vendredi 26 juillet 2024

L’ESSENTIEL ÉTAIT DE NE PAS PARTICIPER


 

Khaled Satour

A partir de ce vendredi et pendant une bonne quinzaine, le spectacle du génocide de Gaza va être mis en concurrence mondiale avec celui des jeux olympiques. L’authentique barbarie du monde et les oripeaux de civilisation dont elle se déguise vont rivaliser pour accaparer l’attention de centaines de millions de personnes à travers le monde.

Celles-ci auront le choix entre :

- Le spectacle de la guerre festive que les nations vont se livrer à fleuret moucheté dans des combats réglés et arbitrés par une logistique tentaculaire destinée à les contenir dans une violence qui n’aille pas plus loin que d’inoffensifs excès et dérapages verbaux ;

- le spectacle du massacre qui se poursuit à Gaza, sans arbitre et sans modérateur d’aucune sorte, l’humanité ayant démissionné en bloc pour permettre à Israël d’assassiner, torturer, détruire et profaner à sa guise.

Le show sera complet puisqu'il sera à la hauteur de sa vocation : faire rire et faire pleurer. Le monde entier pourra zapper selon l’humeur du moment entre les deux chapiteaux dont l’alternance lui procurera un éventail d’émotions d’une variété et d’une intensité jamais atteintes.

A l’exception notable de la population palestinienne de Gaza, massacrée, affamée, assoiffée, baladée d’un bout à l’autre de l’arène du génocide, qui sera dispensée de ce choix.

Le Comité olympique palestinien, faisant mine de croire en l’obligation de respecter la trêve olympique, a tardivement demandé au CIO d’exclure Israël des jeux.

Il aurait dû prévoir une parade au refus plus que probable opposé à sa requête. Menacer par exemple de retirer ses propres athlètes des compétitions à condition bien sûr d’être décidé à mettre la menace à exécution. Il ne l’a pas fait.

Quelques États au moins auraient pu brandir la même menace. Au hasard : l’Algérie, qui nous devait bien un tel dépassement de compétence pour se racheter de ces mois passés à jouer au Conseil de sécurité le rôle insipide d’émule sérieux et discipliné de la communauté internationale. Mais elle ne l’a pas fait non plus.

Les olympiades qui commencent ce soir à Paris sont pourtant les premières de l’histoire auxquelles il était essentiel de ne pas participer.

jeudi 18 juillet 2024

L’INDIGNATION ET L’ACCOUTUMANCE

 

Khaled Satour

Un génocide, ce sont des massacres quotidiens qui finissent par être innombrables et par paraître indistincts, alors qu’ils innovent sans cesse en horreur et qu’ils reculent à chaque fois un peu plus les limites de la cruauté.

Au cours de la semaine écoulée, l’armée israélienne s’est retirée de la ville de Gaza après y avoir martyrisé la population pendant plusieurs jours. La Défense civile palestinienne a exhumé le jeudi 11 juillet 60 cadavres dans les décombres du quartier de Choujaiya puis le vendredi 12 juillet 60 autres cadavres dans les quartiers de Tal al-Hawa et d'al-Sinaa. Ce fut ensuite, le 13 juillet, le massacre de 100 à 150 personnes à Al Mawassi, cette région située à l’ouest de la ville de Khan Younès que l’armée israélienne avait donnée pour sûre poussant des dizaines de milliers de civils à s’y rendre pour se mettre à l’abri. Et le 14 juillet, 15 à 20 personnes ont été déchiquetées à Nusseirat par les bombes larguées sur une école de l’UNRWA. Plusieurs dizaines d’autres vies ont été emportées depuis cette date.

Il en va ainsi à Gaza depuis bientôt dix mois. Jamais les souffrances et les traumatismes d’une humanité en enfer n’ont été pareillement vécus, répétés jour après jour, au vu et au su du monde. Quoi de surprenant dans le fait qu’il ait fini par vaquer à ses occupations comme si de rien n’était ?

