mercredi 27 mars 2024

GAZA : UNE RÉSOLUTION MINÉE PAR LES MANIPULATIONS AMÉRICAINES


 

Khaled Satour

Les États-Unis ont permis l’adoption d’une résolution exigeant un cessez-le-feu à Gaza, mais en prenant toutes les précautions pour qu’elle ne s’applique pas.

Déjà viciée dans sa formulation par plusieurs heures de tractations en coulisses destinées à prévenir un veto américain, la résolution 2728 (2024) votée le lundi 25 mars fait l’objet depuis son adoption de manœuvres d’interprétation destinées à lui dénier tout caractère contraignant.

Un cessez-le-feu aux modalités ambiguës

Le texte « exige un cessez-le-feu humanitaire immédiat pendant le mois du ramadan qui soit respecté par toutes les parties et mène à un cessez-le-feu durable ». Le libellé semble de prime abord vigoureux et dénué d’ambiguïté, puisqu’il comporte pour la première fois dans une résolution du Conseil l’« exigence » d’un cessez-le-feu immédiat. Mais cette vigueur est aussitôt tempérée par l’imprécision des modalités pratiques énoncées.

D’abord, on ne comprend pas pourquoi la mesure immédiate « exigée » est enfermée dans les deux dernières semaines du ramadan au risque que chaque jour qui passe la rapproche de la caducité. Et comme Israël a poursuivi depuis lundi ses exactions meurtrières et ne donne pas du tout l’impression de vouloir y mettre un terme, une telle restriction dans le calendrier risque de condamner la résolution à demeurer lettre morte.

A cela, il faut ajouter que le cessez-le-feu exigé dans l’immédiat est qualifié d’ « humanitaire » et qu’il ne préjuge en rien du cessez-le-feu « durable » appelé à lui succéder, les Américains ayant refusé que ce dernier soit qualifié de « permanent » comme le proposait la Russie[1].

Il en résulte que la résolution ne peut être pleinement comprise à partir des termes qui sont les siens et que les États-Unis l’ont lestée du sens qu’ils voudront bien lui donner si la question de son exécution venait à être soumise au Conseil. Car, aussitôt qu’elle fut adoptée, leur ambassadrice, Linda Thomas-Greenfield, a longuement exposé l’interprétation qu’elle se faisait notamment de la distinction entre le « cessez-le-feu humanitaire » et le « cessez-le-feu durable ». Cette distinction, elle l’a fait clairement savoir, a pour fonction de privilégier la conclusion d’un accord sur une trêve qu’ils essaient depuis des semaines d’arracher au Hamas grâce aux pressions égyptiennes et jordaniennes.

Faire primer la diplomatie américaine sur les résolutions du Conseil de sécurité

Dans cette perspective, la solution ne peut venir, selon elle, que de « la diplomatie » avec pour préalable la libération des otages. Il s’agit là d’une position constante des États-Unis qui ont toujours affiché leur méfiance à l’égard des décisions des Nations-Unies, estimant qu’elles gênaient le libre jeu de leurs stratégies d’influence et empêchaient la réalisation de leurs propres initiatives.

S’adressant aux États membres, l’ambassadrice leur a lancé sur un ton impératif : « parlez et exigez sans équivoque que le Hamas accepte l'accord qui est sur la table ». Dans son esprit, la résolution et notamment l’exigence d’un cessez-le-feu immédiat ne vaut rien en elle-même, c’est la démarche diplomatique US qui prime avec les concessions préliminaires qu’elle veut imposer au Hamas. C’est ce qui explique qu’elle ait ajouté qu’« un cessez-le-feu peut commencer immédiatement avec la libération du premier otage[2] ». 

Report: US lobbied Canada to keep funding UNRWA | Israel National News -  Arutz Sheva

On comprend dès lors que les triturations sémantiques subies par le projet de résolution à l’instigation des États-Unis afin d’en brouiller le sens aboutissent en réalité à un texte ambivalent dont on veut imposer la lecture à la lumière de l’approche dont Washington a fait une véritable doctrine : ce n’est pas l’exigence d’un cessez-le-feu qui serait au centre de la résolution mais les conditions posées par la diplomatie américaine et notamment les concessions exigées du Hamas.  

Il n’est donc pas fortuit que, aussitôt après le vote, l’ambassadrice américaine se soit également empressée, en gage d’assurance donnée à Israël, d’affirmer que la résolution était « non-contraignante », relayée dans cette interprétation par John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, qui, protestant de la fidélité américaine à Israël, a assuré que la résolution n’empêchait pas Netanyahou de poursuivre ses opérations militaires. On atteint ainsi des sommets de duplicité et de mauvaise foi !

Un soutien renouvelé à l’entreprise génocidaire israélienne

Et, pour accréditer cette interprétation, des sources américaines rapportées par Al Jazira avaient fait valoir dès l’adoption du texte que celui-ci ne faisait pas référence explicitement à l’article 7 de la charte des NU qui serait le seul cadre dans lequel le Conseil pouvait prendre des mesures coercitives.

Cette interprétation opportuniste est rejetée par les juristes spécialisés qui font valoir que toutes les décisions du Conseil, comme le stipule l’article 25 de la Charte des Nations unies[3], sont contraignantes pour les États membres. Mais l’interprétation américaine, si peu probante qu’elle soit, peut constituer une obstruction sérieuse à l’application de la résolution. Cela se passe comme ça dans le monde réel et il faut s’y résigner : il n’existe aucune règle, aucune mesure, aucune institution du droit international qui échappe aux rapports de forces régissant les relations inter-étatiques.

