lundi 29 juillet 2024

LE BEURRE ET L’ARGENT DU BEURRE

Le judoka algérien Mohamed Redouane Driss

 

Khaled Satour

Je voudrais bien qu’on m’explique dans quelle galère l’Algérie a embarqué ses athlètes en acceptant de participer aux jeux para-génocidaires de Paris.

Après l’élimination hier à la pesée du judoka Mohamed Redouane Driss, qui devait combattre un Israélien au tour suivant, les Algériens ont exprimé leur soulagement sur les réseaux sociaux et j’ai lu l’explication suivante sur le site TSA :

« Le tirage au sort avait mis l’Israélien Tohar Butbul sur le chemin de Mohamed Redouane Driss en 1/16 de finale de la catégorie des -73 Kg. L’Algérien s’est alors retrouvé devant un dilemme : accepter d’affronter le judoka israélien et faillir à la ligne adoptée jusque-là par les sportifs algériens ou boycotter le combat et courir le risque d’une lourde sanction qui pourrait signifier la fin de sa carrière [1]».

Un dilemme, le mot est bien choisi. Il souligne que les autorités algériennes jettent leurs sportifs dans la gueule du loup et les laissent se débrouiller pour en sortir, avec toutes les chances de s’y faire dévorer puisque, quelle que soit leur parade, ils y laissent des plumes.

Je suis un partisan du libre choix et je trouve qu’il appartient à chaque sportif de décider s’il affrontera un adversaire israélien ou s’il préférera s’en abstenir. C’est à ce prix que le mérite d’avoir accompli un acte de solidarité avec la cause palestinienne pourra lui être attribué. Mais, d’un autre côté, les athlètes concourent sous le drapeau national et n’engagent pas que leur personne. Si leur participation devait être conditionnée par l’adhésion à un engagement collectif de ne pas partager l’affiche avec quelque réserviste génocidaire de l’armée israélienne, je n’en serais donc pas choqué.

Or, la mésaventure du judoka donne à penser que les autorités sportives algériennes se sont comportées en Ponce-Pilate et qu’il en a été réduit à trouver une peu glorieuse échappatoire. Le seul mérite qu’il pouvait tirer du refus de la confrontation eût été qu’il soit qualifié et qu’il se retire au nom de convictions politiques revendiquées haut et fort, en acceptant les sanctions sportives encourues.

Au lieu de quoi, à vouloir le beurre et l’argent du beurre, il se retire honteusement, dans l’équivoque la plus totale de ses intentions. Ce qui aurait pu être le premier coup d’éclat contre Israël au cours de ces olympiades tourne à la ruse grossière et veule.

Mais c’est sur les responsables de la délégation algérienne que la honte rejaillit plus sûrement : ce sont eux qui auraient dû faire connaître publiquement une volonté ferme et politiquement assumée de retirer leurs athlètes de toute confrontation directe avec un adversaire israélien. A défaut de boycotter purement et simplement les olympiades les plus délétères de l’Histoire.

vendredi 26 juillet 2024

L’ESSENTIEL ÉTAIT DE NE PAS PARTICIPER


 

Khaled Satour

A partir de ce vendredi et pendant une bonne quinzaine, le spectacle du génocide de Gaza va être mis en concurrence mondiale avec celui des jeux olympiques. L’authentique barbarie du monde et les oripeaux de civilisation dont elle se déguise vont rivaliser pour accaparer l’attention de centaines de millions de personnes à travers le monde.

Celles-ci auront le choix entre :

- Le spectacle de la guerre festive que les nations vont se livrer à fleuret moucheté dans des combats réglés et arbitrés par une logistique tentaculaire destinée à les contenir dans une violence qui n’aille pas plus loin que d’inoffensifs excès et dérapages verbaux ;

- le spectacle du massacre qui se poursuit à Gaza, sans arbitre et sans modérateur d’aucune sorte, l’humanité ayant démissionné en bloc pour permettre à Israël d’assassiner, torturer, détruire et profaner à sa guise.

