lundi 17 mars 2025

L’AFFAIRE J.M. APATHIE ENTRE LE PATRIOTISME DES UNS ET DES AUTRES

 

Khaled Satour

Pour sa dénonciation des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par la France en Algérie, Jean-Michel Apathie a été suspendu d'antenne par RTL et poursuivi par la vindicte des milieux politiques et médiatiques dominants.

Le ressort de cette prise à partie est le patriotisme prétendu d’une droite et d’une extrême-droite de plus en plus décomplexées qui n’est en réalité qu’un nationalisme intolérant combinant la haine atavique de l’étranger à l’idéologie coloniale revenue en force avec le soutien manifesté au génocide israélien à Gaza.

Si les pseudo-patriotes français ont orchestré la mise à l’index du journaliste dans un climat de lynchage public somme toute récurrent dans l’histoire de France, les patriotes algériens n’ont au contraire pas raté l’occasion de louer son courage et ont vu dans cet homme de droite qui a toujours professé des idées libérales foncièrement réactionnaires un champion de la cause anticolonialiste.

Mais toute la question est de savoir s’ils étaient tous fondés à le faire de bonne foi.

Pour en juger, il faut examiner les arguments qu’a opposés Aphatie à la cabale déchaînée contre lui. Il a répliqué au patriotisme culpabilisant invoqué pour le confondre par le sien propre et affirmé haut et fort dans une tribune publiée par Libération : « J’aime la France, mais pas celle-là (celle des crimes d’État), qui m'a profondément et durablement choqué[1] ». Il aussi précisé dans une interview accordée à une télévision : « J’aime mon pays. Il y a mille manières d’aimer son pays. Mais tous ces pseudo-nationalistes l’aiment plus mal que moi ». Il ajoutait : L’AFFAIRE J.M. APATHIE ENTRE LE PATRIOTISME DES UNS ET DES AUTRES Il y a des plaies en Algérie pour le mal que nous avons fait … et la transmission de la mémoire n’est pas faite en France. On oublie, on met le couvercle[2] ».

Tel est donc le patriotisme d’Aphatie : l’amour du pays mais le refus de jeter un voile pudique sur les crimes commis par les appareils de la violence étatique, un patriotisme qui fait bon ménage avec le souci primordial d’affirmer la vérité et d’en transmettre la mémoire.

J’en conclus par la simple déduction que seuls parmi les patriotes algériens ceux qui sont prêts à accepter que leur pays et ses dirigeants soient soumis à une telle épreuve de vérité ont le droit de faire l’éloge d’Apathie sans que cela repose sur un malentendu.

Je veux parler de ceux qui ne font pas le jeu de l’occultation institutionnalisée des crimes d’État (au minimum la torture généralisée, les disparitions forcés de 15.000 personnes et l’exposition des populations sans défense à des centaines d’"Oradour-sur-Glane") commis en Algérie pendant la décennie 1990.

Quant aux autres, et toujours par déduction, ne seraient-ils pas idéologiquement plus en phase dans cette affaire avec l’extrême droite néo-coloniale française qui a vilipendé le journaliste sacrilège ?

samedi 15 mars 2025

UNE SÉQUELLE DU COLONIALISME : L’ACCORD FRANCO-ALGÉRIEN DE 1968


 

Khaled Satour

Je voudrais prendre ici position sur la question suivante : si on fait la balance des avantages et des inconvénients de l’accord franco-algérien de 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, en en mesurant les poids des enjeux juridiques, d'une part, politiques et symboliques, d'autre part, l’Algérie a-t-elle raison de vouloir à tout prix le préserver ?

Dans la crise qui secoue la relation franco-algérienne, le gouvernement français, à l’unisson d’une classe politique qui le soutient bruyamment, ne cesse de rappeler sa volonté de construire un « rapport de forces » qui le mette en capacité d’imposer ses diktats aux autorités algériennes.

Un outil de chantage et de « rapport de force »

Réduisant le contentieux entre les deux pays au refus de l’Algérie d’admettre sur son territoire ses ressortissants désormais expulsés à la chaîne par la voie de la fameuse OQTF (obligation de quitter le territoire français), Paris vient d’annoncer par la voie de son ministre de l’Intérieur B. Retailleau qu’il allait soumettre au gouvernement algérien « une soixantaine de noms de ressortissants algériens » ayant les « profils les plus dangereux » qu’il se propose d’embarquer en direction d’Alger.

