mardi 5 mars 2024

SÉPARER LA CAUSE SAHRAOUIE DE LA GUÉGUERRE DES SÉCESSIONNISMES ALGÉRO-MAROCAINE

L'inauguration à Alger le 2 mars dernier de la représentation officielle de la "République rifaine"

 

Khaled Satour

En autorisant l’ouverture samedi dernier d’une représentation à Alger de la « République rifaine », l’Algérie vient de mettre à mort sa politique étrangère après l’avoir soumise à une lente agonie. Elle vient d’entériner la fin d’une politique fondée depuis l’indépendance sur le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États pour la remplacer par une politique des coups-tordus qu’elle réservait jusque-là à un usage interne.

Cela se fait d’abord au détriment de l’une des causes anticoloniales les plus emblématiques du Maghreb, en l’occurrence le combat mené dans les années 1920 par Abdelkrim El Khattabi qui est revendiqué ici par ce « Parti national rifain » sans que la légitimité de l’héritage soit prouvée.

L’histoire du mouvement national marocain a certes ses complexités qui n’ont rien à envier à celles de son homologue algérien. Mais il appartient aux Marocains de les assumer et de les mettre à jour.

L’émergence d’un sentiment d’appartenance nationale s’identifiant au trône fut tardive. Il ne s’est affirmé que dans les années 1950 sous le protectorat français, alors que le sultanat avait encore des traits patrimoniaux. De sorte que le combat contre les colonialismes français et espagnol a été longtemps l’apanage des tribus du bled siba (réfractaires au sultan) dont l’émir Abdelkrim El Khattabi fut le héros emblématique.

La résistance qu’il a menée dans le Rif a fini écrasée en 1926 sous les bombes et les armes chimiques de Franco et de Pétain, avec l’assentiment et l’appui du sultan, au prix du massacre de dizaines de milliers de civils. Le 26 juillet 1926, sous l’Arc de Triomphe à Paris, Moulay Youssef, entouré d’Édouard Herriot, de Pétain et du dictateur espagnol Primo de Rivera, fêtait cette « victoire » comme la sienne[1].

Il y eut ensuite plusieurs épisodes de répression des populations rifaines dont le plus terrible fut mené à la fin des années 1950 sur ordre de l’héritier au trône, le futur Hassan 2. La répression devait se renouveler en 1984 puis en 2019 avec une moindre intensité. Mais la question rifaine demeure une affaire intérieure au royaume à laquelle l’Algérie n’a le droit de se mêler à aucun titre. Le plus élémentaire respect dû au peuple marocain, sinon à son régime, le commande.

Cette mascarade de l’ouverture d’une représentation du « peuple rifain » à Alger se fait ensuite et surtout au détriment de la cause sahraouie, dont la légitimité est en revanche incontestable mais que l’Algérie soumet bien malheureusement désormais à tous les amalgames. En se pliant au jeu des manipulations du palais marocain, le gouvernement algérien vient en effet de ruiner la crédibilité de son soutien au mouvement de libération sahraoui.

Celui-ci est porteur d’une question de décolonisation que la communauté internationale s’avère incapable de résoudre depuis 50 ans.

Le Royaume marocain revendique le territoire au nom de « droits historiques » que la cour internationale de justice lui a contestés en 1975. Comme l’écrit l’historien Pierre Vermeren, avant le protectorat français instauré en 1912, le Maroc était « un empire militaro-théocratique aux marges mouvantes, multiethnique et multiconfessionnel », « la plus grande partie du pays, le grand arc montagneux qui ceinture le Maroc central (…), ainsi que les confins de l’Algérie française et du Sahara au sud, n’était soumise à l’allégeance et au tribut fiscal qu’au terme de razzias militaires toujours à recommencer»[2]. C’est donc en envahisseur qu’il se comportait et qu’il était constamment combattu.

Le choix clair fait par les Sahraouis en faveur de l’indépendance avait été exprimé sans équivoque lors du déplacement au Sahara occidental de la mission de l’ONU en mai-juin 1975 : « Les membres de la mission découvrent l’audience réelle du Front Polisario et la volonté d’indépendance de la population »[3].

Mais le 6 novembre 1975, quelques jours après le dépôt du rapport de la mission, le roi du Maroc lançait la marche verte suivie dès le 27 novembre par une attaque de l’infanterie et de l’aviation dont les bombardements au napalm et au phosphore blanc semaient la mort et forçaient des dizaines de milliers de Sahraouis à l’exode.

Il faudra donc prendre soin d’établir une séparation nette entre la guéguerre des sécessionnismes que les régimes algérien et marocain se livrent avec une égale inconséquence par mouvements fantoches interposés, et la cause sahraouie dont l’authenticité ne doit rien au soutien algérien et qui saura trouver seule la force de vaincre le silence concerté dans lequel on tente de l’ensevelir.



[1] Dans une allocution auparavant prononcée à Paris le 14 juillet 1926, il célébrait « la victoire écrasante des armées françaises et de nos troupes, et qui ont mis un terme à la rébellion qui menaçait nos deux pays, et rétabli la sécurité et la paix à l’empire chérifien ».

[2] Histoire du Maroc depuis l’indépendance, 5e édition, Paris, La Découverte, 2016, p. 7.

[3] Claude Bontems, La guerre du Sahara occidental, Presses Universitaires de France, Paris, 1984, pp. 116-117. L’auteur ajoute que dans son rapport, la mission a indiqué que «la population ou pour le moins la quasi-unanimité des personnes qu’elle a rencontrées, s’est prononcée catégoriquement  en faveur de l’indépendance et contre les revendications du Maroc et de la Mauritanie» (p. 117).

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