jeudi 8 mars 2007

L'ORDRE JURIDIQUE ALGERIEN : LA VIOLENCE INCORPOREE AU DROIT

Khaled Satour
Etant donné l’ampleur du sujet et la somme de réflexion qu’il exige, nous nous contenterons de quelques éléments élaborés à chaud à partir des seuls matériaux fournis par l’examen de l’affaire de l’attentat de l’aéroport. Comme nous l’avons déjà écrit, le fait attesté que le régime ait recouru massivement à des actes qualifiables de crimes contre l’humanité indique que le droit algérien ne peut plus être défini selon les critères habituels de la validité. Il reste alors à expliquer que l’Etat se soucie tant de produire un droit articulé et relativement cohérent alors même qu’il organise une violence aussi systématique contre les personnes. Car le fait est là : il semble encore possible d’étudier le droit algérien selon les canons de la théorie juridique. Le droit est enseigné dans cette perspective aux étudiants des universités algériennes et cette seule réalité empirique est problématique. Parallèlement, lorsque l’Etat est mis en cause pour les violences qu’il exerce, c’est son propre droit qu’on retourne contre lui : on argumente point par point pour démontrer l’irrégularité de telle règle ou de tel acte. Ainsi opèrent les organisations de défense des droits de l’homme qui relèvent les « violations » par l’Etat de ses différents « engagements » et lui font des « recommandations » afin qu’elles cessent. Ainsi le Tribunal permanent des peuples, dans sa session consacrée à l’Algérie, a largement construit son argumentation sur « les violations du droit algérien » par l’Etat algérienii.
Il y a certes deux lectures opposées : celle qui soutient l’illusion juridique entretenue avec une rare persévérance par l’Etat algérien et celle qui dénonce les entorses faites à l’orthodoxie juridique dont il se revendique. Mais les deux concourent à postuler comme référence le modèle juridique dont le pouvoir se prévaut. Et c’est cette référence-là, retenue à charge ou à décharge, qui rattache l’Algérie à l’idéal chimérique de l’Etat de droit. En vérité, si l’Algérie officielle ne s’est jamais comparée à un Etat de droit que dans un discours très récent, elle est bel et bien pourvue d’un droit étatique dont la particularité est de défier les enseignements de la théorie juridique. Nous sommes constamment mis en présence de ce qui apparaît comme une négation du droit par le droit, formule qui rend bien compte du paradoxe d’un droit qui ne se conteste que pour mieux s’affirmer. Cette incessante contestation/affirmation ne peut plus s’analyser en termes de contradiction au sens d’antinomie, elle constitue une dialectique caractéristique du fonctionnement de l’Etat dont nous proposerons quelques éléments de résolution.

1. L’ECHEC DE L’APPROCHE POSITIVISTE
Le droit fait trop souvent l’objet d’une approche positiviste : dans sa version la plus radicale, le positivisme considère que le seul droit qui compte est celui qui est en vigueur. Peu importe que ses règles soient constamment violées et peu importe même que ces violations ne soient pas sanctionnées. Ce positivisme s’alimente des instruments du normativisme : tant que le législateur s’efforce de produire un droit nanti d’un semblant de clôture normative, d’une complétude toute formelle, on pourra le justifier théoriquement. La normativité repose sur une objectivation des rapports régis par le droit, c’est-à-dire sur « des formes de comportements attendues et extérieures à la volonté immédiate des individualités
iii ». C’est la condition de l’existence des normes à partir de laquelle celles-ci vont constituer un univers spécifique, plus ou moins fermé sur lui-même et puisant son sens, chez les normativistes les plus radicaux, dans l’« autoréférence » : chaque norme est valide du seul fait de sa conformité à une norme supérieure.
Mais l’approche positiviste n’exclut pas, pour certains auteurs, la notion d’effectivité : il ne suffit pas qu’une norme soit en vigueur, en conformité avec des procédures commandant son édiction, il faut qu’elle s’applique
iv. Et le point de rencontre entre validité et effectivité est souvent l’idée de sanction : une règle, même fréquemment violée, ne cesse pas d’être du droit à condition que sa violation ne soit pas impuniev. L’effectivité est ainsi strictement conçue comme complément de la validité.
Les dispositions juridiques qu’il convient de soumettre à l’examen à partir des données fournies par l’affaire de l’aéroport peuvent être présentées sous les trois points suivants :


Point a : La réglementation de l’arrestation et de la détention et la répression des « atteintes à la liberté individuelle »
Le code de procédure pénale algérien encadre l’action des policiers qui n’agissent en principe que sous le contrôle des magistrats. La mise en garde à vue est effectuée par l’officier de police judiciaire si l’enquête l’exige, et, depuis une loi du 26 juin 2001, celui-ci doit immédiatement en informer le procureur de la République et lui soumettre un rapport motivé (art. 51). Dans un délai maximum de 48 heures, l’officier de police doit conduire la personne en garde à vue devant le procureur de la République s’il existe contre elle « des indices graves et concordants de nature à motiver son inculpation » et le procureur peut accorder l’autorisation écrite de prolonger la garde à vue de 48 heures (art. 51 et 65). L’article 22 du décret législatif n° 92/03 relatif à la lutte contre le terrorisme a porté la durée maximale de garde à vue à 12 jours pour les actes terroristes, disposition insérée dans l’article 65 CPP par l’ordonnance du 25 février 1995. En cas de crime flagrant, le procureur peut délivrer un mandat d’amener ou un mandat de dépôt (art. 58 et 59) mais la délivrance des mandats (d’amener, de dépôt et d’arrêt) est de la compétence normale du juge d’instruction (art. 110, 117 et 119). Tout inculpé arrêté en vertu d’un mandat d’amener qui aura été détenu pendant plus de 48 heures sans être interrogé par le magistrat instructeur est considéré comme arbitrairement détenu (art. 113). Car ces garanties procédurales sont renforcées par les articles 291 à 293 bis du code pénal réprimant les « atteintes à la liberté individuelle
vi » et le « rapt ». Sont ainsi lourdement punis l’enlèvement, l’arrestation, la détention ou la séquestration des personnes « sans ordre des autorités constituées et hors les cas où la loi (le) permet » (art. 291), avec pour circonstance aggravante le « port d’un uniforme ou d’un insigne réglementaire » (art. 292). La peine de mort est encourue « si la personne enlevée, arrêtée, détenue ou séquestrée a été soumise à des tortures corporelles » (art. 293). L’article 293 punit l’enlèvement avec pour circonstance aggravantes les tortures corporelles et la demande de rançon. Ces atteintes à la liberté s’ajoutent aux « attentats à la liberté » prévus par les articles 107 et suivants CP qui punissent plus généralement tout fonctionnaire ayant ordonné un acte attentatoire à une liberté individuelle ou à un droits civiques.

Point b : La réglementation de la perquisition et la répression de l’ « abus d’autorité »
Le code de procédure pénale soumet aussi en la matière les services de sécurité au contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction : la perquisition requiert une autorisation écrite (art. 44), elle doit être effectuée en présence du chef de maison (art. 45) et est interdite avant 5 heures et après 20 heures. L’article 21 du décret 92/03 a écarté les garanties des articles 45 et 47 en cas d’acte terroriste et ces dispositions exceptionnelles ont été ajoutées aux dits articles par une ordonnance du 25 février 1995. En vertu de l’article 135 du code pénal, tout fonctionnaire, tout officier de police, tout représentant de la force publique, « qui, agissant en sa dite qualité, s’introduit dans le domicile d’un citoyen contre le gré de celui-ci, hors les cas prévus par la loi et sans les formalités qu’elle a prescrites » est puni pour abus d’autorité. Ce qui garantit pénalement contre toutes les violations de domicile, au-delà du champ strict de la perquisition.