Bien qu’agissant volontiers en franc-tireur acharné à faire la preuve de son animosité personnelle à l’endroit de l’Algérie, Retailleau ne fait qu’exécuter la menace brandie par son premier ministre, François Bayrou, qui avait déclaré le 26 février dernier qu’il accordait à l’Algérie un délai de quatre semaines pour venir à de meilleurs sentiments avant d’envisager de bloquer les visas et même de dénoncer l’accord de 1968.

De cet accord, un certain nombre d’analyses de qualité ont été publiées qui en éclairent parfaitement les enjeux[1].

Elles s’accordent en général à considérer que l’accord de 1968 équilibre assez parfaitement les avantages et les désagréments dans le traitement qui est réservé aux ressortissants algériens par rapport à la loi commune appliquée par la France à l’accueil et à l’installation des étrangers. En effet, l’essentiel des « privilèges » qui étaient reconnus aux Algériens a été annulé au fil des révisions du texte, et notamment par l’instauration des visas en 1994. Si la survivance de l’accord irrite à ce point les autorités françaises, c’est parce qu’il met les Algériens à l’abri des réformes récentes destinées à durcir les conditions d’accueil et de séjour des étrangers, notamment celle portée par la loi « pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » (CIAI) du 26 janvier 2024.

Aussi bien, on peut comprendre que, dans la perspective des législations toujours plus restrictives que la France ne manquera pas de prendre pour limiter l’émigration et l’accès au séjour sur son sol, l’Algérie s’oppose à toute abrogation de l’accord, sachant que la voie de la dénonciation unilatérale serait pour la France semée d’embûches.

Cet accord de 1968 est depuis quelques années la cible des attaques de la droite et de l’extrême-droite qui juge intolérable qu’il consacre au bénéfice des ressortissants algériens de prétendus privilèges dérogatoires au régime de droit commun applicable aux autres ressortissants étrangers en vertu d’une ordonnance de 1945.

Rompre un lien de dépendance néo-colonial

Telles sont, rappelées dans leurs grands traits, les données du litige. Si l’on se place sur le terrain politique, on peut considérer que, sur le strict plan des principes, ce contentieux fonctionne à fronts renversés. Lorsqu’on se place sur le terrain de la décolonisation, dont il est loisible de constater qu’elle est mise en échec par la réactivation d’un substrat idéologique plus agressif que jamais dans le comportement des autorités et de larges secteurs de l’opinion françaises, on est porté à plaider au nom de l’Algérie pour l’abrogation de l’accord de 1968 qui maintient un lien de dépendance tout à fait indésirable du pays et de ses ressortissants à l’égard de l’ancienne puissance occupante. Il est temps de rompre enfin ce lien, plus de soixante ans après l’indépendance, quelle que soit la modalité choisie pour y parvenir.

La seule condition qui doit être exigée à cette fin est que le traité soit anéanti par la volonté commune des parties qui s’accorderaient à écarter toute régression anachronique « au statu quo ante des Accords d’Évian, c’est-à-dire à une situation de libre circulation, sachant que Conseil d’État algérien et Conseil d’État français considèrent que les Accords d’Évian sont toujours en vigueur et priment sur la loi interne »[2]. C’est sans doute le seul moyen de libérer définitivement les Algériens d’une position exorbitante du droit commun qu’il convient d’identifier comme une séquelle du colonialisme, en les extrayant enfin d’un statut dérogatoire indigne d’une nation émancipée.

A cet égard, que le douteux statut d’exception que leur réserve l’accord de 1968 soit ou non fait de privilèges plutôt que de désavantages, alors que leur statut de peuple colonisé n’était fait que de désagréments, importe peu. Car dans les deux cas, la France se trouve à l’égard de l’Algérie dans une position dominante.

La disparition de ce traité introduirait les Algériens pour la première fois de leur histoire dans une relation de salutaire neutralité avec la France, grâce au paisible anonymat du « droit commun » qui confère à la condition d’étranger toute sa dignité.