Le show sera complet puisqu'il sera à la hauteur de sa vocation : faire rire et faire pleurer. Le monde entier pourra zapper selon l’humeur du moment entre les deux chapiteaux dont l’alternance lui procurera un éventail d’émotions d’une variété et d’une intensité jamais atteintes.

A l’exception notable de la population palestinienne de Gaza, massacrée, affamée, assoiffée, baladée d’un bout à l’autre de l’arène du génocide, qui sera dispensée de ce choix.

Le Comité olympique palestinien, faisant mine de croire en l’obligation de respecter la trêve olympique, a tardivement demandé au CIO d’exclure Israël des jeux.

Il aurait dû prévoir une parade au refus plus que probable opposé à sa requête. Menacer par exemple de retirer ses propres athlètes des compétitions à condition bien sûr d’être décidé à mettre la menace à exécution. Il ne l’a pas fait.

Quelques États au moins auraient pu brandir la même menace. Au hasard : l’Algérie, qui nous devait bien un tel dépassement de compétence pour se racheter de ces mois passés à jouer au Conseil de sécurité le rôle insipide d’émule sérieux et discipliné de la communauté internationale. Mais elle ne l’a pas fait non plus.

Les olympiades qui commencent ce soir à Paris sont pourtant les premières de l’histoire auxquelles il était essentiel de ne pas participer.

jeudi 18 juillet 2024

L’INDIGNATION ET L’ACCOUTUMANCE

 

Khaled Satour

Un génocide, ce sont des massacres quotidiens qui finissent par être innombrables et par paraître indistincts, alors qu’ils innovent sans cesse en horreur et qu’ils reculent à chaque fois un peu plus les limites de la cruauté.

Au cours de la semaine écoulée, l’armée israélienne s’est retirée de la ville de Gaza après y avoir martyrisé la population pendant plusieurs jours. La Défense civile palestinienne a exhumé le jeudi 11 juillet 60 cadavres dans les décombres du quartier de Choujaiya puis le vendredi 12 juillet 60 autres cadavres dans les quartiers de Tal al-Hawa et d'al-Sinaa. Ce fut ensuite, le 13 juillet, le massacre de 100 à 150 personnes à Al Mawassi, cette région située à l’ouest de la ville de Khan Younès que l’armée israélienne avait donnée pour sûre poussant des dizaines de milliers de civils à s’y rendre pour se mettre à l’abri. Et le 14 juillet, 15 à 20 personnes ont été déchiquetées à Nusseirat par les bombes larguées sur une école de l’UNRWA. Plusieurs dizaines d’autres vies ont été emportées depuis cette date.

Il en va ainsi à Gaza depuis bientôt dix mois. Jamais les souffrances et les traumatismes d’une humanité en enfer n’ont été pareillement vécus, répétés jour après jour, au vu et au su du monde. Quoi de surprenant dans le fait qu’il ait fini par vaquer à ses occupations comme si de rien n’était ?

La volonté génocidaire d’Israël est hélas plus obstinée et plus constante que les manifestations de solidarité avec ses victimes. La haine est inépuisable alors que l’indignation se lasse à l’épreuve de l’accoutumance.

Mais nous-mêmes qui savons d’expérience(s) que l’indignation est vaine, que seule la riposte compte, et qui constatons dans le même temps avec effarement que celle-ci ne vient de nulle part, nous avons aussi droit à notre enfer, celui de l’impuissance, hanté par les images des orphelin(e)s de Gaza, dont la détresse et le désespoir nous font si mal.

Aucune propagande ne nous convaincra de nuancer notre soutien intransigeant à la résistance palestinienne, sous toutes les formes qu’elle a prises depuis le 7 octobre. Mais aucune culture du martyre ne nous consolera des tourments infligés aux enfants de Gaza.