Point c : La combinaison des dispositions du décret législatif 92/03 et de l’ordonnance 06/01
Le décret 92/03 donne dans son article 1e une définition de « l’acte subversif ou terroriste » comme constitué par « toute infraction » réprimée par le code pénal dès lors qu’elle vise « la sûreté de l’Etat, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions » par « toute action » ayant différents objets énumérés ( Semer l’effroi, porter atteinte aux biens et aux personnes, entraver la circulation, porter atteinte aux moyens de communication, faire obstacle à l’action des autorités, au fonctionnement des institutions, etc.). Les articles 3 et 4 du décret punissent « quiconque créé, fonde, organise ou dirige toute association, corps, groupe ou organisation dont le but ou les activités tombent sous le coup » de l’article 1e, ainsi que quiconque y adhère ou y participe. L’ordonnance n° 06/01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la charte énonce dans son article 2 que les dispositions de grâce et d’amnistie prises pour consolider la paix « sont applicables aux personnes qui ont commis ou ont été les complices d’un ou de plusieurs faits prévus et punis » par les articles 87 bis à 87 bis 10 du code pénal. Ces derniers reprennent les articles 1 à 10 du décret 92/02 intégrés au code pénal par une ordonnance du 25 février 1995. Quant à l’article 45 de l’ordonnance, il énonce que « aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la nation et de la préservation de la République algérienne démocratique et populaire. Toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire compétente ». De notre interprétation de ces dispositions, nous avons conclu à une subjectivation du droit répressif puisque tout un ensemble d’infractions perpétrées au cours de la dernière décennie sont définies en bloc par leurs auteurs, les « terroristes », alors que les services de sécurité en sont exonérés, en tant que tels, totalement.
Si les deux premiers points (a et b) concernent le problème de l’application des normes, le troisième (c) soulève celui de la validité dans la mesure où il établit une combinaison normative pour le moins problématique. Il faut rappeler que l’objectivation que réalise le droit produit la notion de droit objectif, défini comme l’ensemble de règles d’application générale et abstraite sous-tendues par le principe d’égalité devant la loi. La seule subjectivation possible est en théorie celle qui s’effectue, face au droit objectif, par la notion de sujet de droit. La subjectivation du droit répressif que nous avons relevée, associant un ensemble d’ infractions aux « terroristes » et en exonérant en bloc les services de sécurité, semble aller à l’encontre de ce principe. Car celui-ci est formellement énoncé par l’article 29 de la constitution de 1996 qui consacre l’égalité devant la loi. Cette égalité est-elle rompue par la combinaison du décret 92/03 et de l’ordonnance 06/01, selon les critères qu’impose la normativité du droit ? Et les garanties procédurales favorables aux libertés sont-elles effectives ? Il y a deux façons de répondre aux questions posées par les points a, b et c à partir de deux conceptions de l’effectivité et de la validité conçues d’un point de vue positiviste :
- Dans une approche strictement formelle, on peut d’abord soutenir, s’agissant du point c, que l’égalité devant la loi affirmée par l’article 29 de la constitution s’apprécie par le recours à l’article 47 qui énonce que « nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ». Le décret 92/03 et l’ordonnance 06/01 ayant été hissés au rang législatif dans l’ordonnancement juridique
vii, il n’y aurait, du strict point de vue positiviste, aucune faille à relever. Une telle lecture privilégierait la conformité des deux textes à l’article 47 et écarterait la discussion sur la conformité au principe d’égalité de l’article 29. Plus exactement, elle choisirait de raisonner la conformité aux deux articles sous la prééminence de l’article 47. Le raisonnement est artificiel mais l’approche normativiste l’est tout autant en général : elle n’affirme en effet nullement que l’ordre normatif est exempt de contradictions. Mais, paradoxalement, ces contradictions peuvent sauter aux yeux de l’observateur profane et n’en être pas moins considérées comme contingentes par le juriste positiviste. Ce dernier, appliquant les directives de Hans Kelsen, le plus éminent théoricien du normativisme, estimera que « les conflits de normes peuvent être et doivent nécessairement être résolus dans le cadre des matériaux normatifs qui lui sont donnés – ou plus exactement imposés –, par la voie de l’interprétationviii ». L’approche positiviste postule la cohérence de l’ordre normatif et privilégie l’interprétation favorable à cette cohérence. R. Carré de Malberg, autre grand juriste positiviste, affirme qu’ « il n’est pas concevable qu’il puisse se produire des conflits du droit contre le droitix ». Ironisant sur une telle logique, Michel Miaille en conclut que « le juriste a le droit de critiquer, mais pas en tant que juriste !x ».
Un raisonnement de la même inspiration s’appliquera aux infractions telles que les atteintes à la liberté individuelle et l’abus d’autorité (points a et b), couverts par l’immunité que l’ordonnance 06/01 confère à l’ensemble des actes effectués par les services de sécurité. On pourra soutenir que l’article 45 de cette ordonnance est venu légaliser a posteriori l’absence de poursuites : ces infractions n’en sont plus. La faille normative n’a existé que dans un espace temporel annulé rétrospectivement, elle est réputée n’avoir jamais été. Exemple saisissant de négation du droit par le droit qui est cependant inattaquable d’un point de vue positiviste
xi.
Dans la même approche, ces points a et b seront ramenés, pour la période précédant l’édiction de l’article 45 de l’ordonnance, à une problématique étroite d’effectivité. L’arrestation, la détention et la perquisition étant encadrées par un contrôle judiciaire, c’est le juge seul qui décidait de leur régularité. On a vu par exemple dans l’affaire de l’aéroport que la procédure pénale n’avait pas été respectée sur ces différents points. Mais, sans qu’il soit nécessaire d’approfondir la démonstration, on peut tenir pour acquis que, ainsi circonscrite, l’ineffectivité constatée est, en dernier ressort, un moyen de critique des seules institutions judiciaires, chargées de l’application, et ne vaut que si l’on considère la séparation des pouvoirs comme une réalité. On dira que la validation de la procédure, avec tous les actes attentatoires aux libertés qu’elle comportait, ne relevait que des prérogatives du juge. Si ce dernier n’a constaté ni abus d’autorité (art. 135 CP) ni atteintes aux libertés (art. 291 et s. CP), c’est que ces infractions n’ont pas été commises. Cette ineffectivité ne faisait du reste qu’anticiper l’immunité prononcé ultérieurement par l’article 45 de l’ordonnance 06/01 au profit des services de sécurité pour l’ensemble des actes accomplis dans la « lutte antiterroriste ».
- Mais on peut puiser dans le normativisme des arguments qui relativisent, tout au moins en théorie, ce positivisme formel. A une conception de la validité des normes qui en privilégie la forme, c’est-à-dire leur conformité à la hiérarchie des sources du droit construite par le législateur, Michel Virally oppose la validité reposant sur le contenu. « Si on insiste trop sur l’aspect formel, en se désintéressant du contenu, écrit-il, la validité dégénère en légalité. L’attitude inverse la transforme en légitimité
xii ». Légalité et légitimité ne sont pas, selon lui, des notions pures, ce sont les deux « pôles » dont la validité subit constamment l’attraction : « c’est un aspect de l’éternel combat entre la "lettre" et l’ "esprit"» qui désignent respectivement une « sous-validité » et une « sur-validité"xiii ». Et il va de soi que, pour le point c, on considérera à partir de ces catégories que le décret 92/03 et l’ordonnance 06/01, s’ils tirent une validité/légalité de l’article 47 de la constitution, ne peuvent prétendre à la validité/légitimité que seule une conformité de « contenu » avec le principe cardinal de l’égalité devant la loi aurait pu leur conférer. S’agissant des points a et b, on s’appuiera sur les articles 135 et 291-293 CP pour considérer que les règles de procédure encadrant la détention et la perquisition sanctionnent des atteintes aux libertés et soumettent les actes de procédure pénale à des exigences de « contenu », c’est-à-dire à des impératifs de légitimité. La notion d’abus d’autorité (qui s’étend génériquement selon la doctrine à celle d’atteintes à la liberté individuelle) se justifie par l’idée que « l’autorité peut se définir comme un pouvoir donné pour l’exercice d’une fonction » et qu’il faut sanctionner le titulaire du pouvoir qui outrepasse ses droits, autant « pour protéger la légitimité de l’auteur » que pour lui faire respecter des libertés fondamentales qui « constituent la sûreté qu’on appelle aussi habeas corpusxiv ».
Cette approche de la validité par le contenu et non pas simplement par la forme peut paraître séduisante par la possibilité qu’elle offre de démasquer les artifices formels du droit algérien. Mais on voit tout de suite le problème qu’elle soulève : où le droit algérien puiserait-il ces références de « contenu » qui autoriseraient à juger de sa légitimité ? Les libertés publiques prescrites par la constitution renferment-elles une quelconque substance ? Le jugement sur la légitimité se réfère nécessairement, selon Virally, à « des valeurs juridiques s’imposant de façon permanente
xv ». Pierre Noreau y voit, à la suite de Dworkin, « l’idée que ce qui fonde l’interprétation du droit tient du contexte politique général, des convictions partagées par les citoyens d’un Etatxvi ». C’est donc une idée nouvelle d’effectivité qui vient ici se superposer à celle de validité, une effectivité au sens plein et qui se juge à un double degré : la combinaison du décret 92/03 et de l’ordonnance 06/01 applique-t-elle le principe d’égalité de l’article 29 et, simultanément, ce principe constitue-t-il une valeur effectivement consacrée ? Le juge (en particulier celui des cours spéciales) n’a certes pas garanti les prévenus contre les abus d’autorité mais, simultanément, les articles 24, 34, 39 et 40 de la constitution garantissent-ils réellement, c’est-à-dire au-delà d’un nominalisme littéral, la sécurité des personnes, l’inviolabilité de la personne humaine, de la vie privée et du domicile ?
A défaut de cette double interrogation systématique qui hisse la réflexion au niveau de l’ordre juridique, il n’y a pas de « contenu » du droit digne d’examen.
Il en résulte que l’approche positiviste étroite, même corrigée par la notion d’effectivité des normes, mène à l’impasse, elle oblige à contester le droit algérien sur le terrain désigné et maîtrisé par le pouvoir. Ni la validité ni l’effectivité des règles de droit ne permettent la critique radicale du système juridique.

