dimanche 24 septembre 2023

QUAND UNE OLIGARQUE DE PACOTILLE ADRESSE DES MESSAGES AU PEUPLE ALGÉRIEN


 

Khaled Satour

Les plus âgés d’entre nous ont vécu le temps où les gouvernants algériens disaient que l’État algérien était celui des travailleurs. Ils ont plus ou moins cru à la véracité de cette assertion. Pour ma part, j’ai toujours su que ce n’était qu’un slogan destiné à faire croire que les intérêts des travailleurs étaient suffisamment représentés par les appareils de l’État, dévoués à leur bien-être, pour que les intéressés soient dissuadés de les défendre eux-mêmes.

A l’apogée du socialisme algérien, dans les années 1970, les travailleurs avaient donc dû se contenter d’assemblées consultatives créées dans les entreprises publiques pour leur permettre de donner de vagues avis et recommandations préalablement à la prise de décision monopolisée par les technocrates d’État. Hors de l’entreprise, les salariés étaient parallèlement dépossédés de tout droit de contestation et leur syndicat, inféodé au pouvoir, n’avait d’autre mission que de les réduire au silence et de tuer dans l’œuf toute velléité de protestation qui pouvait les tenter.

De l’État des travailleurs à l’État du patronat

L’Algérie est aujourd’hui entrée de plain-pied dans l’ère du libéralisme et l’État est désormais celui du PIB et des « investisseurs » privés. Et il s’avère que les patrons ont plus de ressources pour résister à leur État que les travailleurs n’en avaient pour s’imposer au leur. La raison en est simple : l’État des travailleurs avait déjà une fibre bourgeoise « rentrée » qui le rendait allergique à toute rébellion ouvrière. Mais depuis qu’il assume ouvertement son caractère capitaliste, il est beaucoup plus conciliant avec les intérêts qu’il représente, ce qui ouvre au patronat un champ d'action et d'expression autrement plus large.

Cela ne met pas pour autant fin à toutes les confusions. S’il surplombait par le passé les classes populaires dont il se prétendait le représentant, puisqu’il leur était extérieur et qu’il était étranger à leurs intérêts, l’État est aujourd’hui fortement impliqué dans les luttes sourdes qui agitent les couches arrivistes avides de consommer la rente. Ces luttes s’articulent sur les lignes de clivage qui déterminent les rapports de force entre les clans du pouvoir lui-même, de sorte que le combat acharné auquel se livrent les différentes fractions du patronat répercute les conflits qui se déroulent au sommet du pouvoir.

On a pu s’en apercevoir récemment à l’occasion de l’irruption tonitruante et tout à fait inattendue de Saïda Neghza sur la scène politico-médiatique. La présidente de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA) a adressé au président Tebboune le 5 septembre dernier une lettre dans laquelle elle protestait avec véhémence contre les amendes infligées par un « comité ministériel » chargé de contrôler et de sanctionner les pratiques de fraude fiscale des entreprises.

Or, quoi qu’on puisse objecter à la constitution de ce comité, la mission qui lui était dévolue se justifiait par le fait que le manque à gagner imputable à l’évasion fiscale avait atteint selon le rapport de la cour des comptes publié en 2021 un montant annuel en dinars équivalent à 50 milliards de dollars auquel il faut ajouter l’équivalent de 7 milliards de dollars d’avantages fiscaux accordés aux entreprises[1].

Mme Neghza n’en a pas moins osé demander au président de la République d’effacer les amendes infligées et de tolérer l’évasion fiscale parce que, selon elle, il faut « prendre en compte les particularités du pays ». Elle considère en outre qu’il faut éviter de mettre « en faillite les opérateurs concernés, en vendant ou en fermant leurs usines et en mettant des milliers de travailleurs au chômage »[2].

« Des hommes portant des casquettes »

Violemment critiquée pour cette initiative par l’APS le 10 septembre[3], la présidente de la CGEA a répliqué en interpellant le directeur de l’agence dans les termes virils qui convenaient pour bien marquer sa pleine appartenance au sérail, le menaçant, dans un message enregistré que ce dernier a rendu public, de lui « baisser le pantalon sur la place des Martyrs » et précisant qu’elle n’avait rien à craindre de personne tant qu’il existerait en Algérie « des hommes portant des casquettes ».

Elle dévoilait ce faisant le dessein qui était le sien : battre le rappel des soutiens dont elle bénéficie au sein de la hiérarchie militaire et qui sont hostiles au comité ministériel de contrôle institué par Abdelmadjid Tebboune. Celui-ci a bien reçu le message et, sans daigner (ou oser ?) répondre à celle qui l’avait interpellé, a choisi d’exaucer ses veux en annonçant le 18 septembre qu’il « gelait » le processus d’évaluation fiscal des entreprises, même si, pour sauver la face, il a préféré le signifier aux dirigeants d’une organisation patronale rivale de celle de Mme Neghza, le CREA[4].

Tels sont les termes dans lesquels sont verbalisés puis traités certains des conflits qui secouent les deux sphères du pouvoir et du business que l’État du PIB et du patronat réunit dans le pillage des ressources du pays. L’oligarchie militaire en demeure l’arbitre en dernier ressort mais elle autorise à l’occasion des oligarques de pacotille comme Saïda Neghza à concevoir quelques illusions sur leur toute-puissance.

Et la présidente de la CGEA se laisse si bien prendre au jeu qu’elle a cru avoir la stature qu’il faut pour s’adresser directement via Facebook « au peuple algérien » et lui demander de l’excuser pour ses excès de langage tout en maintenant sa position et en sacrifiant à l’usage hautement politique consistant à rendre hommage aux moudjahidine et aux chouhada!

Exit l’État des travailleurs. Bienvenue au patronat du peuple.

1 commentaire:

  1. Tebboune qui a l'habitude de jouer au matamore devant des plumitifs aux ordres vient d'être recadré par les hommes de l'ombre, ceux qui l'ont placé là où il est et ceux qui vont lui demander d'absoudre cette prédatrice femme d'affaires de l'opportunisme contre le soutien indéfectible de cette dernière pour son second mandat. Elle pourra retourner au bercail, reprendre ses affaires juteuses et même avoir le privilège d'être placée au premier rang des prochains meetings de sa triomphale et deuxième victoire présidentielle. La nouvelle Algérie est encore plus indécente et plus dégoûtante que celle l'a précédée.

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