lundi 28 novembre 2022

LA PALESTINE ET ISRAËL AU CARNAVAL QATARI : LE BUZZ ET LE BUSINESS


 Khaled Satour

Ah ! Cette marée de vidéos dans lesquelles on voit des supporters arabes repoussant les assiduités des reporters israéliens autour des stades du Mondial qatari ! Ah ! Ces drapeaux palestiniens déployés, ceints, revêtus, coiffés par les jeunes Algériens, Tunisiens, Marocains, Saoudiens, Jordaniens admis au carnaval qatari !
 
Autant de manifestations de solidarité qui font le buzz et qui ont fait dire à un journaliste français que les Israéliens devraient redescendre sur terre car « les accords d’Abraham ont été signés par des leaders arabes » mais « les peuples restent attachés à la cause palestinienne ».
 
Mais en réalité qui a été pris de l’ivresse de s’élever si loin de la terre ferme que les lois de la gravité finiront par le rappeler brutalement à l’ordre ? 
 
Certainement pas les Israéliens qui ont toujours préféré le cynisme à l’enthousiasme et que les mouvements des foules arabes laisseront de marbre.
 
Ce qui importe pour eux, c’est le profit qu’il peuvent tirer du Mondial qatari : faire avancer leur projet de s’incruster dans le paysage arabe. Ils ont bénéficié des largesses du gouvernement qatari qui leur a permis d’acheminer leurs citoyens par vol direct entre leurs aéroports et ceux de l’émirat où un accueil consulaire leur est assuré, dans une négociation à laquelle Doha n’a pas songé à associer l’Autorité palestinienne.
 
Otage de la FIFA qui a satisfait son ambition dérisoire d’exister à tout prix, le Qatar n’a pas même exprimé une velléité d’écarter Israël de sa coupe du monde, au nom des droits de l’homme qu’il piétine impunément. Et il n’a jamais songé à se faire payer ce renoncement par la réintégration de la Russie, évincée arbitrairement de la compétition alors que son passif auprès des Nations Unis était bien moindre que celui du régime sioniste.
 
Le Qatar, qui se vante d’être parmi les États du Golfe l’unique champion de la cause palestinienne, a conclu avec Israël un protocole de normalisation ad-hoc, à durée déterminée en apparence mais qui n’exclut pas la tacite reconduction : le Mondial et plus si affinités.
 
Quant aux supporters arabes, dont les débordements affectifs ont été monnayés à ce prix, ils retourneront dans leurs pays respectifs où les appareils policiers leur feront toucher terre sans autre forme de procès. Le carnaval fini, la chape des tabous et des interdictions les enveloppera de nouveau.
 
Quand le business succèdera au buzz, les Israéliens seront restés, aux yeux des régimes arabes, plus solvables que les Palestiniens et bien plus influents que toutes les solidarités populaires.

lundi 14 novembre 2022

L'HOMME QUI A VU L'HOMME QUI A VU LES DROITS DE L'HOMME EN ALGÉRIE

 

Khaled Satour

Sous le titre « Conseil des droits de l’homme de Genève : Tabi souligne l’engagement ferme de l’Algérie », le quotidien algérien El Watan a publié dans son édition du 13 novembre un article qui constitue un bon échantillon de la presse indépendante telle que l’aime le régime algérien : il s’agit du rapport que fait le journal du rapport de présentation par le ministre de la Justice, Abderrachid Tabi, du rapport soumis par l’Algérie à la session du Groupe de travail intergouvernemental du Conseil des droits de l’homme, tenue le vendredi 11 novembre à Genève.

Autant dire que le recul pris vis-à-vis de la situation des droits de l’homme en Algérie est triplement garanti par la longueur de la chaîne de transmission, de sorte que la réalité des faits a tout loisir de s’éloigner et que le lecteur d’El Watan aurait aussi bien pu être invité à ajouter foi aux propos de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours.

Cette distanciation par rapport(s) à l’objet (les droits de l'homme) rend celui-ci assez flou pour que soit crédibilisé l’éloge fait du Hirak en tant que « test extraordinaire de par le caractère pacifique de ses manifestations, la forte mobilisation de ses composantes et son inspiration qui a transcendé les querelles partisanes, les sensibilités associatives et les intérêts personnels », et en tant que « point de départ d’une prise de conscience collective, qui a permis aux citoyens algériens de se réapproprier l’espace public et le paysage politique en faisant face résolument à de nombreux dépassements qui avaient trop duré ».

Il nous est ainsi rapporté que le Hirak a porté ses fruits puisque les citoyens algériens se sont réapproprié l’espace public et qu’il n’y a plus de dépassements. Même si, à en croire nos rapporteurs, « la transformation des axes du Hirak en institutions de la République » n’a pu se faire qu’avec « l’introduction d’un changement progressif de l’intérieur et la préservation de la continuité de l’État, de son unité territoriale, de son indépendance et de sa stabilité ».

Et une fois posée, en termes elliptiques, cette dialectique du Hirak et de la stabilité de l’État, la dialectique des droits de l’homme en Algérie qui est ensuite exposée coule de source :

1°- « La démocratie ne s’accommode pas des comportements portant atteinte à la dignité des personnes, tout comme la liberté d’opinion, d’expression ou de réunion ne peut être fondée sur la logique de la subversion, des appels à l'insubordination, voire au séparatisme, ou à d’autres fins et tentatives de contourner le processus électoral afin d’accéder au pouvoir loin des voies constitutionnelles ».