2. LA NECESSITE D’UNE APPROCHE PAR L’ORDRE JURIDIQUE
Il faut en élever l’examen au niveau de l’ensemble de l’ordre juridique auquel « toute norme de droit positif appartient
xvii ». La validité s’appréciera dès lors en fonction de la logique générale de l’ordre juridique qui « colore, en quelque sorte, de façon spécifique, toutes les normes qui le composentxviii ». Quant à l’effectivité, elle semble a priori aller de soi car « un ordre juridique est effectif ou bien il n’est pasxix » : même s’il est plus ou moins maître des rapports sociaux qu’il est censé régir, il demeurera effectif aussi longtemps qu’il en ordonnera quelques-unsxx.
Observons que, à l’échelle de l’ordre juridique, validité et effectivité ont longtemps divisé la théorie juridique en deux camps opposés dans lesquels cependant les positions se sont récemment nuancées.
a) Dans le camp positiviste, il y a autonomie et suprématie de la validité de l’ordre juridique car celui-ci y est présenté comme exclusivement composé de normes et n’a d’intérêt en tant que totalité que pour assurer leur hiérarchie et leur cohérence. Si on se réfère à des valeurs fondatrices, c’est pour les rapporter à la raison universelle. Hans Kelsen a produit sa théorie pure du droit à l’ombre des principes de Kant qui privilégiait, dans l’élaboration du droit, l’empire de la raison, au besoin contre la volonté formulée par le peuple, qui doit céder face au « principe du droit »
xxi. Cet universalisme isole le droit de toute considération relevant de la réalité politique. Mais il est historiquement daté, lié à la philosophie du droit occidentale du 18e siècle. Partant, un tel positivisme, en dépit de la neutralité qu’il revendique, se rattache aux valeurs du « constitutionalismexxii ». Des approches critiques du positivisme se réfèrent aujourd’hui plus expressément à ces valeurs : Jacques Chevallier rattache le normativisme de Kelsen au modèle de l’ « Etat de droit formel », dans lequel l’ordre juridique n’est qu’une organisation de pure rationalité, qu’il distingue de l’ « Etat de droit substantiel ». Face à la généralisation du modèle juridique libéral depuis la fin de la guerre froide, la notion d’Etat de droit substantiel se veut le marqueur d’une effectivité des droits et libertés. La normativité n’est rien sans « l’adhésion à un ensemble de principes et de valeurs qui bénéficieront d’une consécration juridique explicite et seront assortis de mécanismes de garantie appropriésxxiii ». Pour Muriel Rouyer, cela caractérise un « Etat qui garantit (des) procédures pénales (codification et publication du droit), mais reconnaît également et protège certains droits individuels qui englobent certaines valeurs et principes philosophiques xxiv». On n’est pas loin de la notion de « sur-validité » de M. Virally. Ce dernier estime d’ailleurs que l’ordre juridique rassemble certes les normes mais « qu’il est autre chose que leur somme et présente une réalité non-réductible à ses parties composantesxxv ». Mais le problème posé par ces approches, c’est qu’elles permettent, au mieux, d’identifier la présence ou l’absence de cette « substance » ou de ces « valeurs » dans un ordre juridique donné. Ce qui implique que le constat de leur absence ne fournit qu’une qualification négative de l’ordre juridique. Il est aisé de constater, s’agissant par exemple, du décret 92/03 et de l’ordonnance 06/01, qu’ils ne satisfont aux critères de la validité que du point de vue de la légalité formelle. On dira de l’ordre juridique algérien qu’il ne satisfait pas aux critères de l’Etat de droit substantiel. Mais il faut pouvoir aller plus loin et qualifier positivement, à partir de ce constat, l’ordre juridique algérien.
b) A l’opposé, une doctrine dite réaliste s’est référée, essentiellement en Allemagne, aux thèses de Hegel dont l’histoire universelle postulait l’incarnation de la raison dans l’esprit des « peuples historiques »
xxvi. Cette doctrine affirme « la supériorité de l’effectivité par rapport à la validité, de la réalité par rapport à la normexxvii ». Si la conception kantienne, inspirée de la révolution française, a fondé sans discontinuer les institutions de la démocratie libérale, Hegel a produit une postérité de droite et de gauchexxviii.
La prise en compte de l’ordre juridique n’opère une mutation de l’approche que si on adopte un point de vue réaliste. Celui-ci permet d’aborder l’effectuation du droit, c’est-à-dire le processus de matérialisation des règles, qui remonterait de la réalité politique jusqu’au pouvoir. Certains auteurs ont établi que le pouvoir constituant, ancré dans une société donnée et produit par des enjeux politiques spécifiques, peut seul expliciter l’ordre juridique. Georges Burdeau l’a englobé en tant qu’ « idée de droit » dans le dispositif normatif
xxix. Mais c’est surtout Carl Schmitt qui a contesté le positivisme en faisant découler la validité de la constitution « de la volonté politique existante de celui qui la donne »xxx. Il distingue la constitution au sens relatif (une loi constitutionnelle particulière) de la constitution au sens absolu qui est « la structure globale concrète de l’unité politique et de l’ordre social » d’un Etat déterminé et qui s’identifie à lui : « L’Etat est sa constitutionxxxi ». De cette façon, des notions telles que « l’unité, l’ordre (…) doivent désigner quelque chose d’étant, et non quelque chose de simplement normatifxxxii». Si l’ordre social trouve, selon Schmitt, sa « structure globale concrètexxxiii » dans la constitution, celle-ci ne pourra donner naissance qu’à un ordre juridique particularisé.
Dans cette direction, les catégories proposées par le juriste italien Santi Romano en 1917 nous paraissent plus explicites. Romano estime que l’ordre juridique est à ce point lié à l’ordre social qu’il en devient « une entité qui, dans une certaine mesure, se conduit selon les normes mais conduit surtout, un peu comme des pions sur un échiquier, les normes elles-mêmes
xxxiv ». De ce fait, celles-ci ne sont qu’ « un moyen par quoi s’affirme le pouvoir de ce moi socialxxxv ». Ou encore « l’objectivité de l’ordre juridique ne peut pas se réduire aux seules normes juridiques », « celles-ci (…) restent bien loin de l’épuiserxxxvi ». L’ordre juridique est donc l’ordre social, et c’est le produit juridique de l’ordre social que Romano définit comme le droit objectif, nécessairement particularisé et s’écartant donc d’un droit universel : « Là où il y a un Etat, il ne peut pas ne pas y avoir du même coup un ordre juridiquexxxvii».
Ce passage de l’ordre juridique à l’ordre social indique que le droit doit être explicité par une analytique concrète de la réalité politique, c’est-à-dire des rapports de pouvoir.

