du 9 décembre 2023 : A l’ONU, les États-Unis bloquent la paix à Gaza. https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/a-lonu-les-etats-unis-bloquent-la-paix-a-gaza

[2] François Dubuisson, La définition du « terrorisme » : débats, enjeux et fonctions dans le discours juridique, in Confluences Méditerranée, 2017/3. https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2017-3-page-29-htm

 

1 commentaire:

  1. Une performance que ce pays d'Apartheid, a réussi c'est incontestablement la perte pérenne de l'empathie qu'il avait auprès du monde !!!

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