jeudi 31 octobre 2024

EN TOUTE BONNE CONSCIENCE, LA DUPLICITÉ DE LA SOCIÉTÉ MAROCAINE


Khaled Satour

Il y a dans l’actuelle visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc matière à réfléchir sur les nouvelles alliances et compromissions colonialistes que la tentative de liquidation de la cause palestinienne et d’élimination physique du peuple palestinien mettent singulièrement en lumière depuis le 7 octobre.

Macron a assuré aux parlementaires marocains que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine » et que c’était là « la position par laquelle la France accompagnera le Maroc auprès des instances internationales ». Il confirmait ainsi que la France s’affranchissait sans scrupules ni remords des résolutions des Nations-Unies qui voient dans la question sahraouie un problème de décolonisation que seule la mise en œuvre du droit à l’autodétermination peut résoudre. Et, pour que son reniement de la légalité internationale soit total, il a ajouté que les entreprises françaises accompagneraient de leurs investissements « le développement de ce territoire ».

Ces engagements ont été annoncés par Macron dans un climat de ferveur auquel il avait cru bon d’associer un impressionnant aréopage de personnalités françaises soutenant inconditionnellement Israël et ses crimes de masse qu’il a tenu à convier à ce voyage et qui ont été reçues avec un déploiement d’égards rarement observé par la famille royale au grand complet et le ban et l’arrière-ban de ses vassaux.

Je voudrais donc dire deux mots de ce malaise que je ressentais jusque-là de manière indéfinissable et que ce spectacle m'a permis d'identifier. Le sentiment de triomphe que suscitent ces engagements français chez les Marocains, toutes classes confondues et avec une unanimité qu’aucune opinion dissidente ne semble démentir, m’amène à supposer que les manifestations pro-palestiniennes que le régime monarchique autorise depuis un an ne sont rien d’autre qu’une monnaie d’échange, le prix qu’il paie avec un cynisme consommé pour garantir simultanément la pérennité de la normalisation avec Israël et celle du processus colonial engagé au Sahara occidental.

Et si c’est le cas, quel sens accorder au soutien populaire marocain à la cause palestinienne ? Est-il seulement possible que cela soit autre chose qu’un faux-semblant grâce auquel la société marocaine avalise, en se donnant la meilleure conscience du monde, le pacte colonial quasi-faustien qu’elle a conclu avec le Makhzen et à travers lui la France et Israël notamment ?

J’ai du mal à croire en effet que cette société soit atteinte d’une sorte d’hémiplégie anticolonialiste qui, tout en épargnant sa capacité de jugement sur la Palestine, l’empêcherait de se rendre compte qu’elle est engagée depuis 50 ans au Sahara occidental sur les pas du sionisme criminel et fanatique qu’elle prend si facilement à partie.

Quelque part, sur la grille de lecture de leur rapport au monde qu’elles doivent bien interroger de temps en temps, les couches politisées de la société marocaine ne peuvent manquer de voir s’inscrire les lettres capitales de leur duplicité. Chaque manifestation pour Gaza qu’elles organisent ne fait que les y enfoncer un peu plus.


 

dimanche 13 octobre 2024

L’OBSESSION DE LA TRAHISON


 

Khaled Satour
 
On finit par se lasser de tous ces textes qui prennent à partie Kamel Daoud pour sa « trahison » ou pour le mépris qu’il manifesterait à l’endroit de « son peuple ».
 
L’écrivain a-t-il pris un quelconque engagement de loyauté qu’il aurait renié ? Et vis-à-vis de qui ? Pour que le peuple algérien soit « son » peuple, il aurait fallu qu’il lui ait un jour fait allégeance, qu’il se soit cru représenté en sa personne ou identifié à ses écrits.
 
La trahison ne pousse que sur un terreau de dignité. Ne trahit pas qui veut. Il faut avoir été élevé à un rang de considération qu’on a longtemps mérité et honoré pour gagner le droit de déchoir, en cas de manquement, et d’être publiquement dépouillé de tout le prestige qu’on avait acquis. Il n’y a pas de trahison sans préjudice grave causé à sa victime mais aussi à son auteur.
 
Ceux qui situent leurs reproches à Daoud sur ce registre doublent l’insulte qu’ils lui prêtent de leur sienne propre en supposant qu’un peuple dont l’écrasante majorité n’a jamais entendu parler de lui puisse se sentir offensé par ses élucubrations.
 
Ce sont des milieux microscopiques de la société algérienne, soudés par une susceptibilité nationaliste maladive, marque de faiblesse brandie en guise de fermeté, qui dressent à leur insu un piédestal à un écrivain médiocre, qui le hissent au rang d’un anti-héros influent capable de nuire par sa parole à toute une nation. Et, pour avoir quelque chance d’y arriver, il était fatal qu’ils versent dans une médiocrité au moins égale. 
 
Mais comment accorder du crédit à leur insatiable indignation ? Comment voir autre chose que de la paranoïa dans leur manie de diagnostiquer la trahison partout ? Certains d’entre eux n’ont-ils pas soupçonné un complot contre l’Algérie dans le cafouillage que fut la publication des résultats de la présidentielle par l’ANIE ?
 
Kamel Daoud fait partie de ces milliers de paumés qui ont de tout temps cédé aux sirènes de la France coloniale ou post-coloniale dans laquelle ils ont vu une opportunité d’assouvir des désirs indicibles et infantiles. Qu’il y ait perdu son âme, à supposer qu’il en ait eu une, c’est son affaire qui ne nuit en rien à l’Algérie ni, encore moins, à son peuple.
 
S’il y a de la duplicité dans cette affaire, c’est chez ceux qui dilapident les réserves faméliques de leur rhétorique contre lui qu’il faut la chercher. Il me suffit de constater que nombre d’entre eux remettent en circulation, pour décrire sa forfaiture, les mêmes qualifications qu’ils avaient appliquées naguère à Ihsane El Kadi. 
 
Rien que pour cette raison, leurs critères de la fidélité et de la trahison ne peuvent en aucun cas être les miens.