3. DE L’ORDRE JURIDIQUE A L’ORDRE SOCIAL :
LA RELATION DE POUVOIR STRUCTURANT LE DROIT ALGERIEN

Les approches de Louis Althusser et de Michel Foucault, qui articulent le droit sur le pouvoir, peuvent y concourir.

a - Droit et relation de pouvoir
Althusser énonce le rapport pouvoir/droit dans des termes exclusifs. Il considère que la violence est transformée par l’appareil d’Etat en pouvoir légal, par le recours au droit : « la plus grande partie de son (l’Etat) activité, écrit-il, consiste à produire du pouvoir légal, c’est-à-dire des lois, décrets et arrêtés ; l’autre partie (…) consistant à en contrôler l’application
xxxviii ». Selon lui, l’Etat, pour ne pas exercer sa violence hors du droit, « a toujours intérêt (…) à s’appuyer sur des lois » car celles-ci « sont aussi un moyen de contrôler son propre appareil répressifxxxix ». Et il est un fait que c’est une préoccupation, parmi d’autres, du pouvoir algérienxl. Mais Althusser ajoute que si tout Etat, y compris le plus despotique, s’appuie sur des lois, c’est « au besoin (…) pour les violer ou les suspendre à son gré ». Et les deux propositions ne paraissent pas se contredire : que l’Etat s’acharne à passer son pouvoir au filtre de la loi ne le dispense pas de la violer. C’est bien la constatation qu’on peut faire à propos de l’Etat algérien et l’approche d’Althusser fournit des arguments pour se distancier de la cohérence axiomatique des normes, supposée par le positivisme juridique. Elle se situe dans le cadre de la critique marxiste des doctrines juridiques libérales. Cette critique, tirée de la notion de mode de production, situe le droit au niveau des superstructures en tant qu’instance juridique définie comme « système (…) formulé en termes de normes pour permettre la réalisation d’un mode déterminé de production et d’échangesxli ». Appliquée au droit algérien, elle a, bien avant la mondialisation libérale, diagnostiqué la domination du mode de production capitaliste dans la formation sociale algériennexlii. Mais elle ne permet pas de répondre à notre questionnement sur la spécificité de l’ordre juridique algérien.
L’analytique de Michel Foucault établit, quant à elle, que la relation de pouvoir est dessinée par une pluralité de facteurs : un système de différenciations (en particulier des différentiations juridiques de statuts, des privilèges) ; un type d’objectifs (dont par exemple le maintien des privilèges) ; des modalités instrumentales (la violence, le discours, etc.) ; des formes institutionnelles (dont différentes structures juridiques) etc.
xliii. Une telle perspective fait éclater le droit en composantes que l’analyse peut séparer, associées à d’autres facteurs de la relation de pouvoir. En conséquence, elle ne l’isole pas des phénomènes sociaux comme le fait le positivisme et ne le détermine pas essentiellement par l’instance économique comme la critique marxiste du droit. Et, de plus, l’édiction des lois peut y côtoyer des pratiques para-légales (privilèges où violence instrumentale) sans que celles-ci puissent être réduites à de banales violations de la loi. D’autre part, elle pose le rapport droit-pouvoir dans des termes qui nous conviennent puisqu’elle choisit d’ « analyser les institutions à partir des relations de pouvoir et non l’inversexliv ». C’est par la relation de pouvoir que se dessine « un réseau socialxlv » aux nombreuses ramifications, parmi lesquelles une « forme » institutionnelle et des statuts et privilèges. Le droit au sens strict d’appareil normatif n’a plus un monopole d’organisation de la société. La relation de pouvoir est dotée d’une existence concrète, par la configuration d’un certain nombre de facteurs (statuts, privilèges, structures) se rapportant au droit mais aussi à la violence. Cette configuration peut se comparer à un ordre social déterminé s’accompagnant d’un ordre juridique que la norme n’épuise pas.
Dans la vision normativiste, Kelsen allait jusqu’à affirmer que « l’individu (n’appartenait) jamais à une collectivité sociale (…) par la totalité de son être » et que la société était « uniquement un système d’actes individuels déterminés et régis par l’ordre étatique »
xlvi. L’approche de Foucault nous autorise à penser le phénomène juridique comme un simple facteur, pas nécessairement cohérent formellement, par lequel le pouvoir tient les individus dans un réseau complexe. La violence, entre autres facteurs, peut y coexister avec le droit : « elle force, elle plie, elle brise », affirme Foucault ; par elle, le pouvoir « peut accumuler les mortsxlvii ».
Il est alors possible de déjouer le cercle vicieux, entretenu par le législateur algérien, d’un droit artificiellement maintenu dans une cohérence formelle et dont on ne pourrait mesurer les failles que par les écarts entre les normes ou entre celles-ci et leur application. Le pouvoir autant que l’ordre juridique ne sont pas rapportés à des modèles théoriques, ils sont définis par des variables concrètement articulées.

b - Un pouvoir direct des appareils de la violence
Une analyse approfondie de la relation de pouvoir qui détermine l’ordre juridique algérien reste à faire. On ne peut ici proposer que quelques directions. Si l’on convient que les appareils militaires se sont imposés à la société dès l’indépendance du pays, on peut considérer que les modalités et les formes de l’exercice de leur pouvoir ont connu deux périodes successives :
- Dans la première période, l’armée a progressivement élargi son emprise sur l’Etat sous le couvert du parti unique. Les constitutions de 1963 et de 1976 et, entre les deux, les institutions issues du mouvement du 19 juin 1965, ont fondé leur légitimité sur un projet social impulsé par l’Etat. Celui-ci se disait inspiré par un parti unique porteur du programme mais le FLN n’avait en fait pas d’autre fonction que de neutraliser le politique, d’en constituer un lieu vide. Par là, il ne faut pas entendre que le parti monopolisait le politique mais qu’il en était seulement désigné comme le détenteur nominal privé de toute ressource. Le parti unique ne fut en Algérie qu’une technique de préemption du politique au détriment de la société.
- La seconde période est inaugurée par la crise d’octobre 1988, provoquée par la volonté de l’appareil militaire dominant d’instaurer une nouvelle gestion du politique. L’abandon du projet social imposait de se débarrasser du parti unique et, puisqu’il n’était pas question de mettre les chefs militaires sur le devant de la scène, de simuler l’ouverture. La constitution de 1989 n’a ouvert le champ politique que parce que les appareils sécuritaires se jugeaient aptes à le contrôler (création de partis de toutes pièces, infiltration des directions, etc.). Ayant présumé de leurs forces, ils durent d’abord plonger le pays dans une décennie de violence. Mais ils y ont forgé, en sacrifiant des dizaines de milliers de vies, un appareil tentaculaire contrôlant toutes les activités et toutes les expressions. Depuis lors, les libertés et le pluralisme politique et social formels sont les instruments même de leur monopole : tout parti, toute association créée, sont soumis à leur influence. L’économie, la presse, la justice, l’administration sont tenues. Au gel de toute activité politique par le biais d’un appareil partisan a succédé l’activité débordante d’un appareil sécuritaire essaimant dans un foisonnement de structures.
Dans ce contexte, la relation de pouvoir concrètement à l’œuvre se compose de différents facteurs :
- un système de privilèges hiérarchisés reconnus aux membres de l’élite sécuritaire et les séparant du reste de la société, consacré solennellement par la charte pour la paix et la réconciliation et juridiquement par les immunités de l’ordonnance 06/01 ;
- à l’opposé, des statuts de privation de droits : la charte pour la paix et la réconciliation retire à l’ennemi islamiste « toute possibilité d’exercice d’une activité politique et ce, sous quelque couverture que ce soit » ;
- la part faite à la violence qui prend pour alibi une prétendue lutte antiterroriste, prolongée sans fin et se justifiant désormais par des enjeux mondialisés
xlviii, et le discours menaçant qui l’accompagne ;
- des institutions (organes législatifs et exécutifs et justice) entièrement soumises.
On voit donc que, d’une part, les institutions, les organes supérieurs de l’Etat et l’administration ne peuvent être saisis dans la perspective étroite de la constitution et de la loi, et que, d’autre part, il y a cette omniprésence de la violence qui polarise déjà la société dans une opposition ami-ennemi et qui est à tout propos instrumentalisée par le pouvoir pour liquider les oppositions, comme en Kabylie depuis 2001.