Pour résumer, on a l’impression que les États-Unis ont laissé passer la résolution à seule fin d’adresser un coup de semonce à leur allié israélien qui a trop tendance à s’affranchir de leur tutelle, mais qu’ils gardent en réserve une argumentation destinée à empêcher un cessez-le-feu aussi longtemps que les objectifs de guerre de Netanyahou n’auront pas été atteints. Et tant pis si quelques dizaines de milliers d’autres Palestiniens devront pour cela venir s’ajouter à la liste des victimes du génocide.

Cette attitude américaine faite de mépris pour les résolutions des Nations-Unis n’est pas sans précédent. Dans un tweet publié le lundi 25 mars, Richard Gowan, membre de l’ONG Crisis Group rappelle qu'"en 1973, les États-Unis avaient soutenu une résolution de l'ONU pendant la guerre du Kippour », mais que Henry Kissinger, alors secrétaire d’État, « avait aussitôt discrètement indiqué à la première ministre israélienne Golda Meir qu'Israël devrait la transgresser ».


Le moment est donc venu de savoir une bonne fois pour toutes si les institutions internationales sont le terrain de jeu privé des Américains au sein duquel ils peuvent manipuler à leur gré la volonté de 193 États souverains.


[1] Le Conseil de sécurité :

« 1°.    Exige un cessez-le-feu humanitaire immédiat pendant le mois du ramadan qui soit respecté par toutes les parties et mène à un cessez-le-feu durable, exige également la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages et la garantie d’un accès humanitaire pour répondre à leurs besoins médicaux et autres besoins humanitaires, et exige en outre des parties qu’elles respectent les obligations que leur impose le droit international à l’égard de toutes les personnes qu’elles détiennent ;

2°.    Insiste sur la nécessité urgente d’étendre l’acheminement de l’aide humanitaire aux civils et de renforcer la protection des civils dans l’ensemble de la bande de Gaza et exige à nouveau la levée de toutes les entraves à la fourniture d’une aide humanitaire à grande échelle, conformément au droit international humanitaire et aux résolutions 2712 (2023) et 2720 (2023) ».

[3] Article 25 de la charte : « Les Membres de l'Organisation conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte ».

 

dimanche 24 mars 2024

SPÉCULATIONS INUTILES SUR UNE ÉLECTION SANS INTÉRÊT


 

Khaled Satour

Quel est l’intérêt de toutes les spéculations qui sont formulées pour expliquer la décision d’avancer l’élection présidentielle au 7 septembre ? Parmi les hypothèses envisagées, il en est une au moins qu’on peut écarter : celle d’un retrait de la course de Abdelmadjid Tebboune. Si confuse et déroutante que soit la dépêche publiée par l’APS jeudi 23 mars sous le titre trompeur de « les raisons d’une annonce »[1], elle indique bien que l’actuel président a l’intention de briguer un second mandat.

Cette dépêche a même tout l’air de constituer le lancement de la campagne électorale de Tebboune qu’elle présente comme « le maître des horloges », entretenant une « relation charnelle » avec son peuple », n’ayant « jamais eu besoin d’un intermédiaire, d’un filtre, d’une tutelle » et dont le seul « patron » est le peuple.

L’hymne à la volonté populaire que cette dépêche entonne relève d’une rhétorique archi-battue et n’explique donc rien du tout. Pas plus d’ailleurs que le « recalibrage » de l’agenda électoral ou « le calcul géopolitique ». Pour ce qui est des « ennemis  désarçonnés », des « ennemis historiques » et autres « ennemis intérieurs », leur évocation dans un catalogue aussi redondant est une des constantes des discours de Tebboune et elle atteste clairement que l’agence de presse a écrit sous sa dictée.

Quant à l’hypothèse que l’avancement de la date de l’élection a pour but de gêner toute candidature rivale, j’avoue que ce genre d’arguments prête à rire. Je ne comprends pas qu’il y ait encore des gens sérieux qui critiquent la politique de "la chaise vide", qui préconisent des candidatures démocratiques, une union des forces de la société civile ou même qui ressuscitent l’antienne en vogue il y a quatre ans, celle d’une candidature unique issue du Hirak.

On devrait savoir depuis l’élection présidentielle de 1999 (qui se trouve être le seul précédent d’une élection anticipée) que le pluralisme de façade n’est que l’argument de promotion et de légitimité d’une élection dont le candidat de l’armée est vainqueur d’avance. Cette année-là, cinq candidats de poids (dont Hocine Aït-Ahmed, Mouloud Hamrouche et Taleb El Ibrahimi) avaient décidé la veille du scrutin leur « retrait collectif des élections présidentielles et la non-reconnaissance de la légitimité de (leurs) résultats ».

Aussi bien, et en attendant que les raisons de l’avancement de l’élection soient connues avec certitude (le régime algérien nous a habitués à garder secrets les motifs les plus insoupçonnables de ses décisions), la seule chose certaine est que cette cuisine n’a rien à voir avec aucun enjeu démocratique, la démocratie étant totalement, dans ses principes aussi bien que dans ses formes procédurales, étrangère à toutes les élections organisées en Algérie.

En somme, qu’elle ait lieu en décembre ou en septembre, cette élection ne nous regarde pas.