[1] Pour une présentation exhaustive de l’historique et des enjeux de l’accord de 1968, se reporter à l’article de Hocine Zeghbib intitulé « L’accord franco-algérien de 1968, reflet de relations politiques tourmentées » : https://journals.openedition.org/anneemaghreb/13534

 [2]  H. Zeghbib, Op.Cit.

jeudi 6 mars 2025

FACE AU VOYOU DE WASHINGTON, LA PENSÉE MAGIQUE DES ARABES


 

Khaled Satour

Afin de mieux occulter la situation actuelle sur le terrain, les chefs d’État arabes qui se sont réunis au Caire mardi dernier ont choisi d’adopter le plan futuriste égyptien de reconstruction de la bande de Gaza. Et, tant qu’à bâtir des châteaux en Espagne, ils ont pu ainsi se permettre de projeter un avenir politique dans lequel une commission de « technocrates palestiniens » serait chargée d’administrer le territoire pendant six mois avant de passer le relais à l’Autorité palestinienne.

Rien n’est dit sur le calendrier de réalisation du plan que la déclaration finale du sommet situe laconiquement « à la fin de la guerre » dont les présidents arabes ne soufflent mot des conditions de l’avènement. Car c’est une sorte de pensée magique qui sous-tend ces propositions tant la complexité de la situation créée à Gaza par quinze mois de massacres génocidaires est passée sous silence, de même que les différentes données qui font de l’horizon ultime esquissé par la déclaration commune, la solution à deux États, une parfaite illusion.

On a reconnu à ce plan le mérite de rejeter le projet de déportation des habitants de Gaza envisagé par Donald Trump mais il n’a échappé à personne que les dirigeants arabes ont tout fait pour ménager le président américain dont ils ont plutôt loué les initiatives et qu’ils n’ont surtout pas dit un mot du génocide auquel s’est livré Israël pendant quinze mois, abordant la reconstruction de Gaza dans des termes technocratiques qui donneraient plutôt à penser que le territoire et sa population ont été dévastés par une catastrophe naturelle.

Or, aussitôt formulé, le plan arabe a été rejeté d’une seule voix par Tel-Aviv et Washington qui ont rappelé que l’actualité de Gaza était toujours la guerre car il n’était pas question pour eux qu’y subsiste la moindre trace de la résistance armée, de la présence du Hamas. Israël et son allié partagent la même volonté de vider Gaza de sa population, chacun ayant par ailleurs son idée sur l’usage qu’il veut en faire une fois qu’il aura assuré son contrôle exclusif sur ce qui ne serait plus qu’une nécropole en ruines.

Dans cette gesticulation à deux qui relève plus de la répartition des rôles que de la concurrence, c’est Trump qui fait de la surenchère. Amplifiant l’agressivité d’Israël et faisant litière de l’accord de trêve en cours d’exécution, il pousse l’ignominie dont il est devenu coutumier jusqu’à menacer le « peuple de Gaza » dans sa totalité : « Si vous gardez les otages, vous êtes MORTS », écrit-il rageusement sur son réseau social Truth social[1] .

Autant dire que face au voyou que les Américains ont porté à la présidence, le sommet du Caire est loin d’avoir trouvé la parade. Et il ne sert à rien, comme l’ont fait certains observateurs arabes, d’attribuer la tiédeur de la déclaration finale à la défection de certaines personnalités de premier plan, notamment le prince héritier saoudien et le président des Émirats Arabes Unis. C’est même un authentique contre-sens !

Il est également inutile de faire toute une histoire de l’absence de Abdelmadjid Tebboune. Il fut des époques où la présence des chefs d’État algériens donnaient du relief à de tels sommets par le seul fait qu’ils ne manquaient pas d’élever une voix discordante et énergique, à défaut d’influencer les déclarations finales. Et, quelles que fussent les manœuvres qui étaient faites pour les décourager d’être là, ils ne mettaient pas en scène des bouderies infantiles pour se dérober[2].

Ces époques sont toutes révolues et là où il n’est possible de renverser la table qu’en disant son fait à l’hyperpuissance américaine, comme c’était sans aucun doute le cas au Caire avant-hier, l’Algérie, prise dans le nœud des alliances imprudentes qu’elle a contractées, choisit désormais de faire l’école buissonnière.



[1] Gaza : Donald Trump lance un ultimatum au Hamas pour libérer les otages, Les Echos, 6 mars 2025.

https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/gaza-donald-trump-lance-un-ultimatum-au-hamas-pour-liberer-les-otages-2152306

[2] Le président de la République Abdelmadjid Tebboune décide de ne pas participer personnellement au sommet arabe d'urgence, L’Expression du 3 mars 2025.

https://www.lexpressiondz.com/info-en-continu/le-president-de-la-republique-abdelmadjid-tebboune-decide-de-ne-pas-participer-personnellement-au-sommet-arabe-d-urgence-345819