dimanche 17 décembre 2023

L’ACTIVE PRÉPARATION DU « DAY AFTER »


 

Khaled Satour

Des plans politiques sont échafaudés pendant qu’on massacre à Gaza.

Tant de calculs froids, de concertations, de rivalités ayant pour enjeu l’avenir palestinien… Ce n’est pas un génocide qui est en cours à Gaza. C’est juste un délai de réflexion accordé à différents protagonistes pour peaufiner leurs stratégies. Et le monde entier semble adhérer à cette vision. Car si un génocide était en cours à Gaza, l’humanité civilisée serait intervenue pour y mettre fin.

Mais puisqu’elle ne le fait pas, c’est que c’est une action d’intérêt public planétaire qui s’y passe. Quelque chose comme une opération de désinsectisation ou de dératisation à grande échelle, par exemple, menée sous les auspices de la communauté internationale. Ou alors Gaza est contaminée par des déchets toxiques qu’on voit enveloppés dans des sacs blancs en vue de leur enfouissement. L’action de salubrité doit aller au bout afin qu’on puisse passer à autre chose.

C’est un trio qui se concerte, autour duquel les États-Unis ont fait le vide grâce aux accords d’Abraham et aux porte-avions qu’ils ont déplacés dans la région pour dissuader de toute « extension du conflit » mais aussi de tout élargissement du dialogue : Israël, l’Autorité palestinienne et eux-mêmes. Ensemble, ils se projettent dans l’avenir qu’ils veulent proche où Israël en aura fini avec Gaza et le Hamas. Ils ont été surpris par l’attaque du 7 octobre, ils ont besoin de ce temps suspendu, de cet intermède de l’horreur, pour retomber sur leurs pieds et mettre la dernière main à leurs plans.  Le calvaire de la population civile palestinienne est pour eux un contretemps somme toute bienvenu.

Mahmoud Abbas, qui habite dans le voisinage de Jenine dévastée par l’armée israélienne, se donne l’illusion d’être partie prenante aux chassés croisés diplomatiques qui se multiplient sous l’égide des Américains. Il a décidé de ne pas entendre l’appel que lui a lancé le Hamas durant la semaine écoulée à « dépasser les accords d’Oslo, à mettre un terme à la coordination sécuritaire et à passer à la résistance totale ».  Il a mis toute sa confiance en Anthony Blinken et Jake Sullivan qui ne le rencontrent pourtant, entre deux tête-à tête avec Netanyahou, que pour s’assurer qu’il se tiendra tranquille le temps qu’ils accordent leurs violons avec Israël. Au langage diplomatique des émissaires américains, Netanyahou superpose un discours menaçant : il a déclaré il y a quelques jours que son gouvernement était prêt à combattre les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne si celle-ci montrait la moindre velléité de sortir du pacte de soumission auquel elle a consenti. Mahmoud Abbas ayant fait savoir que ses services étaient prêts à assumer l’administration de Gaza quand la guerre y prendrait fin, le premier ministre israélien lui a répondu que le territoire resterait sous l’autorité sécuritaire d’Israël même s’il devait pour cela ramener Abbas à la raison par la force.

A part les appels du pieds du Hamas, qu’il est décidé à ignorer, Mahmoud Abbas est seul face aux manigances américaines et israéliennes. L’Égypte et le Qatar sont assignés à un rôle de factotums chargés de transmettre au Hamas les propositions de Washington et de Tel-Aviv relatives aux trêves humanitaires qu’ils souhaiteraient négocier, tout cessez-le-feu étant exclu. Le Qatar est notamment sous la menace explicite d’expéditions menées sur son territoire par le Mossad pour éliminer la direction politique du Hamas qui s’y trouve. La propagande israélienne, relayée sur la toile par des mercenaires marocains, fait circuler des rumeurs sur leur expulsion de Doha pour que l’Émirat saisisse le sens du conseil qui lui est amicalement adressé.

Américains et Israéliens ne parlent d’ailleurs plus, sans la moindre retenue, que des assassinats ciblés qu’ils projettent ensemble contre les dirigeants de la résistance à Gaza même : c’est la « 3e phase » de la guerre, voulue « d’une moindre intensité », que Washington incite Tel-Aviv à entamer au plus vite, l’aide des spécialistes américains dans les liquidations physiques en tout genre lui étant sans doute promise. Les autres États de la région sont impatients de voir la résistance de Gaza écrasée pour que les affaires puissent reprendre avec Israël au grand jour.