4. RETOUR A L’ORDRE JURIDIQUE PAR LA RELATION DE POUVOIR
Si, en théorie, les normes sont la totalité de l’ordre juridique, celui-ci renferme en fait d’autres éléments de l’ordre social, c’est-à-dire des déterminants du pouvoir. On peut en déduire que, d’une part, le droit algérien, « manipulant les normes comme des pions sur l’échiquier » selon l’image de Romano, peut mettre en œuvre les catégories du droit pénal et les déterminer de telle sorte que les infractions soient vidées de leur matérialité, y introduire des éléments de subjectivation permettant d’édicter des incriminations et des immunités pénales sélectives, etc. Il ne fait qu’imposer un ordre social donné, défini entre autres par la polarisation de la société selon une logique de guerre. Ce sont là les différenciations de statut, les privilèges que Foucault intègre à la relation de pouvoir ou les « rapports de force » que Romano inclut dans l’ordre social.

a - L’hypothèse d’une violence incorporée au droit
En théorie toujours, la violence et le droit s’excluent. Le droit, du moins, est censé légaliser la violence. Le « pouvoir légal » n’est, selon Althusser, que de la violence transformée par l’appareil de l’Etat
xlix. En langage positiviste, on parle d’application de la règle de droit par la coercition dont les moyens doivent être « eux-mêmes fondés sur une autre règle de droitl ».
Mais là se pose une question décisive : faut-il retenir cet axiome théorique contre la réalité pratique ? Nous avons vu le droit et la violence concourir au déroulement de la procédure de la cour spéciale : c’est par la combinaison du décret 92/03 et de la torture que les accusés ont été jugés. En validant la procédure, le juge a appliqué le droit avec la torture. On peut en rendre compte, à partir des définitions de M. Foucault, en affirmant que c’est une relation de pouvoir combinant le droit et la torture qui s’est exercée. Peut-on aller plus loin et affirmer que l’ordre juridique lui-même réunit la loi et les violences contre les personnes comme composantes du droit à part entière ? La question est délicate : l’ordre juridique est certes déterminé par l’ordre social. Mais si on peut avancer sans hésiter que l’ordre social algérien, avec la relation de pouvoir qui le sous-tend, inclut l’usage de la violence d’Etat, il paraît difficile d’en dire autant de l’ordre juridique : aucune loi ne prescrit la torture (ni les disparitions forcées ni encore les massacres). Faut-il se limiter à considérer que l’ordre social régit certaines relations par le droit et leur superpose un champ de la violence étranger à l’ordre juridique ? Un peu comme si le pouvoir légal, au sens d’Althusser, laissait échapper un excédent de violence étatique qui ne passerait pas par le filtre du droit ?
Le problème est qu’il s’agit de tortures massives et répétées, et de même de disparitions forcées perpétrées systématiquement par le pouvoir. C’est ce caractère massif qui en fait, par exemple, au titre du droit international, des crimes contre l’humanité
li. Au plan du droit interne, cette intensité des exactions se traduit au mieux par la dénaturation du droit. Au pire, elle rejaillit sur sa validité et son effectivité dans des proportions telles qu’on doit considérer la violence comme partie prenante de l’ordre juridique, sauf à supposer une dualité du pouvoir – qui aurait une face légale visible et une face invisible violente – renvoyant au concept de « cabinet noir » qui fait florès. Ferdinando Imposimato, ancien député et magistrat italien, cite les conclusions de la commission parlementaire qui a enquêté en 1981 sur la loge P2 et qui a analysé la structure du pouvoir comme « composée de deux pyramides symétriques, l’une inférieure, que l’on connaît, et l’autre, supérieure, dont on ignore tout – elle est le pouvoir secret, constitué de ceux-là mêmes qui gèrent le pouvoir en dehors des lieux institutionnels, mais aussi par le biais des institutionslii ». Cette réalité, bien rarement affirmée avec une telle netteté, est soupçonnée aujourd’hui dans les régimes réputés les plus démocratiques : la lutte antiterroriste à travers le monde ressemble tellement à une mystification. Mais il nous semble que ce qui est spécifique à un pays comme l’Algérie, c’est que la figure d’un Etat impersonnel, donnant le change en tant que « tiers impartial », n’a pas l’autonomie et la crédibilité minimales requises pour qu’on postule une telle dualité. Notre option d’un ordre juridique incluant la violence brutale et nue se conforme de ce fait plutôt à l’injonction de Jacques Derrida : « penser l’homogénéité du droit et de la violence, la violence comme exercice du droit et le droit comme exercice de la violenceliii ». Elle va plus loin que la thèse de Santi Romano, même si ce dernier n’exclut de l’ordre juridique que ce qu’il nomme « l’arbitraire ou la force matérielle non ordonnéeliv ». Et la violence dont nous parlons est bel et bien ordonnée, aux deux sens possibles du terme.