2°- « En Algérie, le +crime d’opinion et de presse+ n’existe pas, ni même les peines privatives de libertés pour les journalistes dans le cadre de l’exercice de leur métier », puisque « les cas rares, délibérément surexploités sur les réseaux sociaux, concernent des individus poursuivis en justice sur la base du droit public, et n’ont rien à voir avec la liberté d’expression ».

3°- Quant au terrorisme dont la définition a été élargie par une révision du code pénal promulguée l'an dernier, il utilise «la façade des droits de l’homme comme couverture, à travers l’exploitation des cadres juridiques, politiques et médiatiques et parfois syndicaux, notamment sur les réseaux sociaux en vue (…) de nourrir la haine contre les institutions et inciter à l’insubordination civile et au séparatisme ».

En somme, il n’a fallu faire taire les militants du Hirak, les accuser de subversion et de terrorisme, les emprisonner avec ou sans procès que pour mieux intégrer leurs revendications dans les institutions de la République.

Les chances de croiser un ours en Algérie restent finalement bien plus grandes que d’y entrevoir les droits de l’homme.

jeudi 10 novembre 2022

LE QATAR, L’HOMOPHOBIE INSTITUTIONNELLE ET L’ÉVOLUTIONNISME SOCIAL


Khaled Satour

Les pays occidentaux semblent se repentir d’avoir mobilisé leurs lobbies afin que le Qatar organise le Mondial. Personne ne doute désormais que l’émir de Doha a servi des millions de dollars de dessous de table pour obtenir le feu vert de la FIFA, l’ancien président Sarkozy ayant notamment enrôlé l’icône française du football Michel Platini pour convaincre les pays membres de l’UEFA de voter pour sa candidature.

Cela s’est passé il y a plus de 10 ans mais ce n’est qu’à l’approche de la compétition que les sponsors de l’émirat ont décidé de lui faire payer le service éminent qu’ils lui ont rendu. Les pétitions favorables au boycott, pour différents motifs, font florès. Mais le repentir est assez tardif pour que la fête du foot et de la finance ne soit pas compromise.

On reproche à juste titre au Qatar le traitement réservé aux ouvriers qui ont construit les stades, esclaves modernes dont plus de 6000 sont morts sur les chantiers. On s’en est avisé là aussi assez tard pour laisser le temps aux architectes de renommée mondiale et aux grosses entreprises étrangères d’empocher leurs bénéfices.

Mais, plus récemment, on a décidé de le prendre à partie sur le plan des « valeurs » de l’Occident pour mieux l’inférioriser dans sa condition de pays arabe et musulman attardé. On s’indigne des propos que son ambassadeur a tenu le 8 novembre sur une chaîne allemande à propos de l’homosexualité dont il a dit que c’était un péché parce que c’était un « dommage mental ». Il a bien été poussé à assurer que les homosexuels seraient autorisés à assister à la coupe du monde mais en précisant qu’ils « devront respecter nos règles ».

Particulièrement indignés par ses propos, les Allemands semblent oublier qu’ils n’ont dépénalisé l’homosexualité qu’en 1994, c’est-à-dire à une étape particulièrement tardive de la dénazification dans un pays où plus de 50.000 homosexuels ont été déportés dans des camps de concentration par le régime hitlérien. Les Français qui se solidarisent de l’indignation allemande ont (jusqu’en 1982) puni l’homosexualité, considérée comme une « maladie » dont il fallait éviter la « contamination », sur la base de l’article 330 du code pénal. En 1960, elle fut même classée dans la liste des « fléaux sociaux ». En comparaison, le « dommage mental » théorisé par l’ambassadeur qatari fait figure de doux euphémisme !

Ailleurs dans le monde, il a fallu attendre 1987 pour que l’homosexualité soit officiellement retirée de la classification américaine des maladies mentales et 1992 pour qu’elle ne figure plus dans la classification internationale des maladies (CIM) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Il y a donc une mauvaise foi manifeste à vouloir chicaner le Qatar sur cette question et à vouloir faire de la coupe du monde 2022 une manifestation ostentatoire de la lutte contre l’homophobie, avec la collaboration de l'UEFA qui va faire porter aux capitaines des équipes nationales un brassard marqué « One love » : on peut considérer qu’au moins 12 coupes du monde ont été à ce jour organisées par des États ouvertement homophobes, sans que cela ne provoque de scandale, notamment celle de 1974 qui s’est déroulée en Allemagne fédérale et auparavant celle de 1966 en Angleterre.

On serait plus fondé à rappeler au Qatar les crimes massifs auxquels il a participé au cours de la dernière décennie à l’occasion du « printemps arabe ». Il a joué un rôle primordial dans la déstabilisation de la Libye avant de prendre une part active à la guerre menée par l’Otan dans ce pays, conclue par le lynchage de Kadhafi.

Son ancien premier ministre, Hamad bin al-Jassem al Thani, a reconnu publiquement en 2017 que son gouvernement avait armé et entraîné les factions djihadistes qui ont mis la Syrie à feu et à sang à partir de 2011, avec la complicité des forces américaines et d’autres pays de la région, notamment l’Arabie saoudite, la Jordanie, les Émirats Arabes Unis et la Turquie.

Mais ce n’est pas d’avoir (autant qu’eux-mêmes) du sang libyen et syrien sur les mains que les Occidentaux reprochent au Qatar. C'est de prolonger quelque peu dans ses lois une homophobie institutionnelle dont eux-mêmes émergent à peine.

Alors que la modernité capitaliste et la culture qu’elle charrie conduisent la Planète au désastre, l’évolutionnisme social n’a toujours pas désarmé.