Si l’Algérie, qui tarde à accueillir les 400 blessés palestiniens orientés vers ses hôpitaux, demeure solidaire avec la Palestine, c’est sur le strict plan de l’hébergement sportif : l’équipe nationale palestinienne s’y prépare aux prochaines compétitions. Comme dans le meilleur des mondes où tout va pour le mieux!

Quelques milliers de combattants armés et une population survivant par un miracle chaque jour renouvelé retardent l’heureux avènement du « Day After ». Le village peuplé d’irréductibles Palestiniens est transformé en ruines par des ennemis agissants mais il peut compter sur la sympathie d’amis impuissants.

 

mercredi 13 décembre 2023

RÉSOLUTION DE LA FIDH SUR LE GÉNOCIDE EN COURS À GAZA : LE DEVOIR DE RAPPELER LE GOUVERNEMENT ALGÉRIEN À SES DEVOIRS


 

Khaled Satour

Ce n’est pas un événement anodin. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) vient de rendre publique une résolution adoptée par son bureau « sur le génocide en cours et les autres crimes commis par Israël à Gaza et contre le peuple palestinien[1] ».

Un génocide est en cours à Gaza, voilà ce que déclare une organisation dont l’histoire se confond avec celle des droits humains et qui regroupe 190 ligues de défense de ces droits présentes dans 112 pays.

La résolution fait le constat suivant :

« Le type d’attaques et de mesures israéliennes qui ciblent davantage la population de Gaza depuis le 7 octobre, les punitions collectives, les déplacements forcés, l’utilisation par Israël de la famine comme arme de guerre, les coupures d’approvisionnement en eau, en électricité et en carburant, ainsi que les déclarations publiques et répétées de l’armée et de hauts dirigeants du gouvernement israélien, constituent autant de preuves de l’intention et des actes génocidaires d’Israël dans le cadre de son agression en cours ».

La matérialité des actes génocidaires est donc considérée par la FIDH comme établie de même que l’intention génocidaire exigée par l’article II de la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide et qui constitue sa pierre angulaire en même temps que la pomme de discorde la mieux faite pour dissuader de toute action.

Bien qu’elle se déclare par ailleurs consciente de « l’incapacité des États tiers et de la communauté internationale à reconnaître la situation et à empêcher les graves violations du droit, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide en cours, et à tenir Israël pour responsable », la FIDH n’en appelle pas moins les États à prendre de toute urgence une série de mesures pour notamment « garantir un cessez-le-feu immédiat » et « s’assurer qu’Israël s’abstienne de toute nouvelle incitation et actes de génocide ».

Surtout, elle appelle « les États signataires de la Convention sur le génocide à demander aux organes compétents des Nations unies de prendre les mesures nécessaires en vertu de la charte des Nations unies pour empêcher et réprimer les actes de génocide, notamment en saisissant la Cour internationale de justice d’actes relevant de l’article IX de la Convention sur le génocide ».

Elle avoue en cela avec réalisme les limites de son action : ce sont les États, dans le cadre des Nations-Unies, qui doivent prendre le relais avec tous les obstacles qu’ils ne manqueront pas de rencontrer eu égard aux rapports de force favorables à l’État génocidaire d’Israël.

Elle fait en en même temps en cela l’aveu de notre impuissance à nous tous qui souffrons des souffrances indicibles des Palestiniens, à un niveau qui n’en atteindra cependant jamais l’intensité.

S’ajoute à cette souffrance solidaire, le chagrin que nombreux sont parmi nous à ressentir devant l’inaction confinant à l’indifférence de l’État algérien dont il ne reste pourtant du socle de légitimité que le régime avait jusque-là préservé que son soutien nominal à la cause palestinienne.

On ne peut pas dire que le régime algérien soit un praticien actif des droits de l’homme et des droits de la citoyenneté en général. Mais il nous reste peut-être la possibilité de lui opposer nos devoirs et plus particulièrement le devoir de le rappeler à ses devoirs.

Nous devons donc, assumant le risque de passer pour des naïfs, demander au gouvernement algérien, signataire de la convention de 1948, d’invoquer la résolution de la FIDH appuyée par les avis convergents des nombreux experts internationaux qui se sont exprimés[2] et d’engager auprès des Nations-Unis une action au besoin concertée avec d’autres États afin que soit mise en œuvre la procédure appropriée pour empêcher et réprimer les actes de génocide perpétrés par Israël à Gaza [3].


[2] https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/guerre-gaza-israel-genocide-palestiniens-experts-crimes-etat

 [3] Il importe peu qu’une telle initiative échoue au Conseil de sécurité. Ce qui compte c’est d’exercer une pression politique à l’échelle de la « communauté internationale » et de donner du retentissement au débat sur les crimes d’Israël.