b- La confirmation de l’hypothèse par le critère de l’ « abus d’autorité »
On peut tenter d’administrer la preuve d’une violence portée par l’ordre juridique en analysant les éléments de droit présentés aux points a et b dans la perspective de l’abus d’autorité. Lorsqu’on considère les dispositions régissant l’arrestation et la détention et celles relatives à la perquisition, on observe qu’elles édictent des garanties sanctionnées pénalement en tant qu’abus d’autorité et atteintes à la liberté individuelle, celles-ci étant en fait à ranger, comme nous l’avons relevé, sous l’abus d’autorité au sens générique de l’expression. L’abus d’autorité, comme cas de dénaturation de l’exercice du pouvoir et atteinte à des libertés fondamentales, présuppose que les garanties procédurales énoncées ont une substance de validité puisée dans des principes constitutionnels fondamentaux (art. 24, 34, 39 et 40 de la constitution). L’abus d’autorité est une modalité de l’abus de droit tiré d’une conception forte du droit associée à sa fonction sociale. Dans une représentation formelle de l’exercice des droits par leur titulaire, « tant que l’on reste dans le cadre de son droit, l’on peut nuire à autrui sans se voir reprocher un abus
lv », l’exercice d’un droit excluant en lui-même toute idée d’abus. Mais on a peu à peu considéré qu’ « à chaque droit est dévolue une certaine fonction » et que, en conséquence, constitue un abus non seulement le fait d’exercer un droit en vue de nuire mais aussi le fait de l’exercer « à des fins autres que celles en vue desquelles il a été reconnulvi ».
L’abus de droit, conçu pour contrôler l’exercice des droits subjectifs, a été appliqué par des juristes français à l’administration pour contrôler la validité/légitimité de ses actes là même où formellement « elle n’a pu commettre d’illégalité proprement dite
lvii ». Mais c’est la notion de détournement de pouvoir qui en est l’équivalent consacré en droit public. Cette notion se fonde sur ce que « l’administration, à la différence du particulier qui choisit librement le but de ses actes (…), ne doit jamais exercer ses compétences qu’en vue de la satisfaction de l’intérêt publiclviii », à défaut de quoi on considérera qu’ « elle a détourné de son but le pouvoir qu’elle a exercélix ». Dans toutes ces notions (abus de droit et d’autorité, détournement de pouvoir), le "supplément d’âme" qui est requis de l’acte légal autorise, selon la formule de Maurice Hauriou, un « contrôle de moralité ».
Bien entendu, dans les articles du code de procédure pénale algérien relatives à l’arrestation, à la détention et à la perquisition, les dispositions réglementant l’action des autorités de police sont si précises que l’abus d’autorité se constitue par le simple défaut de formalités objectives (l’absence de mandat d’arrêt ou d’autorisation écrite pour la perquisition) mais ce sont des formalités substantielles, renvoyant à une valeur réputée essentielle à l’ordre juridique : la défense des libertés par un juge indépendant. Leur violation ne peut donc être réduite à un banal vice de forme.
Observons d’abord que l’article 135 définit comme abus d’autorité le fait pour un agent de l’autorité de s’introduire dans un domicile illégalement en arguant de sa qualité alors que l’article 291 qualifie d’atteinte à la liberté l’enlèvement, l’arrestation, la détention et la séquestration illégale commises par toute personne quelle qu’elle soit, le port de l’uniforme ou de l’insigne étant une circonstance aggravante (art. 292). Il différencie enlèvement et arrestation, détention et séquestration mais les punit de la même peine. La torture exercée contre la personne arrêtée ou enlevée est une autre circonstance aggravante (art. 293 et 293 bis). Elle n’est une infraction pénale que dans ce cas de figure : le code pénal ne la réprime pas dans le cadre d’une détention régulière. Mais nous avons bien l’idée centrale d’une dénaturation de la fonction d’autorité, accompagnée dans les deux cas d’atteintes aux libertés. Et cette idée est confirmée par le fait qu’on ait cru devoir recourir à une législation d’exception pour déroger à certaines de ces dispositions. L’article 22 du décret 92/03 à porté la durée maximale de la garde à vue à 12 jours et son article 21 a écarté l’application des articles 45 et 47 à propos de la perquisition. Quoiqu’on puisse dire par ailleurs de la notion de droit d’exception, on a affaire à la fiction d’un ordre juridique qui fonctionne à la validité/légitimité, selon la terminologie de M. Virally, ou encore en tant qu’Etat de droit « substantiel » tel que le définit J. Chevallier.
Le fait est, cependant, que les services de sécurité ont massivement enlevé et fait disparaître, torturé et exécuté, arrêté et détenu illégalement, travesti des séquestrations de plusieurs semaines en gardes à vue, que ce soit avec ou sans la collaboration de l’appareil judiciaire, certainement sur ordre de leur hiérarchie ; que cela s’est effectué selon une organisation et un mode opératoire systématiquement étrangers aux dispositions légales, y compris celles édictées par le droit d’exception. L’ampleur de ces pratiques
lx est telle qu’on ne peut les analyser en termes d’ineffectivité du droit, comme si l’autorité judiciaire n’avait pas su réguler ces actes ou avait omis de sanctionner des abus d’autorité.
Si l’abus d’autorité est la dénaturation de l’exercice d’une fonction défini formellement mais aussi à l’aide d’un substrat de légitimité, on ne conçoit pas qu’il puisse être généralisé. Abus d’autorité des services de sécurité ? Oui, mais alors pourquoi pas également déni de justice des tribunaux qui n’ont jamais poursuivi ? En réalité, c’est la relation de pouvoir que nous avons analysée qui se trouve corroborée, celle qui définit un ordre social incluant des éléments politiques qu’une conception réaliste du droit ne peut ignorer : toute-puissance des services de sécurité et soumission de l’appareil judiciaire.
Dans un tel contexte, c’est l’improbable velléité d’un juge indocile de poursuivre un abus d’autorité au sens prétendu par la loi qui devient un abus intolérable. C’est que nous avons là des pratiques à ce point généralisées qu’ils constituent une négation de la fonction assignée expressément aux services de sécurité et donc du critère par lequel s’apprécie l’abus. La fonction étant de fait redéfinie, il n’y a plus d’abus qui tienne et l’attitude du juge l’atteste : il n’a que trop régulièrement avalisé l’arbitraire. Et comme ce sont deux fondements essentiels de la norme expresse qui font défaut, la fonction telle qu’elle la suppose et le contrôle judiciaire qu’elle en prescrit, il n’est plus possible de raisonner en termes d’ineffectivité.
Il faut changer de boussole : le droit est ailleurs. D’autant que l’immunité attribuée par l’ordonnance 06/01 aux services de sécurité pour ce qui fut formellement, entre autres, des abus d’autorité, est venue mettre le droit formel en adéquation avec l’ordre social. Et, pour faire bonne mesure, l’article 46 de cette ordonnance, en punissant quiconque, par ces écrits ou déclarations, nuirait à l’honorabilité des membres de ces services, substitue à leurs abus d’autorité une sorte d’abus de liberté d’expression qui trahit l’infirmité de l’ensemble des libertés.
Car si la violence devient bel et bien consubstantielle au droit
lxi, c’est en raison de cette circonstance capitale qu’elle ne se limite pas à des pratiques. Elle peut être portée par des normes, non pas explicitement prescrite mais fortement suggérée en creux : lorsque l’ordonnance 06/01 immunise les services de sécurité contre toute poursuite pour les violences qu’ils ont commises, elle réunit droit et violences sur les personnes, à divers titres : elle justifie celles-ci par celui-là ; elle valide, en les légalisant, des actions criminelles : leur refusant leur qualification, elle en fait des comportements de droit ; et elle le fait pour consolider un statut juridique, conférant à l’élite sécuritaire un privilège d’immunité. Par là, relation de pouvoir et ordre juridique se rejoignent indéniablement : l’abus d’autorité se pervertit en abus des libertés et la violence d’Etat est consacrée par le droit.

