Khaled Satour
Gaza et sa population ne sont
plus protégées des visées criminelles d’Israël par aucune règle du droit ni
aucun cadre conventionnel.
En prenant le contrôle du point
de passage de Rafah et en se déployant au long de l’axe Philadelphie qui sépare
la bande de Gaza de l’Égypte sur une largeur d’une quinzaine de kilomètres,
Israël a en partie rendu caducs les accords de 1979 puis de 2005 conclus avec l’Égypte et
réduit à néant ceux de l’accord intérimaire de 1995 signé avec l’Autorité
palestinienne (Oslo II).
Le seul rempart contre
l’anéantissement de plus d’un million de Palestiniens regroupés à Rafah et
fuyant déjà dans la panique par milliers vers une zone prétendument sûre à
l’ouest de Khan Younès, est désormais la résistance acharnée à laquelle se
préparent les organisations combattantes dont l’ensemble des États
protagonistes a juré la perte.
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La carte de l’ordre d’évacuation pour les habitants de l’Est de Rafah distribuée par l’armée israélienne |
Ils sont livrés aux calculs d’Israël,
des États-Unis et de l’Égypte, chez qui la rivalité ne nuira jamais à la
coopération car, en dernier ressort, ni les Américains ni les Égyptiens ne
manifestent une volonté réelle de faire échouer les plans israéliens.
1) - Israël n’envisage l’invasion
de Rafah que dans une logique de terreur susceptible de pousser une population bombardée
et exténuée par des déplacements successifs à se précipiter en désordre vers le
Sinaï égyptien.
2) - Les États-Unis partagent
quoi qu’ils en disent l’objectif stratégique d’Israël consistant à réoccuper
toute la bande de Gaza. Ils ont suffisamment montré qu’ils s’opposaient tout
aussi fermement que lui à toute idée de cessez-le-feu.
C’est à peine s’ils tentent de
faire croire qu’il est possible d’obtenir une liquidation du Hamas en faisant l’économie
d’un massacre à grande échelle à Rafah. Mais, en réalité, ayant échoué à faire
accepter par la résistance une trêve qui aurait eu valeur de reddition, ils ne
feront rien pour empêcher leur allié d’obtenir ce résultat par un déchainement
de violence, quel qu’en soit le prix pour la population civile.
A plus long terme, ils se préparent
à un avenir qui promet d’être incertain, dérégulé par les reniements
conventionnels d’Israël, dans lequel ils auraient à s’imposer comme puissance
impériale impliquée sur le terrain.
C’est ainsi qu’ils semblent être
convenus avec Tel Aviv que le point de passage de Rafah sera confié au contrôle
et à l’administration d’une société américaine de sécurité. A première vue,
cette entité aura pour mission de retirer à Israël le monopole de la gestion
des flux, notamment en matière d’aide humanitaire, et aussi de réfréner toute
velléité d’expulsion des Palestiniens vers le Sinaï égyptien. Mais, comme « elle
est constituée d’anciens soldats des unités spéciales américaines »[1],
il n’est pas exclu qu’elle en vienne à assister l’armée israélienne dans ses
opérations menées contre la résistance palestinienne. Ce qui est sûr, c’est que
les États-Unis, qui sont en train d’achever la construction d’un pont
flottant à une dizaine de kilomètres au large de la côte de Gaza, sont décidés
à se donner les moyens de dire leur mot dans les décisions qui seront prises à
propos de l’avenir du territoire.
3) - Quant à L’Égypte, puissance
déchue et humiliée, elle est alignée sur les positions de son tuteur américain
qui dit s’opposer à un exode palestinien mais risque de ne rien faire pour
l’empêcher.
Dans la faible marge de manœuvre dont
il dispose dans ce jeu à trois, le régime d’Al Sissi balance entre le refus
ferme d’accueillir des réfugiés sur son territoire et la conscience aigüe de
son impuissance à faire échouer le nettoyage ethnique si Israël décidait de
l’entreprendre.
De ce fait, parant à toute
éventualité, il a aménagé à l’intention d’éventuels flots de réfugiés des zones
de parcage sur son territoire, tout en déléguant à une toute nouvelle Union des
Tribus du Sinaï, présidée par l’homme d’affaires Ibrahim Al-Argany, un truand
sans scrupules qu’il a pris à sa solde, la mission de repousser par la violence
tout franchissement massif de la frontière[2].
De sorte que, dans le scénario le
plus terrible que pourrait produire l’invasion de Rafah, les familles
palestiniennes pourraient se retrouver prises entre deux feux : l’exode
forcé provoqué par Israël et le barrage meurtrier que lui opposeraient les milices
tribales égyptiennes. Cette hypothèse du pire n’est pas à exclure et l’Égypte
préfère l’envisager cyniquement sans aller jusqu’à y impliquer directement son
armée régulière et prendre le risque d’une confrontation avec l’armée
israélienne.