La volonté génocidaire d’Israël est hélas plus obstinée et plus constante que les manifestations de solidarité avec ses victimes. La haine est inépuisable alors que l’indignation se lasse à l’épreuve de l’accoutumance.

Mais nous-mêmes qui savons d’expérience(s) que l’indignation est vaine, que seule la riposte compte, et qui constatons dans le même temps avec effarement que celle-ci ne vient de nulle part, nous avons aussi droit à notre enfer, celui de l’impuissance, hanté par les images des orphelin(e)s de Gaza, dont la détresse et le désespoir nous font si mal.

Aucune propagande ne nous convaincra de nuancer notre soutien intransigeant à la résistance palestinienne, sous toutes les formes qu’elle a prises depuis le 7 octobre. Mais aucune culture du martyre ne nous consolera des tourments infligés aux enfants de Gaza.

dimanche 30 juin 2024

SI J’AVAIS DÛ VOTER …


 

Khaled Satour

Si j’avais dû voter aux élections législatives françaises dont le premier tour a lieu aujourd’hui, aurais-je accordé ma voix au candidat du Nouveau Front Populaire dans ma circonscription ? Peut-être. Mais l’aurais-je fait par adhésion ou par défaut, juste pour faire barrage au Rassemblement National, en bon citoyen lambda piégé par les calculs de Macron ? Ce qui est sûr, c’est que le programme de ce front a peut-être un caractère social plus marqué que ceux des concurrents, mais qu’il n’est pas à la hauteur du défi antiraciste et anticolonialiste que la France doit affronter.

L’antiracisme et l’anticolonialisme ne font pas recette en France, sinon auprès d’une minorité éclairée qui n’a pas les moyens médiatiques de se faire entendre. Ce sont d’ailleurs des positions qui ont été déclarées ennemis publics de la Nation et c’est contre eux que l’alerte générale a été lancée par les médias les plus influents à l’heure même où c’est pourtant l’extrême-droite, constituée en épouvantail depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qui est aux portes du pouvoir.

La synthèse de la haine raciste et islamophobe et de la haine post-coloniale réactivée par l’actualité de la question palestinienne (mais aussi de la question kanake) a produit sur commande une reconfiguration éclair du champ des « valeurs » républicaines qui ne résonne plus que des échos de la chasse hystérique à l’antisémitisme derrière tout discours dénonçant le génocide commis par Israël à Gaza.

Le soutien inconditionnel à Israël a de ce fait été promu enjeu central de politique intérieure, légitimé par un consensus national qui le rend compatible avec les projets racistes et islamophobes du RN et des partisans de Macron.

Ce consensus prend les proportions d’un conditionnement agressif à sens unique infligé aux électeurs au point que le scrutin se déroule dans des conditions qui sont à la limite de la régularité, sans que personne ne paraisse s’en inquiéter.

C’est d’ailleurs un consensus qui s’étend à un grand nombre des composantes, organiques et individuelles, du Nouveau Front Populaire lui-même. Les sympathies pour la cause palestinienne et la dénonciation des législations islamophobes qui se sont accumulées pendant les deux mandats de Macron ne constituent la préoccupation que d’un noyau dur de candidats investis par la France Insoumise que la scission amorcée au sein de ce mouvement par François Ruffin mais aussi par des candidatures dissidentes et des attaques fratricides contre Mélenchon vise à mettre en minorité. Chez les autres partenaires du Front, de telles positions ne suscitent qu’indifférence lorsqu’elles ne font pas l’objet de critiques acerbes.

C’est dire que le Nouveau Front Populaire est un assemblage aussi disparate et composite que son ancêtre éponyme du siècle dernier et qu’il est l’héritier, jusques et y compris au sein de LFI, de toutes les ambigüités qui étaient les siennes à propos de la question coloniale, redevenue d’une brûlante actualité alors même que le pays avait suffisamment à faire avec ses casseroles post-coloniales.

Si j’avais dû voter, je l’aurais donc fait sans trop d’illusions.