5. ORDRE JURIDIQUE ET CRIMINALITE D’ETAT
On doit enfin rendre compte de cette possibilité qu’à le pouvoir de prescrire des règles de droit, dans un cadre se référant au « constitutionnalisme » le plus scrupuleux, tout en commettant des actes qui peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité. Le système normé par la loi et la criminalité d’Etat peuvent être les deux faces d’un même ordre juridique même si, formellement, la notion de crime contre l’humanité n’a pas d’équivalent dans le droit interne algérien : le corpus de règles qui fait plus généralement de certaines atteintes aux droits de l’homme des crimes (stipulations conventionnelles ou coutumes et règles de droit international) provient d’un autre ordre normatif.
Ce dernier point doit être explicité pour rejeter des confusions fréquentes. Certes, l’Algérie a ratifié plusieurs traités, en particulier le pacte sur les droits civils et politiques de 1966, dont l’article 9 fait des disparitions forcées un crime, et la convention de 1984 sur la torture. De même, il est un fait que « le principe de légalité ne s’oppose pas à ce qu’une infraction soit définie dans un traité ou un accord international
lxii ». Mais « le doit répressif est intimement rattaché à la notion de souveraineté de chaque Etat » et le traité « ne peut prévoir les sanctions, (il) exige, par nature, des mesures législatives complémentaires au sein de chaque Etatlxiii ». Le droit pénal punit les crimes au nom de l’ordre public dont l’Etat est le garant qui ne peut donc se dessaisir de ses prérogatives. Mais le problème ne se limite pas à cela. S’agissant de crimes impliquant les appareils du pouvoir, que le droit international qualifie de crimes contre l’humanité, le droit de l’Etat ne peut même les envisager sans se disqualifier. A titre d’exemple, le droit pénal français n’a introduit le crime contre l’humanité qu’en s’assurant que toute poursuite à ce titre ne rejaillisse pas sur l’Etat françaislxiv.
La notion de crime contre l’humanité est porteuse de la négation potentielle, cette fois explicite, de l’ordre juridique interne. Plusieurs dispositions de la constitution algérienne de 1996 ont pour fonction de faire barrage à toute identification de cette catégorie de crimes au moyen du droit positif : l’article 24 qui affirme que « l’Etat est responsable de la sécurité des personnes et des biens » ; l’article 34 qui « garantit l’inviolabilité de la personne humaine » ; les articles 39 et 40 qui affirment « l’inviolabilité » de « la vie privée et de l’honneur » et du domicile. Voilà pourquoi les conventions ne tirent de leur ratification aucune effectivité, leur intégration par des lois nationales au droit interne étant un non-sens. Nous avons vu que ces articles constitutionnels n’avaient, en tant que valeurs proclamées, aucun contenu et que les règles que le législateur édicte dans leur cadre n’avaient que cette légalité que Virally qualifie de « sous-validité » et dont l’approche par la relation de pouvoir a montré l’inexistence de fait. Ce qui veut dire que, quant au fond, l’ensemble de ces garanties sont nulles. Plus exactement, les atteintes auxquelles elles se réfèrent se définissent dans la loi, selon des critères matériels, intentionnels et d’organisation donnés, soit comme des crimes « terroristes », soit comme des actes de « défense de la République » inattaquables. Cette dernière qualification ne peut se défendre qu’au prix d’une interprétation controuvée de l’article 25 de la constitution confiant à l’armée nationale populaire « la sauvegarde de l’indépendance nationale », « la défense de la souveraineté nationale » et « la défense de l’unité et de l’intégrité territoriale », interprétation qui ne tire sa justification que de l’aveu d’un droit surdéterminé par l’ordre social
lxv.
Nous n’en conclurons pas moins, si extravagant que cela soit au regard du positivisme, que l’égale appartenance à l’ordre juridique d’une criminalité d’Etat et d’un appareil normatif qui s’efforce d’en nier l’existence s’énonce simplement dès lors qu’on peut la rapporter à une analytique du concret. Il suffit de s’affranchir d’une théorie qui a pour effet de nier des pans entiers de réalité. C’est des matériaux divers du concret (statuts, privilèges et immunités des services de sécurité, structures institutionnelles assurant la prééminence de l’appareil militaire, discours de guerre, violence instrumentale multiforme) qu’il faut partir pour déduire l’ordre juridique qui peut résulter de leur combinaison. Ce qu’on s’expose à y perdre en orthodoxie théorique, on le gagne en densité du réel.
La torture, les disparitions forcées ou les exécutions extra-judiciaires commises en Algérie sont des crimes que la justice et la morale réprouvent. Mais dans le droit positif algérien, qui détermine seul les effets de droit qui en découlent, ce sont des actes de défense de la République. Cependant, si l’approche par le droit positif doit se satisfaire d’un tel constat, en recourant systématiquement à une cohérence normative produite par la « sous-validité », l’analyse faite à partir de l’ordre juridique peut en dire plus : l’ordre juridique algérien est l’institutionnalisation d’un ordre social dans lequel la relation de pouvoir autorise (mieux : implique) de multiples violences exercées contre la personne humaine que le droit positif a pour fonction de légaliser. Et il n’y arrive, quand des actes sont particulièrement rétifs à la légalisation, que par des contorsions telles que celles relevées dans l’article 45 de l’ordonnance 06/01. Ce "trop plein" d’actes n’est ramené à la détermination de la norme, selon l’exigence kelsénienne, que parce que la loi est subsumée sous un ordre juridique spécifique. Partant, nous soutiendrons contre toutes les orthodoxies possibles que la violence, brute, sanglante et banalisée, est partie intégrante du droit algérien.
Telles sont quelques-unes des indispensables directions que doit prendre la réflexion sur le droit en Algérie. A rebours d’une telle méthode, le champ juridique algérien, dont l’unique doxa est la doctrine positiviste, ne peut théoriser le droit qu’en persistant à ignorer sa face complémentaire et indissociable de privilèges et de violence extrême. Celle-ci ne peut s’expliquer ni par le recours à la notion de droit d’exception (sauf à supposer que l’ordre juridique dans son ensemble est dans une situation d’exception permanente) ni par l’invocation de « parenthèses
lxvi » entre lesquelles le droit se suspendrait par intermittences, c’est-à-dire à chaque fois que cela arrange le juriste positiviste. Toute théorie juridique, toute interprétation du droit, qui, appliquées à l’Algérie, ignorent la relation de pouvoir structurant l’ordre juridique, doit avouer sa déconnexion de la pratique.
Notes:
i Le primat de la guerre sur le droit, Réflexion sur la charte pour la paix et la réconciliation : http://elhadichalabi.free.fr/
ii Les violations des droits de l’homme en Algérie, 32e session du TPP, Paris, 5-8 novembre 2004. Voir le site www.algeria-watch.org.
iii Pierre Noreau, Comment la législation est-elle possible ? Objectivation et subjectivation du lien social, Revue de droit de McGill, 2001, Vol. 47, p. 206.
iv H. Kelsen lui-même considère que « l’efficacité est une condition de validité des normes juridiques en tant qu’il faut qu’elle s’ajoute à leur édiction pour qu’elles ne perdent pas leur validité » (Théorie pure du droit, Dalloz, 1962, p. 19).
v M. Miaille, Une introduction critique au droit, FM Fondations, 1976, p. 321.
vi Il faut compter aussi les « attentats à la liberté » de l’article 107 CP qui peuvent être retenus contre tout fonctionnaire qui « a ordonné ou commis un acte arbitraire attentatoire à la liberté individuelle ou aux droits civiques d’un ou plusieurs citoyens ».
vii En vertu respectivement de la délibération n° 92-11 du HCE en date du 14 avril 1992 et de l’article 124 de la constitution de 1996.
viii H. Kelsen, Théorie pure du droit, Op. Cit., p. 275. Et, en bonne logique positiviste, c’est l’interprétation proposée par les organes désignés à cette fin qui fait autorité : juge constitutionnel ou ordinaire.
ix R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, 1920, in Le droit, textes choisis et présentés par F. Rouvillois, GF Flammarion, 1999, p. 137 (Souligné dans le texte).
xM. Miaille, Une introduction critique au droit, FM Fondations, 1976, p. 322.
xi « La validité de la norme posée le plus récemment annule la validité de la norme posée plus anciennement et qui la contredit, ceci en vertu du principe lex posterior derogat priori ».( H. Kelsen, Théorie pure du droit, Op.Cit., p. 275).
xii Michel Virally, La pensée juridique, Panthéon-Assas, LGDJ, 1998, p. 146.
xiii Ibid.
xiv Encyclopédie Dalloz, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Tome 1, « Abus de droit », 2004, p. 1.
xv Michel Virally, La pensée juridique, Op. Cit., p. 146.
xvi Pierre Noreau, Comment la législation est-elle possible ? Op.Cit., p. 203.
xvii Michel Virally, La pensée juridique, Op. Cit., p. 138.
xviii Ibid., p. 139.
xix Ibid., p. 140 (Souligné par nous).
xx Ibid., p. 141.
xxi « Il s’agit ici d’une méthode sûre, indiquée par la raison, qui ne se préoccupe pas de savoir ce que le peuple choisira […] mais ce qu’il doit choisir absolument, que cela lui soit avantageux ou non […] ; en d’autres termes, il s’agit de savoir ce que le peuple doit décider selon le principe du droit, lorsqu’il est dans la nécessité de choisir ». (Emmanuel Kant, La raison pratique, textes choisis, PUF, 1997, p. 181, souligné dans le texte).
xxii Lequel s’appuie sur l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ».
xxiii J. Chevallier, L’Etat de droit, Montchrestien, 1994, p. 108.
xxiv Muriel Rouyer, La politique par le droit, Raisons politiques, n° 9, février 2003, pp. 73-74.
xxv Op. Cit., p. 138.
xxvi Hegel estime, dans ses Principes de la philosophie du droit, que, « pour avoir validité dans un Etat », le droit « reçoit un élément positif par le caractère national d’un peuple, le niveau de son développement historique et l’accord de tous les rapports qui relèvent de la nécessité naturelle (§ 3). Il précise : « Chaque peuple a […] la constitution qui lui est adéquate et qui lui convient » (§ 274).
xxvii Olivier Beaud, préface à C. Schmitt, Théorie de la constitution, PUF, Léviathan, p. 85.
xxviii Dans la doctrine juridique allemande, alors que Lorenz Von Stein a impulsé, avant Schmitt, le courant hégélien conservateur en défendant « l’accord substantiel entre le droit et l’esprit du peuple », Ferdinand Lassalle, hégélien de gauche, a soutenu que ce sont « les rapports réels de force qui existent dans une société donnée » (lutte des classes) qui déterminent la constitution de l’Etat (Cité par Olivier Beaud, préface à C. Schmitt, Théorie de la constitution, PUF, Léviathan, p. 78).
xxix « Le pouvoir constituant est tributaire d’une idée de droit qu’il exprime et qui le légitime, il n’existe donc pas un pouvoir constituant abstrait valable quelle que soit la société considérée. Chaque idée de droit porte un pouvoir constituant qui ne vaut que par rapport à elle ». (Manuel de droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 1985, p. 85).
xxx Carl Schmitt, Théorie de la constitution, PUF, Léviathan, p. 154.
xxxi Ibid., p. 132.
xxxii Ibid., p. 133 (Souligné par nous).
xxxiii Ibid., p. 132.
xxxiv Santi Romano, L’Ordre juridique, Dalloz, 1975, p. 7.
xxxv Ibid., p. 13.
xxxvi Ibid.
xxxvii Ibid., p. 31.
xxxviii L. Althusser, Marx dans ses limites, in Ecrits philosophiques et politiques, T. 1, Stock/Imec, 1994, p. 465.
xxxix Ibid.
xl Le général Nezzar l’exprime à merveille quand il déclare : « On ne donne pas une arme à un policier comme cela. On sait qu’un Etat est répressif dans le cadre de l’Etat de droit et dans le cadre des règles » (Le procès de la sale guerre. Algérie : Le général-major Khaled Nezzar contre le lieutenant Habib Souaïdia, La Découverte, 2002, p. 71). De même, à propos de la légalisation des milices, écrit-il dans ses mémoires : « Pour que cette révolte contre le terrorisme ne déborde pas, l’Etat décide donc d’encadrer le mouvement en intégrant les citoyens menacés dans leur chair et leurs biens dans les corps constitués »( Algérie, échec à une régression programmée, Publisud, 2001, p. 190).
xli M. Miaille, Une introduction critique au droit, Op. Cit., p. 109.
xlii Ibid., p. 234 et s.
xliii M. Foucault, Le pouvoir, comment s’exerce-t-il ? in Dreyfus et Rabinow, Michel Foucault, un parcours philosophique, Gallimard, 1984, p. 316 et 317.
xliv Ibid., p. 316.
xlv Ibid., p. 318.
xlvi H. Kelsen, La démocratie. Sa nature. Sa valeur, 1932, in La démocratie, textes choisis par B. Bernardi, GF Flammarion, p. 97. Et, comme Kelsen identifie l’Etat au droit, ordre étatique est chez lui synonyme d’ordre juridique.
xlvii M. Foucault, Le pouvoir, comment s’exerce-t-il ? in Dreyfus et Rabinow, Op. Cit., p. 313.
xlviii Après le GIA des années 1990, le GSPC aurait quitté son sanctuaire kabyle pour menacer le sud du pays et les pays limitrophes. Depuis que les Etats-Unis ont déclaré le Sahel zone stratégique, après le 11 septembre, les « montagnards » du GSPC se sont soudain transformés en « chameliers », avant de se proclamer « branche d’El Qaéda » en février 2007.
xlix L. Althusser, Marx dans ses limites, Op. Cit., p. 465.
l R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, 1920, in Le droit, textes choisis et présentés par F. Rouvillois, Op. Cit., p. 138.
li Article 7 du statut de Rome relatif à la cour pénale internationale.
lii F. Imposimato, préface à H. Souaïdia, La sale guerre, La Découverte, 2001.
liii Force de loi, Galilée, 1994, p. 86.
liv Santi Romano, Op. Cit., p. 18.
lv Philippe Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2005, p. 397.
lvi Ibid., p. 398.
lvii A. de Laubadère, Traité de droit administratif, T. 1, 8e édition, LGDJ, 1980, p. 267.
lviii J. Rivero, Droit administratif, 8e édition, Dalloz, 1977, p. 250.
lix R. Chapus, Droit administratif général, T. 1, 5e édition, 1990, p. 718.
lx Les témoignages de centaines de victimes de la torture ont été recueillis, les exécutions extra-judiciaires se sont comptées par milliers et le nombre des disparus (sans doute assassinés) est d’au moins 15.000.
lxi A défaut d’une telle approche, on se bornera à décrire les règles du droit algérien qui interdisent le recours à la torture, en n’en évoquant l’usage concret en Algérie que … par la France pendant la guerre de libération nationale (Mohamed Merouane, La situation de la personne suspecte durant l’enquête policière, Revue Algérienne de Sciences juridiques, économiques et politiques, n° 1, 2001, p. 127 et s.). De même, on traitera des dispositions permettant de prononcer la nullité de la procédure sans évoquer les multiples procédures irrégulières qui furent validées par les cours spéciales (Ahmed Chafai, La nullité en procédure pénale, Ibid., p. 107).
lxii F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, 2003, p. 184.
lxiii Encyclopédie Dalloz, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Tome 5, février 2004, p. 13.
lxiv Avant la réforme de 1994 introduisant le crime contre l’humanité dans le code pénal français, la jurisprudence de la cour de cassation a pris soin d’en limiter le champ d’application aux « Etats européens de l’Axe » pendant la seconde guerre mondiale (Arrêts Touvier de 1975 et Barbie de 1985). Elle en a refusé l’invocation contre l’Etat français au titre des guerres d’Indochine (Arrêt Boudarel de 1993) et d’Algérie (Arrêt ECPB de 2003 à propos d’Aussaresses). Bien entendu, la réforme de 1994 n’est applicable qu’aux actes postérieurs à son entrée en vigueur.
lxv Car l’article 25 peut être interprété de telle sorte qu’il prime les dispositions constitutionnelles garantissant les droits fondamentaux, aux fins de réfuter toute violation de la constitution. La charte « pour la paix et la conciliation », par son hymne aux « artisans de la sauvegarde de la République », s’y réfère implicitement. On retrouve à ce niveau la notion d’ordre constitutionnel prééminent par rapport à la constitution écrite tel que l’a défini Carl Schmitt (équivalent de la notion de « superlégalité constitutionnelle » de Maurice Hauriou).
lxvi La parenthèse des pouvoirs publics constitutionnels de 1992 à 1998 est le titre d’un ouvrage de Mohamed Boussoumah (Alger, 2005, Office des Publications Universitaires). La thèse de l’auteur est que l’Algérie a connu dans cette période une phase « d’aconstitutionnalité » avant de revenir au constitutionnalisme. Or, cette « parenthèse » fut la période la plus édifiante sur ce qu’est réellement le droit en général en Algérie.











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